PARIS: La crise sanitaire l'avait mise en sommeil: la chasse aux meublés touristiques frauduleux est rouverte à Paris, où plusieurs tours de vis législatifs ont compliqué la possibilité de louer des appartements sur des plateformes comme Airbnb.
En ce mardi matin à Montmartre, une vingtaine d'agents de la Ville, affectés au Bureau de la protection des locaux d'habitation (BPLH), se rassemblent devant un café pour leur première opération d'envergure depuis le retour massif des touristes. "C'est un peu la rentrée", acquiesce Alice Veyrié, sous-directrice de l'habitat.
Leur objectif: dénicher, à partir des listes fournies par les plateformes comme Airbnb, des éléments récoltés en ligne et de leurs données, "les meublés de tourisme qui sont loués en infraction", explique Mme Veyrié.
Dans la foulée des récents durcissements administratifs et victoires judiciaires, la Ville traque désormais "les meublés touristiques qui n'ont pas de numéro d'enregistrement, ceux qui sont loués au-delà de 120 jours en résidence principale, et les résidences non principales louées dès le premier jour sans transformation d'usage", selon Alice Veyrié.
"Il faut tout faire pour éviter que ce retour des touristes, qui est bienvenu, nous conduise à un retour des locations touristiques illégales au détriment du logement des Parisiens", résume l'adjoint (PCF) au logement Ian Brossat.
Touristes questionnés
Carte d'agent assermenté autour du cou et fichier d'indices à la main, Nathalie et Emilie (les prénoms ont été modifiés) visent un immeuble dans une impasse, à deux pas du Sacré-Cœur, dans lequel elles suspectent plusieurs fraudes.
Dans la cour, la porte d'un studio ressemblant furieusement à une location touristique est défoncée.
En face, une première prise: un couple de touristes québécois se soumet volontiers aux questions des agentes, qui veulent vérifier si le souplex loué correspond bien à celui repéré. Officiellement une résidence principale, mais qui affiche sur son annonce en-ligne une quarantaine de commentaires.
Avec le plafond de 120 jours de location par an pour les résidences principales, nombre de ces commentaires mettent à la puce à l'oreille des agents, à tel point que les propriétaires fraudeurs "les enlèvent parfois car ils savent que c'est un critère de contrôle", glisse Emilie.
Pour les locations non déclarées, boîtes à clés, boîtes aux lettres pleines, paillassons Tour Eiffel et décorations neutres sont autant d'indices à confirmer auprès du voisinage.
Dans un autre immeuble, une propriétaire désigne trois appartements suspects. Devant l'un d'eux, les agents tombent nez-à-nez avec un homme qui emmène du linge à la laverie et se présente comme un "ami" du propriétaire.
"Il habite ici et loue sur Airbnb un petit peu quand il part en vacances, un mois et demi par an", dit-il sans convaincre Emilie.
Dans l'autre cage d'escalier, un homme venu du Tarn travailler deux mois dans la restauration dit loger dans un appartement "prêté" par un ami. Deux étages plus bas, un Italien évoque confusément une location via "un ami, avec une agence".
Jusqu'à 50 000 euros d'amende
Leur voisine, ancienne concierge qui préfère rester anonyme, dit avoir "souffert" de ces changements de locataire répétés.
Mais la route est encore longue avant de présenter un dossier devant la justice administrative. "Pour faire aboutir un dossier, il faut en moyenne trois mois, les juges sont très exigeants", souligne un autre agent. "Un tiers des dossiers sont déboutés."
Une centaine de dossiers sont en attente de jugement, les propriétaires encourant jusqu'à 50.000 euros d'amende.
En 2021, la plateforme Airbnb, attaquée par la Ville, a été condamnée à 8 millions d'euros d'amende pour avoir publié un millier d'annonces sans numéro d'enregistrement. Plus de 200 propriétaires ont également été condamnés pour non respect du code de l'urbanisme ou du code du tourisme.
En réaction à l'opération, Airbnb a dit prendre "les problèmes de logement au sérieux et travaille avec le gouvernement français et les villes pour les aider à s'enregistrer et à contrôler l'application de la réglementation".
La plateforme a souligné que "la grande majorité des annonces à Paris sont des logements familiaux loués moins de 50 nuits par an" et que leur location "constitue une bouée de sauvetage pour des milliers de familles à faibles revenus".