Pendant la guerre, les affaires continuent via le Bosphore

Parmi les hautes silhouettes remontant le Bosphore, au cœur d'Istanbul, des navires commerciaux immatriculés en Russie vont et viennent dans les deux directions. Aux portes de la mer Noire, le commerce bat son plein. (AFP)
Parmi les hautes silhouettes remontant le Bosphore, au cœur d'Istanbul, des navires commerciaux immatriculés en Russie vont et viennent dans les deux directions. Aux portes de la mer Noire, le commerce bat son plein. (AFP)
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Publié le Samedi 04 juin 2022

Pendant la guerre, les affaires continuent via le Bosphore

  • Cargos et pétroliers poursuivent leurs rotations vers les ports russes et ukrainiens, comme si la guerre qui sévit à deux jours de navigation plus au nord n'existait pas
  • L'Union européenne ayant décrété un embargo sur les importations russes, il est étonnant de voir des tankers sous pavillon grec ou maltais remonter le Bosphore, puis la Mer Noire, jusqu'aux ports russes

ISTANBUL : Parmi les hautes silhouettes qui glissent sur le Bosphore, au cœur d'Istanbul, cargos et pétroliers poursuivent leurs rotations vers les ports russes et ukrainiens. Comme si la guerre qui sévit à deux jours de navigation plus au nord n'existait pas.

Aux portes de la Mer Noire, le commerce bat son plein et passe par la Turquie.

L'ambassadeur d'Ukraine à Ankara Vasyl Bodnar l'a d’ailleurs accusée, vendredi, d'acheter des céréales «volées sans vergogne» à son pays et exportées depuis les ports de Crimée, annexée par Moscou en 2014.

Après le début de l'offensive russe en Ukraine et les premières sanctions, les gros bâtiments des compagnies internationales se sont progressivement retirés au profit de bateaux plus modestes, mais plus nombreux, et leur total reste stable (autour de 40.000 avant-guerre, selon les observateurs.

Depuis sa terrasse en surplomb du Bosphore, voie de passage unique pour le trafic entre Mer Noire et Méditerranée, Yörük Isik les suit à la trace.

«Rien qu'en mai, on a compté au moins une dizaine de passages dont deux allers-retours de trois bâtiments battant pavillon russe... Sans oublier ceux qu'on aurait collectivement ratés», assure ce «veilleur». «Deux encore ce matin».

Tout en condamnant rapidement l'offensive russe en Ukraine, la Turquie a opté pour la neutralité entre les deux pays et ne s'est pas jointe aux sanctions occidentales contre Moscou.

Elle a banni le passage des bateaux militaires dès fin février sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, appliquant ainsi la Convention de Montreux. Mais ce Traité de 1936, ne l'autorise pas à intercepter des navires de commerce ni à les fouiller, fait valoir une source diplomatique à Ankara.

- Corridors -

«Nous n'observons leur parcours que sur 10 km, avant leur entrée et après leur sortie» se défend cette source sous couvert d'anonymat.

Un flou qui arrange bien Ankara, estime Elizabete Aunina, de l'Université d'Amsterdam: «Le libellé vague du Traité de Montreux ouvre de nombreuses interprétations: il n'envisage pas les cargos qui pourraient se livrer au pillage. La Turquie a donc intérêt à s'en tenir à l'interprétation la plus basique», juge-t-elle.

En revanche, l'Union européenne ayant décrété un embargo sur les importations russes, il est plus étonnant de voir des tankers sous pavillon grec ou maltais remonter le Bosphore, puis la Mer Noire, jusqu'aux ports russes.

Avec quelques applications de suivi en temps réel et libres d'accès (open source), un solide réseau de correspondants - activistes russes et ukrainiens, ONG) - et des images satellites, Yörük Isik «suit les bateaux de bout en bout, du chargement jusqu'à l'arrivée».

Certains cargos chargent le blé dans les ports d'Ukraine sous blocus russe comme Odessa, Tchornomorsk ou Marioupol, affirme-t-il. Empruntent le Bosphore, direction la Syrie - où la Russie conserve une base opérationnelle - puis le Liban ou l'Egypte.

Le «veilleur» a aussi identifié une flottille de vieux bateaux turcs, «jamais vus auparavant dans la région», qui apparaissent soudain sous pavillon de complaisance dans le port russe de Novorossiysk et qu'il soupçonne d'opérer au profit de commanditaires russes.

