DUBAÏ, ERBIL: Le Qatar est un pays qui se veut un allié proche des États-Unis, qui héberge à la base aérienne d'Al-Udeid, près de Doha, le plus grand contingent militaire américain au Moyen-Orient, et qui dépense des milliards de dollars en matériel militaire américain. L’attitude du public qatari est visiblement désynchronisée avec le discours de Washington sur les questions du Moyen-Orient.
C'est la conclusion de l'enquête panarabe signée Arab News / YouGov. Que l’on parle de l’élimination du général iranien Qassem Soleimani ou du rôle du président américain, Donald Trump, dans la lutte contre l'extrémisme au Moyen-Orient, les personnes interrogées au Qatar constituent le pan de l'opinion arabe le plus critique de ce qui se fait et se défait à Washington.
«Dans quelle mesure Trump a-t-il avancé ou entravé la lutte contre l'extrémisme?» Cette question a été posée à 1 960 personnes dans 18 pays arabes. Dans l'ensemble, 56 % des personnes interrogées ont estimé qu'il avait entravé ce combat. Parmi les personnes interrogées au Qatar, ce point de vue grimpe à 79 %.
Les sondés au Qatar n’approuvent pas non plus le retrait de Trump en mai 2018 du Plan d'action global conjoint (JCPOA), mieux connu sous le nom d'accord nucléaire iranien. Cette décision, accompagnée des sanctions économiques réimposées à Téhéran, compte pour 33 % des personnes interrogées dans ce pays du Golfe comme une raison de déclarer le Moyen-Orient un lieu moins sûr. À 35 % (des 2 187 personnes interrogées), une proportion panarabe en convient.
«Malgré les relations officielles entre le Qatar et les États-Unis, tous les médias qatariens, en particulier Al Jazeera, bombardent l'opinion publique qatarie et le monde arabe avec un discours anti-Trump», a déclaré le Dr. Abdulkhaleq Abdulla, ancien président du Conseil arabe des sciences sociales. Ce sont eux qui façonnent l'opinion publique et il semble que cela n’incommode pas le gouvernement, malgré les relations avec l'administration Trump. Il y a des contradictions entre la position officielle du pays et l'opinion publique.
Depuis le début du boycott arabe du Qatar le 5 juin 2017, l'État du Golfe, riche en gaz, a pris un certain nombre de mesures pour renforcer ses relations avec les États-Unis et atténuer les effets de son isolement diplomatique. Mais les engagements multiples auprès de l’Iran, pays considéré par beaucoup dans l'establishment de la politique étrangère américaine comme un «acteur malveillant», subsistent. Les deux pays se partagent le plus grand champ de gaz naturel du monde, South Pars.
Le résultat est que l'opinion publique au Qatar est un peu plus molle sur l'Iran qu'ailleurs dans la région arabe, et les résultats de l'enquête Arab News / YouGov le montrent. Le meurtre de Soleimani était considéré comme événement «négatif pour la région» par 52% des personnes interrogées dans l'ensemble, mais ces sentiments étaient particulièrement intenses au Qatar, avec 62%.
La frappe est en revanche considérée comme «positive pour la région» en Arabie saoudite, au Yémen et en Irak par 68%, 71% et 57% des personnes interrogées, respectivement. Soleimani, chef des troupes d’Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique de 1998 jusqu'à sa mort, a été tué dans une frappe de drone américain près de l'aéroport de Bagdad, aux côtés du commandant des mandataires paramilitaires de l'Iran en Irak, Abu Mahdi Al-Muhandis.
La divergence de positions est également apparente lorsqu'on demande aux Qataris comment le prochain président américain devrait aborder ses relations avec l'Iran. Une majorité (55%) veut revenir à l'accord sur le nucléaire, tandis qu'un plus petit nombre, 16% souhaitent le maintien des sanctions et que Washington maintienne une posture de guerre.
Encore une fois, en comparaison, sur 1 949 personnes interrogées dans la région Mena au sens large, seulement 34% disent vouloir voir le JCPOA revitalisé. 33% ont déclaré vouloir voir les sanctions se poursuivre et les États-Unis maintenir une posture de guerre.
Compte tenu de l'opposition qatarienne apparente à l'agenda de Trump en Iran, en plus de l'espoir que Biden puisse relancer l'accord nucléaire dont il a participé à la rédaction en 2015 – il n'est peut-être pas surprenant de voir seulement 6% des répondants au Qatar déclarer qu'ils voteraient pour Trump si l'occasion se présentait, tandis que 57% ont déclaré qu'ils voteraient pour Biden.
Certes, la région dans son ensemble semble pencher du côté de Biden – avec 12% des personnes disant qu'ils voteraient pour le président républicain et 40% signalant qu'ils soutiendraient son adversaire démocrate – mais l'antipathie qu’inspire Trump au Qatar est particulièrement frappante.
Pour Varsha Koduvayur, chef analyste de recherche à la Fondation pour la défense des démocraties, les résultats de la nouvelle enquête Arab News / YouGov reflètent la sensibilisation du public aux vives tensions géopolitiques dans la région depuis la mort de Soleimani.
«Ce jeu de surenchère entre Washington et Téhéran joue certainement un rôle dans la façon dont les personnes interrogées ont compris cette question», a déclaré Koduvayur à Arab News.
Elle a déclaré que la relation de Doha avec Téhéran est l’une des gouttes qui ont fait déborder le vase, lorsque les pays du CCG ont choisi de réimposer leur embargo. «Le Qatar a toujours été aussi excentrique, et pas toujours dans un sens positif, dans le CCG», a-t-elle déclaré.
Les résultats de l'enquête Arab News / YouGov semblent confirmer cette divergence d'opinion. «Cette réponse me rappelle un principe», a déclaré Koduvayur à Arab News. «Le Qatar a parfois sa propre politique indépendante, mais cela ne correspond pas toujours à ce que pense le reste du CCG, ni à ce que pensent les États-Unis, ni même aux intérêts américains dans la région.»
Enfin, pour un pays accusé par trois membres du CCG, en plus de l'Égypte, de soutenir l'extrémisme et les Frères musulmans, les données récoltées au Qatar sont peu surprenantes. A la question «Sur quoi voudriez-vous que le prochain président américain se concentre durant les prochaines années?» les personnes interrogées au Qatar choisissent les réponses «Contenir l'Iran et le Hezbollah», «Affaiblir les partis islamistes» et «Mettre fin au terrorisme islamique radical» à raison de 17%, 6% et 6% respectivement.
Le «terrorisme islamique radical», «l'Iran» et les «partis islamistes» comme «trois plus grandes menaces auxquelles le monde arabe est confronté» ont recueilli respectivement 22%, 11% et 7% des sondés au Qatar, vraisemblablement pour les mêmes raisons. Cela est en grand contraste avec les chiffres plus élevés à l'échelle régionale - 33%, 20% et 16%.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com