BOGOTA: La troisième fois a été la bonne pour Gustavo Petro, et elle est historique ! Pour la première fois un président de gauche a été élu à la tête de la Colombie.
Vieux routier de la politique colombienne, ex-guérillero, maire de Bogota puis sénateur, Gustavo Petro qui se considère toujours à 62 ans comme un "révolutionnaire", a battu au second tour dimanche son rival inclassable mais soutenu par la droite traditionnelle, Rodolfo Hernandez, qui a reconnu sa défaite.
"Aujourd'hui est un jour de fête pour le peuple. Laissez-le célébrer la première victoire populaire", ont été ses premiers mots sur Twitter, peu après l'officialisation de sa victoire.
"J'ai consacré ma carrière à ce combat pour la justice sociale, contre les inégalités et la corruption" disait-il durant la campagne, se disant "prêt à conduire le destin" du pays et à "gouverner par l'amour et non par la haine".
Alors qu'il anticipait un classique duel face à la droite, la qualification surprise de l'indépendant Rodolfo Hernandez pour le second tour dimanche a changé la donne, tous deux se présentant en rupture avec l'élite qui dirige le pays depuis toujours.
"Après tant d'années d'un système dirigé par les mêmes personnes et qui ne fonctionne pas pour la majorité, le changement est l'aspiration et la lutte de toute la Colombie", souligne-t-il.
Rassurer
Le leader de la coalition de gauche du "Pacte historique" voulait changer le cours de "200 ans d'histoire". Il l'a fait dimanche en devançant son adversaire de plus de 700.000 voix.
Petro va devoir rassurer les conservateurs, hommes d'affaires, grands propriétaires et militaires, qui craignent un "saut dans le vide" avec cette victoire de la gauche et qui ont agité en vain l'épouvantail du "communisme" ou l'exemple du Venezuela voisin "socialiste bolivarien" plongé dans la crise.
Ses adversaires l'ont attaqué sur son passé au sein du M-19, une guérilla urbaine d'extrême gauche qui a signé un accord de paix en 1990. Mais les Colombiens ont acté sa volonté de "changement".
Lui se décrit comme un "progressiste" plutôt que comme un "gauchiste", conscient du rejet que le terme peut susciter dans un pays martyrisé par six décennies de conflit avec différentes guérillas.
Il incarne néanmoins toujours une gauche latino-américaine classique, héritière des années 60/80, en léger décalage avec une nouvelle génération plus soucieuse d'écologie, de féminisme et d'antiracisme que représente sa colistière, la charismatique afro-colombienne Francia Marquez.
Guérillero
La révolte de Gustavo Petro, issu de la classe moyenne et éduqué par des prêtres, prend racine dans son rejet du coup d'Etat militaire au Chili en 1973 contre le président Salvador Allende, ainsi que dans une présumée "fraude électorale" à la même période contre un parti populaire colombien.
Admirateur du Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez, il avait adopté pendant sa clandestinité le nom d'Aureliano, personnage de "Cent ans de solitude".
Mais il a toujours été un combattant "médiocre", ont raconté ses compagnons d'armes. Arrêté et torturé par l'armée, il a été emprisonné pendant un an et demi.
Dans ses mémoires intitulées "Une vie, plusieurs vies", il reconnait n'avoir jamais eu la "vocation militaire" (...) "ce que je voulais faire c'était la révolution". Une étiquette de "révolutionnaire" qu'il n'a cessé de revendiquer, avec son souci d'aider "les plus pauvres".
L'un des mots phares de sa campagne -"la vie"- est inspiré de son catholicisme, influencé par la Théologie de la libération. Il est d'ailleurs l'unique candidat de cette élection à avoir rencontré le pape François.
La confiance sera difficile à gagner avec les militaires qui devront lui jurer fidélité et accepter les négociations de paix qu'il souhaite relancer avec les rébellions toujours actives, ainsi que l'offre qu'il compte proposer aux narcotrafiquants de se soumettre à la justice.
Député, sénateur, puis maire de Bogota de 2012 à 2015, Gustavo Petro a été contraint à un exil de trois ans en Europe après des menaces de mort et était un des hommes politiques les plus protégés du pays. Il le sera encore plus depuis dimanche.
Comme parlementaire, il a dénoncé les liens entre politiques et groupe paramilitaires d'extrême droite. Mais son passage à la mairie de la capitale a laissé un souvenir mitigé, l'image d'un homme autoritaire, médiocre gestionnaire.
Un de ses conseillers à cette époque, Daniel Garcia-Peña, critique son "despotisme" et sa "difficulté à travailler en équipe", tout en reconnaissant sa connaissance du pays. D'autres lui reprochent une forme de messianisme, de se croire un destin avec un peu trop d'ego.
Passionné de géographie, Gustavo Petro est marié et père de six enfants de plusieurs femmes. Dans une récente interview, sa fille adolescente Sofia s'est félicitée de "considérer son père comme un homme en déconstruction, une grande victoire pour le féminisme".