COLOMBO : Plonger dans la piscine, prendre des selfies ou se prélasser sur le lit du président: les manifestants sri-lankais qui ont envahi samedi à Colombo la résidence officielle du chef de l'Etat n'ont pas seulement provoqué sa fuite, ils ont aussi profité des lieux, tournant en dérision le dirigeant détesté.
Après avoir réussi à pénétrer dans le palais présidentiel, et forcé Gotabaya Rajapaksa à s'échapper, point culminant de plusieurs mois de mécontentement social, des Sri-Lankais s'en sont donné à coeur joie à l'intérieur de l'enceinte de l'édifice.
Des dizaines d'hommes ont tombé la chemise et plongé dans la piscine, certains en sauts périlleux. D'autres se sont prélassés sur les pelouses soigneusement tondues, d'autres encore filant tout droit dans les appartements privés du président.
La crise économique et politique au Sri Lanka
Le Sri Lanka, dont le président a fui samedi son palais pris d'assaut par des manifestants, est secoué par des protestations et de violents affrontements depuis trois mois, sur fond de grave crise économique.
Cette île d'Asie du Sud de 22 millions d'habitants est confrontée à sa pire crise économique depuis son indépendance en 1948, subissant des pénuries d'essence, d'électricité et une inflation record.
Les attentats islamistes de Pâques 2019, puis la pandémie de Covid-19 ont asséché les réserves de devises étrangères pourvues par les revenus du tourisme et les transferts de fonds de la diaspora.
Nuit de violences
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril, des centaines de manifestants tentent de prendre d'assaut la résidence du président Gotabaya Rajapaksa à Colombo et réclament sa démission.
Etat d'urgence et couvre-feu
Le 1er avril, les manifestations s'étendent au pays, le président proclame l'état d'urgence.
Le 2, un couvre-feu de 36 heures est instauré, bravé par des centaines de manifestants. Déploiement de l'armée en soutien des forces de l'ordre.
Démissions en cascade
Le 3, démission du gouvernement à l'exception du Premier ministre Mahinda Rajapaksa, frère aîné du président.
Le 4, levée du couvre-feu. L'opposition rejette l'invitation du président à former un gouvernement d'union nationale. Démission du gouverneur de la Banque centrale.
Le président perd sa majorité
Le 5, le président Rajapaksa perd sa majorité au Parlement, la coalition au pouvoir Podujana Party ayant subi une série de défections.
Levée de l'état d'urgence.
Manifestation record à Colombo
Le 9, des dizaines de milliers de personnes manifestent à Colombo contre le président, à l'appel des réseaux sociaux et des Eglises anglicane et catholique, rejoints par le patronat.
Des milliers de protestataires commencent à camper devant le bureau présidentiel.
Défaut de paiement
Le 12, le pays, à court de devises, fait défaut sur le remboursement de sa dette extérieure de 51 milliards de dollars, déclarant qu'il s'agit de son "dernier recours" pour importer les produits essentiels.
Nouveau gouvernement
Le 18, nouveau gouvernement. Le président écarte deux de ses frères et un neveu, mais conserve son frère aîné comme Premier ministre.
Premier mort dans les manifestations
Le 19, la police tue un homme, premier mort depuis le début des protestations.
Le 20, le Fonds monétaire international, avec lequel le Sri Lanka a entamé des discussions pour obtenir une aide de trois à quatre mds de dollars, demande au gouvernement de "restructurer" la colossale dette extérieure avant toute finalisation d'un programme de renflouement.
Grèves générales
Le 28 avril, puis le 6 mai, des grèves générales paralysent le pays.
Le président réimpose l'état d'urgence.
Démission du Premier ministre
Le 9 mai, le Premier ministre démissionne après de violentes attaques de ses partisans contre les manifestants (9 morts et plus de 225 blessés, selon la police).
Couvre-feu général.
Evacuation par l'armée
Le 10, l'armée exfiltre l'ex-Premier ministre de sa résidence à Colombo, menacée par les manifestants.
L'ONU dénonce l'escalade de la violence et appelle l'armée à "faire preuve de retenue". Le ministère de la Défense donne l'"ordre de tirer à vue".
