Quelques jours séparent les Américains du moment où ils se dirigeront vers les urnes pour élire leur nouveau président. L'atmosphère est tendue, et un air chargé d'attente et d’impatience pèse sur l’Amérique comme sur le Moyen-Orient.
Décider de l’avenir des États-Unis est sans aucun doute une question d’ordre interne. Cela n’empêche pas les alliés des Américains dans la région d’avoir hâte de travailler main dans la main avec le vainqueur: le président sortant républicain, Donald Trump, ou son adversaire démocrate, Joe Biden.
Les alliés des Américains dans la région sont notoirement prévisibles lorsqu'il s'agit de faire face à la transition du pouvoir à la Maison-Blanche. J’ose même dire que cela s'applique tout aussi bien au vainqueur.
En effet, les gens ne devraient pas prêter attention à la grogne de certains ennemis de ces alliés, et qui égrènent les scénarios de ce qui pourrait se passer en cas de victoire des démocrates.
Comme à chaque saison électorale, ou «saison stupide», pour reprendre l’expression de l’ancien ambassadeur saoudien aux États-Unis, le légendaire prince Bandar ben Sultan, des torrents de mots abondent à mesure que le jour J approche. Mais le 3 novembre, la campagne prend fin et laisse place à la réalité.
Ce n’est pas un secret pour quiconque connaît le fonctionnement de la politique américaine. Et pourtant, certains experts spécialistes du Moyen-Orient rivalisent pour prédire quel vainqueur servirait le mieux l'Arabie saoudite. À ceux-là, je cite la porte-parole du département d’État américain, Morgan Ortagus, qui a souligné récemment dans un entretien que la relation saoudo-américaine «a toujours été bipartite».
Il faudrait également leur rappeler, puisqu’ils ont la mémoire courte, la référence qu’elle a faite aux ventes d'armes américaines à l'Arabie saoudite. Elle aurait travaillé sur cette transaction alors qu'elle faisait partie de l'administration Obama.
Les critiques doivent également se rappeler que c'est le président Obama, un démocrate, qui a posé son veto sur des lois du Congrès hostiles à l'Arabie saoudite; Riyad et Washington ont peut-être connu leur lot de divergences d'opinion tactiques à l'époque, mais Obama n’aurait jamais agi contre les intérêts de son propre pays. En effet, les présidents américains se rendent compte assez vite de l'importance stratégique du Royaume, du point de vue religieux, économique et politique.
Nous devons pourtant reconnaître qu'au Moyen-Orient les points de vue et les politiques de ceux qui sont au pouvoir ne s’alignent pas nécessairement avec les cœurs et les esprits des gens dans la rue.
C'est pour cette raison qu’Arab News est fier de présenter les résultats d’un deuxième sondage YouGov sur les élections américaines. Nous avons posé des questions à la «rue arabe», un échantillon de plus de 3 000 personnes dans 18 pays, sur leurs espoirs, leurs aspirations et leurs craintes en ce qui concerne les candidats à l’élection présidentielle et leurs politiques.
Selon les chiffres, il semble que certaines choses n’aient pas changé par rapport à notre sondage de 2016, notamment le scepticisme de la plupart des personnes interrogées face à la politique étrangère américaine, 84 % d’entre elles pensent que les États-Unis ne déploient pas assez d’efforts pour aider les pays arabes à contrer l'extrémisme.
Fait intéressant: bien que Biden soit nettement plus populaire que Trump, les Arabes sont loin d’être prêts à lui signer un chèque en blanc.
Voici l'une des conclusions les plus intéressantes du dossier Élections 2020: que veulent les Arabes?. D’après le sondage Arab News/YouGov, 53 % des Arabes estiment qu'Obama a laissé la région dans une situation pire qu’il ne l’a trouvée, et une solide majorité (58 %) trouve que Biden devrait se distancier des politiques de l'ère Obama.
C'est un changement d'attitude pour le moins intéressant; je suis sûr que nous nous souvenons tous à quel point le président Obama était populaire dans la région après son célèbre discours prononcé au Caire en 2009. Il semble que nous apprenons enfin la leçon au Moyen-Orient: les actions valent mieux que les mots.
Et puisque nous évoquons ce sujet, une leçon gratuite (quoique assez longue) vient de s’ajouter: celle des e-mails déclassifiés de Hillary Clinton, qui exposent l’impact désastreux de certaines politiques de l’administration Obama sur la région. Pour ceux qui ont suivi de près la présidence Obama, il y a peu de nouveautés à découvrir. Pour les observateurs moins enthousiastes, séduits par le discours exceptionnel de l’ancien président, les révélations doivent être déchirantes.
Si Biden gagne, espérons que son choix de secrétaire d'État évitera les erreurs commises par l'administration Obama
Faisal J. Abbas
En tant que vice-président à l'époque, Biden n'aurait guère eu son mot à dire dans la gestion de Clinton alors qu'elle était secrétaire d'État. En fait, le blâme des incendies régionaux peut être presque exclusivement imputé à Clinton, Obama et Ben Rhodes, le «génie» adjoint à la sécurité nationale du président.
