CANNES : "Il ne faut pas s'attendre à du classique, il n'y a pas de début, milieu, fin": "Moonage Daydream" de Brett Morgen, déjà réalisateur d'un documentaire sur Kurt Cobain, casse les règles du genre autour de David Bowie.
Oubliez les formats classiques avec des experts ou proches de l'interprète de "Heroes" filmés dans des studios d'enregistrement. Ici, on entend et on voit seulement David Bowie parler, avec des archives inédites qui ne sont pas réparties chronologiquement mais par thèmes (le processus de création, l'art et l'argent, etc.).
Des images de synthèses ont été créées spécialement pour ponctuer les chapitres, jouant sur l'espace et les étoiles. Une évidence pour un artiste qui avait créé dès sa chanson "Space Oddity" le personnage d’astronaute de Major Tom.
Entre ces visuels et 48 chansons de l'interprète de "Let's Dance" remastérisées, le spectateur vit ce qui se rapproche d'une "expérience immersive, comme dans un planétarium", selon les mots de Brett Morgen, rencontré par l'AFP au 75 e Festival de Cannes où est présenté ce documentaire hors compétition.
Cet Américain, qui avait signé "Kurt Cobain: Montage Of Heck", de facture plus traditionnelle, se livre sur un ton exalté. Ce travail lui a pris cinq ans et c'est le premier du genre autorisé par les légataires de Bowie depuis sa disparition en 2016. Ils ont laissé Morgen ouvrir les coffres à trésors.
Archives préservées
Le chanteur de "Aladdin Sane" et l'acteur de "L'homme qui venait d'ailleurs" a "énormément compté à plusieurs périodes de ma vie", expose le cinéaste. "D'abord à 11-12 ans, dans la puberté, quand je l'ai découvert, c'était puissant à un moment où je voulais être moi, pas mes parents".
Il l'a ensuite rencontré dans les années 2000 pour un projet. "Ce n'était pas le moment pour lui, Dieu merci, car je n'étais pas encore là ou je devais être pour un film sur Bowie (rires)". A la mort du créateur de Ziggy Stardust, il était prêt, notamment à faire exploser le cadre du documentaire.
Un des responsables du legs de Bowie lui confie alors "que David a collecté et préservé ses archives". "Pas pour un travail traditionnel, mais d'avantage pour une plongée immersive comme celle que je visais".
Et puis Morgen (53 ans aujourd'hui) a une attaque cardiaque et tombe dans le coma. Rétabli, "la philosophie, les mots, l'art de Bowie" ont résonné plus que jamais en lui.
"La mort, la réincarnation, Bowie en parlait dès le début, comme dans le morceau +Silly Boy Blue+", insiste-t-il. Il sort son téléphone et fait écouter 20 secondes de cette chanson en dressant un parallèle avec le phrasé de "Blackstar", morceau-titre de l'ultime album du Britannique, qui parle aussi de mort et d'héritage à laisser au travers de la création.
Contradictions
"Moonage Daydream" (morceau de "The Rise And Fall Of Ziggy Stardust...") s'attache ainsi aux appétits de vie d'un artiste aux 1.000 visages. Le plus intéressant n'est pas la partie inaugurale avec les considérations du musicien sur l'espace et le temps.
Le documentaire fait mouche quand on voit le créateur découper des bouts de phrases sur du papier pour les assembler aléatoirement et donner chair à ses chansons, ce qui avait été souvent écrit mais pas montré.
On voit aussi des images de Jeff Beck, guitariste des Yardbirds, jouer aux côtés de Bowie sur scène. On aurait pu craindre une hagiographie contrôlée par les ayants droit. Mais les images d'un Bowie aux joues creuses et aux reniflements insistants témoignent des périodes noires des addictions.
Et une séquence avec un célèbre soda, sponsor d'une tournée et à l'origine d'une publicité avec Bowie et Tina Turner, met l'artiste face à ses contradictions sur l'art et l'argent.
Un passage marquant permet aussi d'apprécier les talents de Bowie peintre et on reconnaît sur des toiles le chanteur Iggy Pop, un proche.