BAMAKO : Principal accusé dans le procès des attentats qui ont ensanglanté Bamako en 2015, le Mauritanien « Ibrahim 10 », qui a comparu pour la première fois mardi, est un acteur majeur du jihad sahélien, proche de l'Algérien Mokhtar Belmokhtar.
Extrait de sa cellule, il a été amené mardi matin devant la Cour spéciale antiterroriste siégeant dans la capitale malienne. Vêtu d'un boubou gris, les cheveux crépus et la barbe fournie, il a écouté sans broncher les faits qui lui sont reprochés.
Le procès, qui doit se poursuivre mercredi, est une nouvelle étape dans le parcours sinueux de ce djihadiste décrit comme très audacieux, insaisissable et toujours en mouvement par le spécialiste mauritanien du djihadisme Isselmou Ould Salihi.
De son vrai nom Fawaz Ould Ahmed (ou Ahmeida), cet homme au physique de colosse né à Nouakchott à la fin des années 1970 a commencé sa vie dans le commerce.
Il s'est radicalisé après l'intervention américaine en Irak en 2003, « comme cela a été le cas pour beaucoup de jeunes au Sahel à cette époque », selon le journaliste Lemine Ould Salem, auteur d'un livre sur Mokhtar Belmokhtar.
En 2006, « Ibrahim 10 », dont on ignore l'origine du surnom, rejoint les camps d'entraînement du chef djihadiste algérien dans le Sahara.
Après une formation au maniement des armes, il participe fin 2008 à l'enlèvement de deux diplomates canadiens au Niger. Un coup d'éclat qui sera « hautement apprécié » par sa hiérarchie. "Félicité" par les grands noms du jihad régional, il prend de l'importance.
« Par la suite, j'ai été désigné par le +Vieux+ (Belmokhtar) pour faire des va-et-vient entre lui et le Burkina Faso » de Blaise Compaoré, à l'époque médiateur dans la libération d'otages au Sahel, dira-t-il aux enquêteurs maliens après son arrestation en 2016.
Listes d'achats
Dans ses auditions, il relate ses voyages entre Ouagadougou et les campements djihadistes dans le désert, parfois en voiture, parfois en hélicoptère, toujours en compagnie, affirme-t-il, de l'homme d'affaires mauritanien Moustapha Ould Limam Chafi, connu pour son rôle dans la libération d'otages occidentaux au Sahel.
Il raconte qu'il en « profitait » pour « faire des achats pour les frères »dans le désert: caméras, ordinateurs, cartes mémoire...
Et donne des détails sur le « pacte » de non-agression conclu, selon ses dires, entre le Burkina Faso et le groupe de Belmokhtar à la fin des années 2000. Relativement préservé des attaques djihadistes sous M. Compaoré, le pays a depuis été entraîné dans la spirale meurtrière du djihadisme sahélien.
Aux enquêteurs, « Ibrahim 10 » dit s'être rendu au Sénégal en 2011, en repérage pour un projet d'attentat finalement annulé contre l'ambassade d'Israël, puis s'être installé en Côte d'Ivoire en 2012, où il épouse une Ivoirienne et devient père de famille.
Il est arrêté quelques mois plus tard en possession d'armes. Jugé et condamné en 2013 à Abidjan à 10 ans de prison ferme, il sera libéré après 10 mois, « sans doute après avoir parlé », selon une source judiciaire malienne.
Il rend alors visite à Belmokhtar en 2014 en Libye, puis rentre au Mali, « via le Tchad et le Niger », ramenant avec lui des explosifs, des sandales et un iPad pour ses compagnons. Il reste quelque temps dans le désert.
Puis il descend à Bamako, où il commet le 7 mars 2015 l'un de ses principaux faits d'armes: en pleine nuit, il entre dans un bar-restaurant de la capitale, La Terrasse, sort de son sac un fusil d'assaut et tue cinq personnes, selon les enquêteurs.
L'homme s'évanouit ensuite dans la nature, mais refait parler de lui quelque mois plus tard: successivement, l'attaque de l'hôtel Byblos à Sévaré (centre) fait 13 morts en août, puis 20 personnes, dont 14 étrangers, sont tuées à l'hôtel Radisson Blu de Bamako, le 20 novembre.
Dans les deux cas, le prévenu n'aurait pas été présent mais se serait occupé de l'organisation: recrutement des assaillants, repérage, location de véhicules, armes...
Le 21 avril 2016, la sécurité d'Etat malienne l'arrête à Bamako, où il était arrivé une dizaine de jours auparavant, pour préparer de nouveaux attentats, affirmait à l'époque une source proche de l'enquête.