Ukraine: La confiance est essentielle pour la reprise des exportations de céréales

Un champ de blé dans une ferme de la région de Mykolaiv, dans le sud de l’Ukraine, le 11 juin 2022 (Photo, AFP).
Un champ de blé dans une ferme de la région de Mykolaiv, dans le sud de l’Ukraine, le 11 juin 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 15 juin 2022

Ukraine: La confiance est essentielle pour la reprise des exportations de céréales

Ukraine: La confiance est essentielle pour la reprise des exportations de céréales
  • La mer Noire est au cœur de la sécurité alimentaire mondiale
  • La région est à l’origine de l'écrasante majorité de la production et de l'exportation de céréales et d'huiles de cuisson

Aucune région du monde n'est davantage exposée aux menaces pesant sur cet approvisionnement que le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, qui dépend de la Russie et de l'Ukraine pour plus de la moitié de ses besoins. Dans de nombreux pays de cette région, comme l'Égypte et le Liban, la proportion est bien plus élevée.

Cette semaine, les pourparlers menés par avec la Turquie avec la Russie en vue de la reprise des exportations de céréales via le Bosphore sont au point mort, ce qui pourrait faire perdre une occasion importante d'atténuer la crise des denrées de base et de prévenir la famine et l’agitation populaire. La méfiance mutuelle et les programmes contradictoires continueront de retarder les livraisons alimentaires urgentes à mesure que s’aggravent les conséquences du conflit en Ukraine.

Auparavant, l'Ukraine expédiait plus de 50% de ses exportations de céréales depuis son principal port de la mer Noire, Odessa. Depuis février, les grues de chargement sont à l'arrêt, le port étant bloqué par la flotte russe en mer Noire et la côte minée par les forces armées ukrainiennes.

Cette paralysie a eu un effet notable sur la sécurité alimentaire mondiale. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, 20 millions de tonnes de céréales destinées aux marchés mondiaux sont bloquées en Ukraine, les silos de stockage étant utilisés à pleine capacité.

La semaine dernière, le Tchad, dont les réserves de céréales sont épuisées, s’est déclaré en situation de crise alimentaire. En Égypte, 300 000 tonnes de céréales payées n’ont toujours pas été livrées, ce qui exerce une forte pression sur un État qui subventionne chaque jour le coût de 270 millions de miches de pain.

Le gouvernement ukrainien estime qu'environ 22 millions de tonnes de produits alimentaires - dont du blé, du maïs, de l'orge et des graines de tournesol, une source essentielle pour l'huile végétale - restent bloquées dans les ports. Cette accumulation a créé des pénuries chroniques d'approvisionnement et de fortes hausses de prix qui se font déjà sentir dans le monde entier, et de façon particulière dans le monde arabe.

Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré que jusqu'à 1,6 milliard de personnes dans le monde en seraient touchées. La guerre «menace de déclencher une vague sans précédent de faim et de misère, créant un chaos social et économique», a-t-il averti.

Un accord sur les exportations de céréales via la mer Noire serait essentiel pour résoudre cette crise. Bien que 80% des terres agricoles ukrainiennes restent sous le contrôle du pays, la Russie a pris la majeure partie du littoral et a bloqué le reste avec une flotte d'au moins 20 navires, dont quatre sous-marins.

L'Ukraine, quant à elle, a déployé des mines marines pour empêcher la perte de nouveaux ports, mais cela signifie que les exportations sont impossibles. Bien que les barges sur le Danube et les routes terrestres permettent aux exportations ukrainiennes de se poursuivre dans une certaine mesure, cela ne représente qu’une maigre partie par rapport à ce qui est nécessaire.

Aux frontières terrestres, des files d'attente pouvant atteindre 25 km de long s’amassent en raison des procédures d'importation complexes de l'UE. Le long des principaux axes de transport ferroviaire, le temps d'attente moyen aux frontières pour changer de wagon est de 16 jours, mais il peut atteindre 30 jours.

Seul membre de l'Otan à partager des frontières aussi bien avec la Russie qu’avec l'Ukraine, la Turquie a tenu à montrer qu'elle travaillait à la médiation du conflit

Zaid M. Belbagi

Avant la guerre, 90% des exportations ukrainiennes passaient par la mer Noire, et cela reste la seule voie possible si l’on veut éviter une catastrophe plus générale. La Russie a effectivement accepté un «corridor» de transport pour les exportations de céréales d'Ukraine, proposant de retirer sa marine pour permettre les expéditions à partir d'Odessa et de Marioupol en échange d'une suspension des sanctions internationales. Il reste toutefois de nombreux écueils à surmonter avant que Kiev ne puisse s’embarquer dans cette voie.

Entre-temps, la pénurie mondiale de blé se fait de plus en plus pressante. Les pourparlers qui ont eu lieu à Ankara la semaine dernière ont mis en évidence les difficultés auxquelles se heurtent les efforts déployés pour parvenir à une solution, la tentative turque de négocier un passage sûr pour les céréales bloquées dans les ports de la mer Noire rencontrant de la résistance, l'Ukraine et la Russie ne parvenant pas à un accord.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré qu'il incombait à l'Ukraine de retirer les mines de ses ports comme condition préalable à une navigation sûre. Bien que le gouvernement ukrainien ait des inquiétudes légitimes concernant le blocus maritime russe, aucun assureur international n’accepte de garantir les marchandises passant à travers les champs de mines. Cette question reste donc centrale pour sortir de l'impasse.

Bien que la participation de la Turquie aux pourparlers soit conforme à sa décision prise après le début de la guerre, en vertu de la Convention de Montreux, de fermer ses détroits à la navigation militaire, son rôle, tout comme ceux de la Russie et de l'Ukraine, se fonde résolument sur les préoccupations de sa propre politique étrangère. Compte tenu de son intention d’avancer de 30 kilomètres supplémentaires en Syrie pour établir une zone démilitarisée autour de sa frontière avec les régions kurdes, Ankara doit avoir la Russie à ses côtés.

En tant que seul membre de l'Otan à partager des frontières aussi bien avec la Russie qu’avec l'Ukraine, la Turquie a tenu à montrer qu'elle travaillait à la médiation du conflit. Cependant, sa position reste délibérément ambiguë car elle a soutenu Kiev, mais a refusé d'imposer des sanctions à Moscou.

En essayant maintenant d'aider à sécuriser les exportations de céréales, elle cherche à réaliser un coup diplomatique dans ses relations avec l'Occident sans contrarier les Russes avant l’avancée majeure d'Ankara en Syrie.

Selon Yoruk Isik, du Bosphorus Observer: «La Russie n'offrira pas à la Turquie ce coup d'État diplomatique sans obtenir quelque chose en retour. Seul un front uni, avec tous les acteurs internationaux, forcera la main à la Russie pour trouver une solution.»

Un effort conjugué est en effet nécessaire pour trouver une solution à la crise. Toute exportation de céréales ukrainiennes nécessitera non seulement une escorte internationale, mais aussi des efforts multilatéraux pour déminer la zone.

La guerre a perturbé les exportations de céréales nécessaires pour nourrir certaines des populations les plus vulnérables de la planète. Si la situation perdure, la récolte de l'année dernière pourrira et celle de cette année sera fortement compromise.

L'importance de la coopération internationale n'a été que trop clairement mise en évidence pendant la pandémie de la Covid-19. La communauté internationale doit maintenant montrer qu'elle en a tiré les leçons et commencer à coopérer pour éviter une famine généralisée.

 

Zaid M. Belbagi est chroniqueur politique, et conseiller de clients privés entre Londres et le CCG.

Twitter: @Moulay_Zaid

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com