GENEVE: La première réunion ministérielle de l'OMC depuis plus de quatre ans a démarré dimanche à Genève avec l'espoir fragile que les 164 Etats membres se mettent d'accord sur la pêche, les brevets des vaccins anti-Covid ou une stratégie pour éviter une crise alimentaire mondiale, mais les divergences restent grandes.
D'emblée, la directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, s'est dite "prudemment optimiste" et a affiché des ambitions mesurées. Elle estime que si l'organe de décision suprême de l'OMC arrive à tomber d'accord sur au moins "un ou deux" sujets, "ce sera un succès".
Le chemin "sera chaotique et il y aura peut-être quelques mines le long de la route, il nous faudra les éviter", a déclaré Mme Ngozi, aux commandes de l'organisation depuis 15 mois.
L'OMC fonctionnant par consensus, il suffit de l'opposition d'un seul membre pour tout faire capoter. L'organisation a perdu en pertinence faute de pouvoir conclure des accords majeurs, le dernier remontant à 2013.
Il n'y a aucune garantie de résultats importants à Genève malgré les efforts vigoureux déployés par Mme Okonjo-Iweala, première femme et première personnalité originaire d'Afrique à diriger l'organisation.
Crise alimentaire
Il s'agira notamment d'aider à une solution face au risque de grave crise alimentaire que fait planer sur le monde entier l'invasion par la Russie de l'Ukraine, dont les terres fertiles nourrissent traditionnellement des centaines de millions de personnes sur la planète. Le conflit débuté le 24 février par Moscou a provoqué une flambée des prix.
Les tensions se sont manifestées dimanche lors d'une réunion à huis clos pendant laquelle des délégués ont pris la parole pour condamner l'agression russe. Le délégué ukrainien, qui s'est aussi exprimé, a été accueilli par une ovation debout, selon le porte-parole de l'OMC, Dan Pruzin.
Puis, juste avant que le ministre russe du Développement économique Maxime Rechetnikov parle, une trentaine de délégués "ont quitté la salle", a expliqué M. Pruzin.
Un projet de déclaration ministérielle promet "de prendre des mesures concrètes" pour faciliter le commerce et améliorer le fonctionnement des marchés, "y compris les céréales et les engrais".
Le texte porte une attention particulière aux pays les plus démunis. Les responsables internationaux n'ont pas oublié les émeutes de la faim et le Printemps arabe il y a une dizaine d'années.
"J'espère que vous ferez collectivement ce qu'il faut faire", a lancé Mme Ngozi aux délégués.
Peu avant, plus d'une cinquantaine de pays dont l'UE et les Etats-Unis avaient redit leur solidarité avec l'Ukraine en présence du représentant ukrainien du Commerce, Taras Kachka, dans une cérémonie et une déclaration communes.
Pêche miraculeuse ?
La pêche reste le dossier phare de la réunion. Le texte, qui s'inscrit dans les objectifs du millénaire de l'ONU, doit en particulier supprimer les subventions qui peuvent encourager la surpêche ou les prélèvements illégaux.
Des progrès ont été faits ces derniers mois sur des contentieux qui paraissaient jusque-là insurmontables. L'idée que les querelles d'appartenance territoriale – nombreuses et ultra-sensibles – se traitent à l'OMC a été écartée.
Des progrès ont aussi été faits pour définir le mécanisme de traitement préférentiel réservé aux pays en développement, mais l'Inde réclame une période d'exemption de 25 ans. Trop long, rétorquent de nombreux membres, qui visent plutôt 2030.
"Nos enfants nous pardonneront-ils, les pêcheurs pauvres nous pardonneront-ils si nous acceptons que nos océans soient vidés?", a lancé Mme Ngozi, alors que le succès de la réunion dépendra en bonne partie du sort de ce texte.
Intransigeance indienne
L'intransigeance indienne, soulignée par de nombreux diplomates, pourrait faire capoter d'autres dossiers.
"Il n'y a pas un seul sujet que l'Inde ne bloque pas", déplore un ambassadeur basé à Genève, citant notamment la réforme de l'OMC et l'agriculture.
Dans son premier discours, le ministre indien du Commerce Piyush Goyal n'a pas donné de signe d'ouverture. Il a rappelé qu'en matière agricole, des promesses fermes faites aux pays en développement il y a presque 10 ans n'étaient toujours pas tenues. Il a aussi souligné que les droits des pêcheurs indiens "ne peuvent être limités d'aucune manière", assurant que c'est aux pays qui ont vidé les océans à coup de subventions "d'assumer leurs responsabilités".
Les ministres sont également attendus sur la pandémie de Covid-19, avec deux textes en discussion. L'un doit faciliter la circulation des ingrédients nécessaires à la lutte contre les pandémies, l'autre doit permettre une levée temporaire des brevets des vaccins anti-Covid.
Ce dernier sujet divise, l'industrie pharmaceutique y voyant un affaiblissement de la propriété intellectuelle, alors que pour les ONG, le texte ne va pas assez loin. Là aussi l'issue reste incertaine.