BOGOTA : Il y a près d'un an, la rue colombienne s'enflammait, avec les jeunes en fer de lance contre le gouvernement. Dimanche, pour le second tour de la présidentielle, ces mêmes jeunes pourraient bien faire la différence s'ils rompent avec leur abstentionnisme historique.
Printemps 2021 : sonné par la pandémie, le pays explose à l'annonce d'un projet d'augmentation des impôts par le gouvernement conservateur d'Ivan Duque. La classe moyenne, jeunes en tête, descend dans les rues des grandes villes. Le mouvement est durement réprimé par la police, avec au moins 44 morts.
Il révèle un malaise profond dans une des sociétés les plus inégalitaires au monde. Un an après, "le problème social n'a pas été résolu (...) il s'est juste calmé", analyse pour l'AFP Danny Ramirez, de l'Université du Rosario. Et pourrait ressurgir à tout moment.
Dimanche, les Colombiens choisiront entre le sénateur de gauche Gustavo Petro, 62 ans, et un homme d'affaires indépendant, idéologiquement inclassable, Rodolfo Hernandez, 77 ans, champion auto-proclamé de la lutte contre la corruption.
Le scrutin s'annonce très serré, et dans la dernière ligne droite les candidats font la chasse aux abstentionnistes (45%) comme aux indécis (2% à 5%).
Selon l'Institut de sondage Cifras y Conceptos, près de la moitié des jeunes n'ont pas voté au premier tour le 29 mai, représentant un réservoir de neuf millions de voix.
Défiance envers les institutions, insatisfaction à l'égard du système éducatif, chômage : 52% des jeunes ne se sentent représentés par aucun des deux candidats. Par ailleurs, 81% d'entre eux se méfient de l'exécutif, 80% des partis politiques et 78% du Parlement, selon une autre enquête datant d'avril.
Ces nouvelles générations nées dans les villes, loin du conflit armé qui a éludé pendant des décennies la contestation sociale, encouragent les causes féministes, environnementales ou ethniques, constate M. Ramirez. Mais si elles "dynamisent" les débats électoraux, elles se rendent rarement jusqu'aux urnes.
"J'ai l'impression que ce sont les mêmes personnes que d'habitude qui gouverneront à nouveau (...) il serait bien mieux que ce soit quelqu'un qui n'a pas tant d'histoire avec la politique", confie à l'AFP Sebastian Rodriguez, 22 ans, caissier à Bogota qui votera blanc... s'il va voter.
Emploi, éducation, santé et violence sont pourtant les préoccupations de la jeunesse, énumère David Yepes, de la Fondation Idées pour la paix, qui mène des recherches sur les manifestations de 2021. "Il y a un certain nombre de promesses non tenues qui ont ouvert un trou béant entre les jeunes et les institutions", s'inquiète-t-il.
Nouvelle explosion ?
Selon les sondages, les jeunes s'identifient davantage au programme de M. Petro (62%). A la tête de la mairie de Bogota (2012-2015), ce dernier a tissé des liens avec les jeunes en se posant en défenseur des droits humains, de l'environnement et pour l'éducation gratuite. Il a soutenu sans réserve les manifestations de 2021 et critiqué la réponse du gouvernement.
Son choix d'une Afro-Colombienne, Francia Marquez, comme colistière pour la vice-présidence, s'est avéré payant: charismatique, elle a porté un discours féministe, écologiste et antiraciste qui résonne chez les jeunes, plus que les dogmes habituels de la gauche latino-américaine.
Cristina Andrade, une psychologue de 25 ans, choisira Gustavo Petro "essentiellement en raison de ses propositions, mais aussi parce qu'il est soutenu par Francia". "Le plus important, c'est la question environnementale que Rodolfo Hernandez n'a pas...", explique-t-elle l'AFP.
L'ancien maire de la ville de Bucaramanga (nord), surnommé "le vieux de TikTok", a toutefois su, lui aussi, aborder la nouvelle génération.
Il "ne se comporte pas comme un politicien traditionnel. Sa façon d'être, son discours disruptif lui permettent d'établir un lien facile avec les jeunes", explique Fabian Mayorga, 22 ans, coordinateur des Jeunes avec Hernandez.
Le candidat indépendant promet qu'il répondra aux aspirations de la jeunesse s'il est élu et que la police anti-émeute "ne sera pas utilisée brutalement contre le droit des gens à manifester".
Il est cependant plus imprévisible dans ses projets, observe M. Ramirez. "Nous ne savons pas comment il ferait face à une explosion sociale. Il a un style plutôt conflictuel (...) qui ne permet pas, pour autant que nous l'ayons vu, le dialogue ou le débat d'idées".