Il égrène quelques noms bien turcs: Kocatepe (devenu tanzanien), Barbaros (Guinée Equatoriale), Hizir (Malte), Sampiyon Trabzonspor (Cameroun)...

Ainsi, sans attendre l'instauration éventuelle de «corridors marins» que fait mine d'accepter Moscou - son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov arrive en Turquie mercredi pour en discuter - du blé ukrainien s'écoule tranquillement sous l'autorité de Moscou.

- Privés d'assurance -

«Nous avons ces informations, mais pas le droit d'arrêter ou de fouiller les bateaux de commerce, sauf s'il y a menace pour la Turquie», reprend la source diplomatique sans démentir ces accusations.

«Si la Russie exporte des produits ukrainiens, rien n'autorise la Turquie à arrêter les bateaux», confirme encore Yücel Acer, professeur de droit international à l'université d'Ankara. «A moins d'une résolution des Nations Unies», - hypothèse vaine tant que la Russie siège au Conseil de sécurité, reconnait-il.

Selon son ambassadeur, Kiev a «demandé l'aide de la Turquie», pour faire cesser les exportations frauduleuses de céréales.

Sans l'admettre ouvertement, la commission européenne a elle aussi relevé des trous dans le filet et s'apprête à donner un nouveau tour de vis, confie une source à Bruxelles: un nouveau train de sanctions contre Moscou va priver les opérateurs européens de leur assurance si leurs bateaux sont pris la main dans le sac.

«La plupart de ces bateaux sont couverts par des assurances européennes et britanniques: avec ce nouveau paquet, ils ne seront plus en mesure de les utiliser», explique cette source sous couvert d'anonymat qui annonce «un impact significatif» du dispositif.

Mais Ankara pourrait faire plus, insiste Elizabete Aunina: «après l'annexion de la Crimée, la Turquie avait interdit les bateaux provenant de Crimée dans ses ports: elle pourrait très bien faire de même aujourd'hui».

«Mais elle a choisi une interprétation basique de la Convention de Montreux pour ne pas avoir à s'impliquer dans le conflit» avance-t-elle.


Cyberattaques : Berlin a rappelé «pour consultations» son ambassadeur en Russie

L'ambassadeur allemand en Russie, Alexander Graf Lambsdorff  (Photo, AFP).
L'ambassadeur allemand en Russie, Alexander Graf Lambsdorff (Photo, AFP).
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  • Une cyberattaque a notamment ciblé des adresses email de responsables du SPD, le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz
  • Les pays occidentaux sont depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, en alerte maximum contre le risque d'attaques informatiques massives

BERLIN: Berlin a indiqué lundi avoir rappelé pour consultations son ambassadeur en Russie, Alexander Graf Lambsdorff, après avoir accusé vendredi un groupe de hackeurs russes contrôlé par Moscou d'une récente campagne de cyberattaques.

L'ambassadeur "restera une semaine à Berlin puis retournera à Moscou", a indiqué lors d'un point presse régulier la porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, Kathrin Deschauer, ajoutant que le gouvernement prenait "très au sérieux" cet "acte contre (notre) démocratie".

Les gouvernements allemand et tchèque ont accusé vendredi le groupe APT28, dirigé par les services de renseignement de la Russie, d'une récente campagne de cyberattaques dans leur pays respectif. Des accusations jugées "infondées" par la Russie.

Attaques ciblées 

Une cyberattaque a notamment ciblé des adresses email de responsables du SPD, le parti social-démocrate du chancelier Olaf Scholz, selon le gouvernement.

Berlin a annoncé vendredi la convocation du chargé d'affaires de l'ambassade de Russie, "pour faire comprendre au gouvernement russe que nous n'acceptons pas ces actions".

Les pays occidentaux sont depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, en alerte maximum contre le risque d'attaques informatiques massives et d'opérations de désinformation orchestrées par la Russie.


