Lorsqu'on lui a demandé de définir l'objectif de l'OTAN, le premier secrétaire général de l'Alliance, Hastings Ismay, a répondu par l'un des meilleurs slogans de tous les temps : «Tenir les Russes à l'écart, les Américains à l'intérieur et les Allemands à distance.» Aujourd'hui, il serait plus poli de dire « intégrés » pour parler des Allemands, mais l'argument stratégique percutant du diplomate britannique reste valable même après 70 ans.
C'est pourquoi j'ai toujours été si furieux contre les utopistes de gauche et de droite qui n'arrivaient pas à voir la vraie valeur durable de l'OTAN telle qu'elle a été décrite par Lord Ismay. Tout comme des techniciens qui tentent de nous imposer d'interminables mises à jour informatiques futiles pour justifier leurs positions inutiles, ils ont passé leur temps à essayer de réinventer la roue, les « nouvelles raisons d'être » de l'OTAN. Au cours de la dernière génération, nombreux sont les analystes qui ont exhorté l'alliance militaire la plus performante du monde à s'étendre, au point de mettre en péril son utilité évidente.
Une question primordiale devrait toutefois être posée : la proposition d'adhésion de la Finlande et de la Suède ajoute-t-elle de la valeur et de la sécurité à l'alliance militaire la plus importante du monde, ou risque-t-elle d'en épuiser l'essence vitale ? Effectivement, les réalistes ne se soucient guère de l'adhésion d'un membre potentiel à l'OTAN ; ils se préoccupent plutôt de la viabilité continue de l'OTAN même. C'est précisément pour cette raison que l'accueil de ces deux pays baltes neutres de longue date sert les intérêts occidentaux.
C'est l'un des nombreux mauvais calculs stratégiques du président russe Vladimir Poutine qui a offert à l'OTAN l'adhésion de la Suède et de la Finlande. La Suède est neutre depuis l'époque où le maréchal Bernadotte s'est retourné contre son ancien maître Napoléon Bonaparte au début du XIXe siècle. Similairement, la neutralité finlandaise – résultat stratégique de la guerre russo-finlandaise – est devenue depuis des décennies une réalité fondamentale de la vie en Europe. Pourtant, l'orientation neutraliste de longue date des deux pays s'est effondrée en quelques mois, lorsque l'invasion de l'Ukraine par le Kremlin a fait de la neutralité nordique une invitation à la poursuite de l'agression russe, plutôt qu'un garant de la sécurité de la Suède et de la Finlande.
L'opinion publique, qui a longtemps été en faveur du maintien de la neutralité, a radicalement changé après l'invasion russe. Un sondage Yle effectué en Finlande en mai a révélé que 76% des personnes interrogées étaient favorables à l'adhésion du pays à l'OTAN, contre 60% en mars. Cela crée un contraste considérable avec la minorité de 20 à 30% de Finlandais qui étaient favorables à l'adhésion à l'Alliance avant la guerre russo-ukrainienne. Par ailleurs, en Suède, un sondage Demoskop réalisé en avril a montré qu'une majorité de 57 % des Suédois était favorable à l'adhésion du pays à l'OTAN, ce qui représente une nette augmentation par rapport aux 42% enregistrés en janvier. La première raison concrète pour l'Occident de favoriser l'expansion de l'OTAN dans ce cas réside dans le fait que l'opinion publique (qui devra conduire les augmentations de défense) soutient fermement l'adhésion.
« L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN représente une opportunité stratégique pour l'Occident ». - John C. Hulsman
Ensuite, les deux pays nordiques ne posent aucune question démocratique ni économique quant à leur place au sein de l'Alliance occidentale. Tous deux constituent indubitablement des démocraties occidentales fortes, dotées d'économies avancées de premier ordre. Ni l'un ni l'autre n'aura besoin – comme il a honteusement été le cas depuis peu – d'être soigné pour rejoindre une Alliance qu'il n'est tout simplement pas prêt d'intégrer, que ce soit sur le plan économique ou démocratique. Bien au contraire, les deux pays ont la capacité économique immédiate d'augmenter leurs dépenses de défense et d'atteindre les objectifs de l'OTAN.
En outre, la Suède et la Finlande ont déjà une solide expérience de collaboration avec l'Alliance, puisqu'elles participent au programme de Partenariat pour la paix depuis 1994 et sont membres de l'UE depuis 1995. Les deux pays nordiques ont une grande expérience en matière de coordination avec l'Alliance dans les Balkans, en Libye et en Afghanistan, ce qui devrait faciliter la transition à venir.
De même, la Finlande consacre déjà 1,9 % de son produit intérieur brut à la défense et devrait dépasser les 2% requis par l'OTAN d'ici 2023. La Suède, qui ne consacre actuellement que 1,3 % de son produit intérieur brut à la défense, est plus problématique, bien qu'elle ait prévu d'atteindre les 2% d'ici 2028. L'Alliance, qui dispose d'une grande influence, doit faire pression sur la ville de Stockholm pour qu'elle s'engage à atteindre cet objectif dès maintenant, plutôt qu'après son adhésion. L'OTAN se passerait bien des « profiteurs » qui risquent de l'accabler.
Enfin, il suffit de regarder une carte pour comprendre que l'adhésion des pays nordiques a un sens géostratégique du point de vue de l'Occident et qu'elle permettra à l'OTAN d'avoir un meilleur accès à la mer Baltique, qui représente déjà une importante zone d'intérêt pour l'alliance en raison de la présence de l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie. La marine suédoise, l'armée de l'air finlandaise et les services de renseignement très performants des deux pays (particulièrement aptes à démasquer les plans de la Russie) représentent des atouts stratégiques pour l'Alliance.
Ajoutons à cela que la Finlande partage une frontière de 1 340 km avec la Russie, qui sera contrainte de réduire davantage ses effectifs pour défendre une ligne de démarcation qu'elle considérait jusqu'à présent comme acquise. En outre, les troupes actives de la Finlande sont renforcées par un nombre impressionnant de 900 000 réservistes compétents, puisque le pays maintient toujours la conscription.
Pour toutes ces nombreuses raisons stratégiques pratiques, l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN représente une opportunité stratégique pour l'Occident, un objectif personnel pour Poutine et une décision que Lord Ismay aurait chaleureusement accueillie.
• John C. Hulsman est le président et le directeur de l’Entreprise John C. Hulsman, une société mondiale de conseil en matière de risques politiques. Il est également éditorialiste pour City AM, le journal de Londres. Il est joignable via johnhulsman.substack.com.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com