BOGOTA: Entre suspicion envers le candidat de gauche Gustavo Petro, qui leur rappelle le pouvoir chaviste qu'ils ont fui, et les anciennes déclarations aux accents xénophobes du candidat indépendant Rodolfo Hernandez, les migrants vénézuéliens observent avec circonspection la présidentielle en Colombie.
Plus de 5 millions de Vénézuéliens ont fui la crise politico-économique dans leur pays depuis 2015 selon l'ONU, dont 2 millions vivent désormais en Colombie. Noyés dans les difficultés du quotidien, la plupart suivent de loin le scrutin du second tour du 19 juin.
Pour Francisco Rivas, commis de cuisine arrivé "à pied" il y cinq ans, la présidentielle dans son pays d'accueil se limite aux bribes de discussions entendues derrière son comptoir.
"Certains disent que Petro va aider le Venezuela, d'autres disent qu'il sera occupé ailleurs (...). Tout va continuer de la même manière", dit-il, dans un pied de nez au "changement" promis à longueur de discours par les deux candidats.
Le thème sensible de la migration vénézuélienne est resté relativement absent de la campagne électorale, par ailleurs particulièrement polarisée sur de nombreux autres sujets.
L'afflux de ces migrants avait pourtant suscité de vifs débats en Colombie où ils ont été souvent accusés d'occuper les emplois des locaux ou de contribuer à l'insécurité urbaine, avec un climat de xénophobie qui s'est intensifié.
Dans une politique louée comme "modèle" par les Etats-Unis et l'Union européenne, le gouvernement sortant du président conservateur Ivan Duque a finalement décidé en 2021 leur régularisation massive afin d'aider à leur intégration.
Le sujet est depuis lors relativement sous le radar et les deux candidats ont peu évoqué la question.
Tous deux se sont bornés à promettre une reprise des relations diplomatiques, rompues depuis 2019 entre les deux rivaux idéologiques (Caracas est allié de Moscou, Bogota est le meilleur partenaire des Etats-Unis en Amérique latine). Et d'être solidaires avec les migrants vénézuéliens.
M. Hernandez estime notamment que "le pays a une dette historique envers le Venezuela", quand il accueillait des millions de Colombiens fuyant le conflit armé au début des années 2000.
En 2017, maire d'une grande ville du nord, il avait déclaré: "Tous les mendiants du Venezuela sont venus ici, la prostitution et les chômeurs. (...) Nous ne pouvons pas les tuer ou les plomber (sic). Nous devons les accueillir, tout comme le Venezuela a accueilli plus de 4 millions de Colombiens".
Pour Gustavo Petro, une "Colombie sans xénophobie accueille la population migrante comme un sujet de droits".
«Prise de risque»
Aujourd'hui, "il n'y a pas de votes sur le thème migratoire", observe Ronal Rodriguez, chercheur à l'Université de Rosario. "Approfondir ce sujet" pour le scrutin "aurait été une prise de risque" inutile pour les candidats alors que les Vénézuéliens ne votent pas.
"Ami Colombien, si tu fais une erreur en votant, tu m'accompagneras à pied pour fuir la crise, comme je l'ai fait", ironise Marco Alexander Asanco Chavez, ingénieur reconverti en livreur à domicile depuis qu'il a fui la misère au Venezuela.
"En Amérique latine ces dernières années, la gauche gagne souvent. Et on sait que le socialisme peut détruire beaucoup de choses...", juge le Vénézuélien de 32 ans, qui dit "n'avoir aucun candidat favori".
"Petro ne me plaît pas pour son inclinaison vers le socialisme", embraye un de ses amis, livreur à vélo comme lui. Mais Rodolfo Hernandez ne l'enchante pas non plus, "car je ne pense pas qu'il souhaite réellement aider les citoyens d'autres pays comme moi", dit-il.
Beaucoup de migrants s'interrogent surtout sur la poursuite de la politique du permis de protection temporaire (PPT), le titre de régularisation de dix ans accordé par les autorités colombiennes et qui leur permet d'accéder à des services essentiels comme la santé et l'éducation.
"Je crains l'arrêt de ce dispositif", explique Alejandro Daly, 25 ans.
Si son annulation reste peu probable, la poursuite de sa mise en oeuvre dépendra de la volonté politique du futur dirigeant, estime l'universitaire Ronal Rodriguez.
Ingrid Mojica, vendeuse ambulante de galettes sur une avenue de Bogota, a déjà tranché: "Si la situation empire, je retourne au Venezuela ou (je pars) dans un autre pays".