Exercice américano-philippin contre une «invasion» en mer de Chine

Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale (Photo, Fournie).
Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale (Photo, Fournie).
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  • Ces incidents font craindre un conflit plus large qui pourrait impliquer les Etats-Unis, allié des Philippines
  • La semaine dernière, les forces américaines participant à Balikatan avaient tiré des roquettes de précision Himars depuis l'île occidentale de Palawan

LAOAG: Les troupes américaines et philippines ont tiré lundi des obus et des missiles sur une force d'"invasion" imaginaire pendant des exercices en mer de Chine méridionale, dans le nord des Philippines où les deux pays ont récemment accusé la Chine de "conduite dangereuse et déstabilisante".

Plus de 16.700 soldats américains et philippins participent à ces manoeuvres annuelles navales, terrestres et aériennes organisées jusqu'au 10 mai dans une zone où les incidents à répétition entre embarcations chinoises et philippines font craindre un conflit plus large.

Les soldats américains massés sur les dunes de la côte nord-ouest des Philippines, près de la ville de Laoag, à 400 kilomètres au sud de Taïwan, ont tiré plus de 50 obus de 155 millimètres sur des cibles flottantes à environ cinq kilomètres de la côte, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Les troupes philippines ont enchaîné avec des tirs de roquettes vers les attaquants factices, avant que les deux forces ne finissent l'exercice avec des mitrailleuses, des missiles Javelin et d'autres salves d'artillerie.

Cet exercice à munitions réelles, baptisé "Balikatan" ("Epaule contre épaule" en tagalog, la langue philippine), vise à "se préparer au pire", a déclaré aux journalistes le commandant de la Première force expéditionnaire des Marines des Etats-Unis, Michael Cederholm.

"Il est conçu pour repousser une invasion", a-t-il ajouté sur le site de l'exercice, débuté le 22 avril dans plusieurs endroits des Philippines. "Notre flan nord-ouest est plus exposé", a détaillé à l'AFP le général philippin Marvin Licudine, dirigeant l'exercice pour la partie philippine. "A cause des problèmes régionaux, nous devons dès maintenant nous entraîner sur notre propre sol".

Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, une importante route commerciale. Elle ignore un arbitrage international qui lui a donné tort en 2016, et y fait patrouiller des centaines de navires des garde-côtes et de la marine.

La semaine dernière, Manille a accusé les garde-côtes chinois d'avoir endommagé un bateau des garde-côtes philippins et un autre du bureau des pêches en tirant dessus au canon à eau près du récif de Scarborough, contrôlé par la Chine mais revendiqué par les Philippines.

Des exercices en forme de dissuasion 

Ces incidents font craindre un conflit plus large qui pourrait impliquer les Etats-Unis, allié des Philippines, et d'autres pays de la région, dans une période où la Chine renforce sa pression diplomatique et militaire autour de Taïwan.

La semaine dernière, les ministres de la Défense des Philippines, des Etats-Unis, du Japon et de l'Australie ont, à l'issue d'une réunion dans l'archipel américain d'Hawaï, publié un communiqué conjoint dénonçant la "conduite dangereuse et déstabilisante" de Pékin en mer de Chine méridionale.

"Les actions de la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale sont légitimes, légales et irréprochables", avait auparavant affirmé le 12 avril le ministère chinois des Affaires étrangères.

La semaine dernière, les forces américaines participant à Balikatan avaient tiré des roquettes de précision Himars depuis l'île occidentale de Palawan, face aux îles Spratleys également disputées.

Selon l'armée américaine, il s'agissait d'une répétition du déploiement rapide du système Himars sur les côtes philippines bordées par la mer de Chine méridionale afin de "sécuriser et de protéger le territoire, les eaux territoriales et les intérêts de la zone économique exclusive des Philippines".

"Les exercices militaires sont une forme de dissuasion", a déclaré le ministre philippin des Affaires étrangères, Enrique Manalo, dans un discours prononcé en son nom par un assistant lors d'un atelier public vendredi. "Plus nous simulons, moins nous agissons."

Le président philippin Ferdinand Marcos Jr. a quant à lui assuré lundi que son pays n'entendait pas "faire monter la tension" en mer de Chine méridionale.

"Nous ne suivrons pas les garde-côtes chinois et les navires chinois dans cette voie", a-t-il dit. "Nous n'avons pas l'intention d'attaquer qui que ce soit avec des canons à eau ou tout autre équipement offensif", a-t-il poursuivi, ajoutant que Manille continuera à utiliser exclusivement la voie diplomatique pour régler les différends avec Pékin.