Alors, que dévoilent ces e-mails sur Hillary Clinton? Les révélations ne manquent pas, en fait, et en voici quelques-unes des plus alarmantes:
1. Ils révèlent une relation étroite avec les Frères musulmans, groupe désigné comme terroriste par de nombreux pays à majorité musulmane. Son idéologue de service, le chef religieux basé à Doha, Yusuf al-Qaradawi, n’a qu’intolérance et venin pour les adeptes des confessions différentes. Il a souvent appelé à de violentes attaques contre eux, et a multiplié les fatwas («édits religieux») ouvrant la voie à l’agression des Juifs.
On l’a vu en janvier 2009, sur Al Jazeera Arabic, quand il a déclaré: «Oh mon Dieu, prenez vos ennemis, les ennemis de l'islam… Oh mon Dieu, prenez les traîtres agresseurs juifs… Oh mon Dieu, comptez-les, tuez-les un par un et n'en épargnez aucun.» Il a la même haine profonde envers tous les Européens. Dans son émission télévisée de 2013, diffusée depuis Doha vers des millions de téléspectateurs dans le monde, Al-Qaradawi a critiqué les «faibles» pays musulmans. Il a appelé les citoyens à renverser leurs gouvernements, et à lancer une guerre contre tous ceux qui s'opposent aux Frères musulmans, les décrivant comme des khawarij («ennemis de l’islam»).
2. Les e-mails révèlent comment Clinton et ses proches conseillers ont collaboré avec les dirigeants des Frères musulmans en Égypte, en Libye et ailleurs. Ils ont réussi à modifier la politique américaine et à aider divers organismes à atteindre leurs sinistres objectifs grâce à la fameuse tactique de diversion du «printemps arabe». Des dirigeants des Frères musulmans ont été accueillis aux États-Unis, célébrés lors du Forum économique mondial. Ils ont rencontré des fonctionnaires du Fonds monétaire international. Tout ça alors que Clinton et son équipe savaient pertinemment que cette organisation terroriste serait le pire remplaçant possible du régime de Hosni Moubarak en Égypte.
3. Les courriels révèlent les relations étroites de l’administration Obama avec Al Jazeera TV, contrairement à l’administration précédente de George W. Bush, qui voulait en bombarder les bureaux. Al Jazeera était le média de choix des extrémistes, en particulier d'Al-Qaïda. Pendant des années, elle a été le diffuseur exclusif des bandes de Ben Laden, et c’est l’incitation d’Al-Qaïda via Al Jazeera qui a conduit à une série d’attaques meurtrières contre les forces américaines en Afghanistan, et plus tard en Irak. Les vidéos d'Al-Qaïda arrivaient mystérieusement dans les bureaux d'Al Jazeera, pour être diffusées aux heures de grande écoute. Pour son soutien à la chaîne, Hillary Clinton est accusée de coucher avec le diable.
4. Un autre échec majeur de la politique étrangère d'Obama, mais qui se répercute sur la vie des Américains, est exposé dans les courriels relatifs au financement du «printemps arabe» par le biais de la Fondation Clinton. Ces courriels révèlent ce qui a conduit aux décès en 2012 de l'ambassadeur américain en Libye, John Christopher Stevens, et de Sean Smith, un responsable de la gestion de l'information du service extérieur américain. Je ne soutiens pas l’ancien fou libyen Mouammar Kadhafi en faisant ce parallèle, mais les partis islamistes se sont toujours retournés contre lui, et il est étonnant que les responsables américains n’aient pas appris de ces leçons.
Comme l'a souligné Dan Kovalik, un contributeur du Huffington Post, Hillary Clinton et son équipe savaient que de nombreux courriels, traitant de sécurité régionale, prouvaient que l'administration était tout à fait consciente du fait que la campagne de bombardement et le renversement de Kadhafi – connu pour être anti-Al-Qaïda – pourrait ouvrir la voie à Al-Qaïda et à ses alliés afin qu’ils prennent (ainsi qu’ils l’ont d’ailleurs fait) le contrôle de nombreuses régions libyennes.
Dan Kovalik se réfère à un e-mail en particulier (document no C05780521), adressé à Hillary Clinton par son confident de longue date, Sidney Blumenthal, qui déclare que «la partie orientale de la Libye a traditionnellement été un bastion des groupes islamistes radicaux, comme les Groupes de combat islamiques libyens liés à Al-Qaïda. Le régime de Kadhafi avait réussi à réprimer la menace djihadiste en Libye, et la situation actuelle ouvre la porte à une résurgence djihadiste.»
Kovalik s'est demandé, à juste titre, comment Blumenthal, sachant cela, a pu soutenir que «gagner la guerre» contre Kadhafi était nécessaire pour la sécurité régionale».
On commence à comprendre pourquoi Trump a déclaré, lors de sa campagne de 2016, qu'Hillary Clinton devrait aller en prison, vu toutes les informations contenues dans ces e-mails. Cette tribune n’est pas le lieu pour faire son procès, mais devant le tribunal de l'opinion publique, il y a un dossier clair contre Clinton pour la responsabilité dans la perte de vies américaines. Nos accusations concernent une politique étrangère qui a embrasé cette région sans que nous ne puissions jamais en éteindre les flammes.
Bonne chance aux deux candidats ce 3 novembre. Si Biden gagne, espérons que son choix de secrétaire d'État évitera les erreurs commises par l'administration Obama – et, bien sûr, il faudra qu’il prenne garde de ne pas utiliser son e-mail personnel pour les affaires d’État.
Faisal J. Abbas est rédacteur en chef d’Arab News
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com