BEYROUTH: L'ancien président américain Barack Obama a quitté le Moyen-Orient dans un état bien pire que lors de sa prise de fonction en 2009, d’après 53 % des personnes interrogées dans un sondage panarabe effectué par YouGov pour Arab News. Ce serait une excellente raison de croire que les Arabes doivent de loin préférer le candidat républicain Donald Trump à son rival démocrate Joe Biden lors de la prochaine élection présidentielle du 3 novembre.
Pourtant, le sondage révèle que 40 %, des personnes interrogées estiment que Biden serait meilleur pour la région, contre 12 % qui lui préfèrent Trump. 49% ont déclaré qu'aucun des candidats ne saurait servir les intérêts du monde arabe.
Cependant, en tant que vice-président d'Obama, certains observateurs se demandent si une victoire de Biden signifierait une reprise des politiques entamées par son ancien patron. Ceux qui aimeraient voir une main de fer américaine maîtriser l'Iran sont particulièrement préoccupés par ce risque.
C’est en effet au cours du deuxième mandat d’Obama que les États-Unis ont signé le Plan d’action global conjoint (JCPOA), connu sous le nom d’accord nucléaire iranien. L’accord accorde un allégement des sanctions imposées à Téhéran en échange de l’abandon de ses ambitions nucléaires.
Le président sortant Donald Trump a retiré les États-Unis de l'accord en mai 2018, et a réimposé une série de sanctions contre l'Iran afin de le paralyser. Et avec les signataires européens de l’accord historique qui se battent pour sauver l’entente, Biden pourrait éventuellement faire marche arrière.
Quelque 35 % des Arabes interrogés dans l'enquête Arab News/YouGov croient que le retrait du JCPOA a eu un impact négatif sur le Moyen-Orient. Les résidents de l'Irak, du Liban et de l'Arabie saoudite sont plus enclins à dire que le retrait et le renforcement des sanctions ont bénéficié à la sécurité de la région.
«L’accord avec l’Iran n’a pas réussi à bloquer la chemin du régime vers les armes nucléaires», dit Ali Safavi, responsable de la commission des affaires étrangères du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) basé à Paris. «Le régime a pris les milliards obtenus par le biais du JCPOA et soutenu le régime meurtrier en Syrie. Il a également armé et financé la milice terroriste du Hezbollah au Liban, les groupes terroristes chiites en Irak, ainsi que les Houthis au Yémen.
Pour Safavi et ses collègues du CNRI, la seule politique qui tienne est celle qui exerce une «pression maximale» sur le régime de Téhéran et «lui demande des comptes pour ses innombrables violations des droits de l'homme».
Son scepticisme semble trouver écho dans les sondages. Les critiques du JCPOA veulent à présent déterminer si Biden est prêt à se délester des politiques de l’époque. «L’Iran reste la question clé pour comprendre le mauvais arrière-goût laissé par l’administration Obama dans le monde arabe», a déclaré à Arab News David Romano, professeur de politique du Moyen-Orient à l’institut Thomas G. Strong de l’université d’État du Missouri. «Ils savent pertinemment que le duo Obama-Biden a refilé un laissez-passer à l'Iran pour toutes sortes d'activités néfastes dans la région, afin de le convaincre de conclure un accord.»
Conscients des malversations de Téhéran, environ 58 % des Arabes interrogés souhaitent voir Biden se distancier de la politique de non-intervention d'Obama, et prendre le taureau par les cornes. Parallèlement, ils voudraient que les États-Unis maintiennent leur position ferme vis-à-vis de l'Iran, même s'ils sont divisés sur la stratégie que Washington devrait employer.
Les personnes interrogées en Irak, en Arabie saoudite et au Yémen, trois pays au destin lié à celui l'Iran par la force des choses, sont fermement en faveur d'une ligne dure. Interrogées sur la stratégie que le prochain président américain devrait adopter dans ses futures relations avec l'Iran, une grande proportion – 53% en Irak, 49% en Arabie saoudite et 54% au Yémen – s'est prononcée en faveur du maintien de sanctions strictes et d'une position de guerre.
Le Dr Majid Rafizadeh, politologue irano-américain et président du Conseil international américain, Rafizadeh conçoit que de nombreux habitants de la région considèrent la perspective d'une présidence de Joe Biden avec un certain malaise.
«Un retour à toute forme d’acceptation de la politique régionale du régime iranien, ou l’envoi d’avions d’argent liquide à Téhéran risque de saboter la paix au Moyen-Orient», a-t-il déclaré. «Les deux candidats à l'élection présidentielle doivent chercher à s'appuyer sur le bon travail accompli lors des accords d'Abraham pour lutter contre ce discours.»
Alors que le monde arabe est partagé sur l’impact potentiel de l’élimination de Qassem Soleimani, chef des forces iraniennes Al-Quds, par les États-Unis en janvier, les divergences régionales révélées par l’enquête Arab News/YouGov sont peut-être plus importantes.
Les résidents du Yémen, de l’Arabie saoudite et de l’Irak sont favorables à l’élimination du commandant iranien, avec respectivement 71 %, 68 % et 57 % qui la considèrent comme un événement positif pour la région. En contrepartie, 59 % des personnes interrogées au Liban et 62 % au Qatar y voient un événement de mauvais augure.
«Le sondage évalue avec précision les intérêts des États arabes», dit le Dr John Hulsman, président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, un important cabinet de conseil mondial sur les risques politiques.
Cela dit, le monde arabe ne doit pas sous-estimer la profondeur du désir bipartisan américain de trouver une issue du Moyen-Orient et s’en sortir, selon Hulsman,
«Ce qui est intéressant, c’est qu'Obama et Trump n’ont pas grand-chose en commun, mais ils ont une vision similaire du Moyen-Orient. «Allons-nous-en» la résume assez bien» a-t-il déclaré à Arab News. «Nous avons vu des présidences détruites (en raison de la présence américaine dans la région) et il n'y a aucun avantage à rester. Nous avons surestimé l'importance de la région. Tous les risques et les récompenses, toute la croissance mondiale future – tout se trouve maintenant en Asie».
Pour Hulsman, le défi véritable pour le vainqueur de l'élection consiste à savoir comment se désengager de la région tout en gardant un semblant de stabilité.
L'Iran s’accroche à liste de ce que les Arabes pensent être les plus grandes menaces contre les États-Unis, selon l'enquête Arab News/YouGov. Il vient en troisième place, après le nationalisme blanc et la Chine.
Malgré leurs inquiétudes quant à l’influence néfaste de l’Iran sur leur propre quartier, seules 9 % des personnes interrogées estiment que Téhéran représente une plus grande menace pour Washington que la Chine. La raison ? L'Arabe lambda n'est pas convaincu que les États-Unis le soutiennent face à l'Iran», a déclaré Khalil Jahshan, directeur exécutif du Centre arabe basé à Washington DC, à Arab News.
Biden a qualifié d'échec la campagne de «pression maximale» de Trump sur l'Iran, et il y a peu de chances qu'il l’adopte une fois à la Maison-Blanche, ce qui trouble les dirigeants arabes.
Cette incertitude se reflète dans l'enquête, avec une plus grande proportion d'Arabes interrogés qui rejettent à la fois Trump et Biden. Pour les critiques tels que Safavi, peu importe qui gagne si la politique sera veloutée. «Indépendamment du résultat des élections, l'expérience des quatre dernières décennies montre clairement qu'aucune concession, politique ou économique, n'entraînera un changement dans le comportement de la théocratie qui gouverne l'Iran d'une main de fer», explique-t-il.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com