La mésaventure d'un proviseur américain, cas d'école des dangers de l'IA

Les mots « Intelligence artificielle IA », miniature d’un robot et d’une main jouet sont représentés sur cette illustration prise le 14 décembre 2023 (Photo, Reuters).
Les mots « Intelligence artificielle IA », miniature d’un robot et d’une main jouet sont représentés sur cette illustration prise le 14 décembre 2023 (Photo, Reuters).
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  • Eric Eiswert, proviseur à Pikesville dans le Maryland, près de Washington, s'est retrouvé au coeur d'une violente polémique avec un enregistrement vocal
  • L'affaire, qui survient en pleine année électorale aux Etats-Unis, met en lumière la facilité avec laquelle les outils d'IA générative peuvent être employés pour nuire à tout un chacun

WASHINGTON: Après l'indignation provoquée dans un lycée américain par la diffusion de propos racistes attribués au proviseur, le vertige de découvrir que la bande sonore a été montée de toutes pièces. Cet épisode illustre les dangers d'une intelligence artificielle devenue accessible à tous.

Eric Eiswert, proviseur à Pikesville dans le Maryland, près de Washington, s'est retrouvé au coeur d'une violente polémique avec un enregistrement vocal -- qui se révélera un faux -- lui faisant prononcer des commentaires choquants contre des élèves juifs et des "enfants noirs ingrats".

L'affaire, qui survient en pleine année électorale aux Etats-Unis, met en lumière la facilité avec laquelle les outils d'IA générative peuvent être employés pour nuire à tout un chacun, et les difficultés auxquelles font face les autorités pour lutter contre de telles pratiques.

"Désormais, tout le monde est vulnérable", et non plus seulement les célébrités, alerte Hany Farid, professeur à l'Université de Californie à Berkeley (ouest).

"Il suffit d'une image pour ajouter une personne dans une vidéo, et 30 secondes d'audio pour cloner la voix de quelqu'un", poursuit le spécialiste en détection d'images et d'enregistrements manipulés numériquement, consulté par la police dans cette affaire.

Quand l'enregistrement fuite sur les réseaux sociaux en janvier, il devient rapidement viral. Une publication recueille des milliers de commentaires sur Instagram, et propulse l'école au coeur d'une polémique nationale.

Le militant des droits civiques DeRay McKesson réclame la démission du proviseur sur son compte X, suivi par près d'un million d'internautes. Il admettra s'être fait abuser.

Les messages haineux pleuvent sur les réseaux sociaux et les coups de fil menaçants se multiplient dans l'établissement. Le "monde serait meilleur si vous étiez sous terre", écrit ainsi un internaute au proviseur.

Ce dernier est placé en congés, son domicile mis sous protection. Contacté par l'AFP, il n'a pas répondu.

Vengeance 

"Je continue de m'inquiéter des dégâts provoqués par cette affaire", confie Billy Burke, directeur du syndicat représentant le proviseur.

Fin avril, Dazhon Darien, 31 ans, responsable sportif du lycée, a été arrêté par les autorités, accusé d'être à l'origine du faux. Les enquêteurs sont remontés jusqu'à lui grâce à l'adresse électronique qui a initialement partagé le fichier.

Il aurait agi pour se venger d'une enquête ouverte à son encontre par le proviseur sur des paiements suspects.

Le prévenu a mené des recherches sur des outils d'IA depuis le réseau informatique du lycée, selon l'acte d'accusation.

La bande sonore, selon l'analyse d'un expert consulté par la police, "contient des traces de contenu généré par l'IA, avec un montage humain a posteriori".

Cette affaire démontre la nécessité "d'adapter la loi aux avancées technologiques", a estimé le procureur local, Scott Shellenberger.

Les montages audio sont particulièrement difficiles à déceler. En janvier, un message diffusé par appels téléphoniques automatisés usurpant la voix du président Joe Biden incitait les électeurs démocrates de l'Etat du New Hampshire (nord-est) à s'abstenir lors des primaires pour du parti.

A Pikeville, l'affaire a secoué les habitants, "très proches les uns des autres", raconte Parker Bratton, l'entraîneur de golf du lycée.

"Il y a un seul président, mais il y a un million de proviseurs!", s'inquiète-t-il, "les gens se demandent +Que va-t-il m'arriver si quelqu'un décide tout simplement de détruire ma carrière?+".