Gouvernement d'union
Le 12, le président nomme Ranil Wickremesinghe nouveau Premier ministre en vue d'un gouvernement d'union.
Couvre-feu levé le 15, à l'occasion d'une importante fête bouddhiste.
Privé d'essence
A court de dollars, le gouvernement s'avoue incapable mi-mai de payer des cargaisons de pétrole russe. La livraison intervient finalement le 28 mai.
Les pénuries d'essence entraînent de longues files d'attente. En six mois, le prix du diesel a grimpé de 230%, celui de l'essence de 137%.
Le 31, annonce de fortes hausses des taxes et impôts.
Menace de famine
Le 3 juin, le gouvernement, qui craint une famine, réclame l'aide de l'ONU, qui promet un plan d'urgence.
Des soldats ouvrent le feu
Le 18, des soldats ouvrent pour la première fois le feu pour contenir une émeute (7 blessés).
Le 27, les ventes de carburants sont suspendues pour deux semaines, excepté dans les secteurs essentiels comme la santé.
Fin juin, le PIB enregistre une chute de 1,6% au premier trimestre. L'inflation atteint 54,6% en juin, nouveau record.
Président en fuite
Le 9 juillet, le président Rajapaksa fuit son palais pris d'assaut par des centaines de manifestants. Selon le président du Parlement, il démissionnera "le 13 juillet" pour "assurer une transition pacifique".
Le Premier ministre se dit lui prêt à démissionner pour laisser la place à un gouvernement d'union nationale. Des manifestants prennent d'assaut sa résidence avant de l'incendier.
"Nous sommes dans la chambre de Gotabaya, voici les sous-vêtements qu'il a laissés derrière lui", a lancé un jeune homme en brandissant un slip noir, dans une vidéo en direct largement partagée sur les réseaux sociaux. "Il a aussi laissé ses chaussures derrière lui".
Honni des manifestants qui le jugent responsable de la profonde crise économique que traverse le Sri Lanka depuis plusieurs mois, le président venait tout juste de quitter les lieux, grâce aux soldats qui ont tiré en l'air pour lui permettre de s'échapper.
Tour à tour, des manifestants se sont prélassés sur son grand lit, ou les confortables canapés des salons. Certains se sont servis dans le garde-manger, éparpillant çà et là snacks et boissons.
"J'ai été surpris de voir qu'un climatiseur fonctionnait dans sa salle de bains. Alors que nous subissons des coupures de courant sans fin", a déclaré par téléphone à l'AFP un homme entré dans le palais.
«Nous ne devons pas être des voleurs»
Cette ambiance festive tranchait avec la confrontation tendue qui avait eu lieu plus tôt dans la journée entre des centaines de milliers de manifestants et les forces de sécurité.
La police avait fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour repousser les assaillants. Mais certains, en s'emparant d'un camion de police, ont pu forcé des barrages et escaladé les hautes grilles.
Une fois le palais envahi, le nombre de policiers et de militaires de garde a fondu. Des policiers d'élite sont restés postés dans la résidence, mais sans en déloger les intrus qui s'y promenaient à leur aise.
Grimpant à une grille, un étudiant a exhorté la foule à ne pas piller ou dégrader la résidence d'Etat, qui abrite une collection d'objets inestimables.
"Nous avons traité Gota de voleur et l'avons poussé à la fuite, s'il vous plaît, ne prenez rien dans le palais", a-t-il demandé. "Nous ne devons pas être des voleurs comme les Rajapaksas".
Depuis des mois, en raison des pénuries répétées de nourriture, d'électricité, de carburants et de médicaments, de nombreux Sri-Lankais réclament la démission du président et de plusieurs membres de sa famille au pouvoir.
Gotabaya Rajapaksa vivait dans la résidence officielle, habituellement réservée à la réception des dirigeants étrangers, depuis seulement avril dernier, après que des milliers de manifestants ont alors tenté d'envahir son domicile privé lors d'une grande manifestation.
Son domicile ne fut pas envahi mais il s'était installé au palais dans l'espoir, finalement vain, d'y être plus en sécurité.
Il reste président, a fait savoir à l'AFP une source au ministère de la Défense, protégé par l'armée dans un lieu tenu secret.