Dans moins d’une semaine, le who's who du monde des affaires se réunira dans la station balnéaire des Alpes suisses – Davos – pour son pow-wow annuel, le jamboree des affaires et des loisirs, à savoir la réunion annuelle du Forum économique mondial. Celle-ci, qui a normalement lieu en janvier lorsque Davos est recouverte d’une neige blanche immaculée, se tiendra cette année au printemps. C’est une première dans l’histoire du Forum économique mondial et le cadre sera différent et unique pour les participants.
La réunion est également sans précédent à bien d’autres égards. Il s’agit du premier rassemblement de chefs d’entreprise mondiaux depuis le début de la pandémie. L’interruption aura duré deux ans. Comme tout le monde le sait et l’a vu, beaucoup de choses ont changé dans le monde au cours des deux ou trois dernières années ; sans doute beaucoup plus qu’au cours des vingt dernières années.
La pandémie a entraîné un changement radical dans notre mode de vie. Elle a également infligé des souffrances indicibles à près de la moitié de la population mondiale, avec des pertes d’emplois s’élevant à un milliard environ. Le nombre de morts demeure contesté à travers le monde, comme en témoigne la dispute entre l’Organisation mondiale de la santé et le gouvernement indien autour du nombre réel de victimes en Inde.
Plus de deux ans de chaos économique, ainsi que des pertes d’emploi, des factures médicales imprévues et des réductions de salaire ont provoqué une flambée de la pauvreté et renforcé les inégalités qui ont atteint de nouveaux sommets à travers le monde. L’inégalité croissante devient encore plus frappante par rapport à la richesse des milliardaires mondiaux, qui a considérablement augmenté au cours des trois dernières années, puisque la plupart des entreprises et leurs patrons ont bénéficié d’une générosité gouvernementale sans précédent en termes d’allégements fiscaux et de subventions pour surmonter la fermeture et les confinements imposés par la pandémie.
La pandémie n’est pas la seule à avoir fait des ravages dans le monde entier. La crise climatique mondiale s’est elle aussi accélérée et ses répercussions se sont fait violemment ressentir, avec de longues périodes de sécheresse, des crues soudaines, la fonte des glaciers, des vagues de chaleur et des tempêtes de neige. Dans de nombreux pays, plusieurs de ces phénomènes météorologiques extrêmes se produisent désormais chaque année.
Pourtant, les émissions de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter, atteignant de nouveaux sommets chaque année.
La situation est devenue si alarmante que le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat condamne sans ambages la direction dans laquelle se dirige le monde après avoir ignoré les nombreux avertissements lancés au cours des dix ou vingt dernières années. Exaspéré, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a accusé les dirigeants politiques et commerciaux de ne pas prendre la question au sérieux et de faillir à leurs engagements de lutter contre ces émissions.
Dans ce contexte, les chefs d’entreprise mondiaux devraient s’éloigner de leurs activités habituelles à Davos, à savoir conclure des accords commerciaux pour enrichir leurs entreprises et se remplir les poches, ou simplement combiner les affaires avec le plaisir d’être sous les projecteurs des médias pendant une semaine, tout en faisant des promesses en l’air ou en trouvant de nouveaux mots à la mode.
Il est grand temps de changer et il n’y a de meilleur endroit pour ce faire que le jamboree annuel qui débute le 22 mai.
Ranvir S. Nayar
Pendant ce temps, les promesses faites à Davos demeurent en quelque sorte un écho qui résonne dans les vallées alpines, plutôt que d’accompagner les dirigeants dans les réunions des conseils d’administration des entreprises pour susciter le changement.
Dans des circonstances habituelles, cette approche aurait peut-être encore fonctionné et le club le plus riche et le plus exclusif du monde aurait pu s’en tirer avec une petite semaine d’insultes. Mais, en 2022, le monde est tout sauf normal, et même s’ils sont perchés haut dans les Alpes suisses, les milliardaires de Davos feraient bien de garder les pieds sur terre pour une fois.
La responsabilité de la plupart des problèmes auxquels le monde fait face aujourd’hui incombe autant aux dirigeants politiques qu’aux chefs d’entreprise. En effet, dans de nombreux cas, les gouvernements prennent une décision politique parce qu’elle est sollicitée par les grandes entreprises.
Cependant, les entreprises portent la responsabilité du changement climatique puisque c’est leur cupidité qui a causé des dommages sans précédent et souvent illégaux à nos ressources naturelles, allant des forêts aux mines et au-delà.
Les chefs d’entreprise portent également la responsabilité des inégalités accrues puisque ce sont eux-mêmes qui fixent les grosses primes et les salaires, même lorsque le rendement de leur entreprise s’effondre, tout en licenciant sans remords des milliers de travailleurs ou en proposant de gros salaires, ce qui fait que l’écart entre les mieux payés et les moins bien payés dans la même entreprise atteint des niveaux vertigineux. Par exemple, les 1% des employés les plus riches des entreprises américaines gagnaient 13,8% de tous les salaires, tandis que les 90% les plus bas devaient se partager 60% de la masse salariale totale. La parité salariale entre les sexes est une autre promesse creuse faite par les chefs d’entreprise.
Il est grand temps de changer et il n’y a de meilleur endroit pour ce faire que le jamboree annuel qui débute le 22 mai. Que Davos 2022 soit le rendez-vous dont le monde se souviendra parce qu’il changera vraiment notre façon de vivre et de faire des affaires, en plaçant, au cœur de son approche, l’humanité et le bien-être mondial, plutôt que les intérêts personnels ou la cupidité par lesquels se caractérise le Forum économique mondial et Davos.
Ranvir S. Nayar est rédacteur en chef de Media India Group.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com