BEYROUTH : Le plus grand bloc parlementaire du Liban, mené par le puissant mouvement armé du Hezbollah pro-iranien, semble avoir subi un revers face à l'opposition et aux indépendants, selon des résultats partiels des élections législatives publiés lundi.
Celles-ci se sont tenues dimanche dans un pays miné par la pire crise socio-économique de son histoire imputée par une grande partie de la population, par des organisations internationales et plusieurs pays étrangers à la corruption et l'inertie de la classe dirigeante, inchangée depuis des décennies.
Selon les résultats partiels annoncés par le ministre de l'Intérieur Bassam Mawlawi, plusieurs candidats indépendants ont obtenu des sièges au Parlement dominé précédemment par le Hezbollah chiite et ses alliés parmi lesquels le parti chrétien du Courant Patriotique Libre du président Michel Aoun.
"Il n'y a pas eu de violations lors du scrutin", a affirmé M. Mawlawi lors d'un point presse, en annonçant les résultats partiels pour 49 sièges (sur 128 au Parlement) répartis sur sept circonscriptions.
Mais selon l'Association libanaise pour la démocratie des élections, le scrutin a été marqué par plusieurs irrégularités, des échauffourées et des cas d'intimidation d'électeurs.
Mise en garde du Hezbollah
D'après les résultats provisoires des machines électorales des partis, le parti chrétien des Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea a engrangé des gains significatifs, après avoir axé sa campagne contre le Hezbollah, accusé de servir les intérêts de l'Iran et de maintenir son emprise sur le Liban grâce à son arsenal militaire.
Face à ces gains, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah Mohammad Raad a mis en garde, sans les nommer, les FL, qui entretiennent de bonnes relations avec l'Arabie saoudite sunnite, rival régional de l'Iran chiite.
"Faites attention à votre discours, à votre comportement et à l'avenir de votre pays", a-t-il lancé. "Nous vous acceptons en tant qu'adversaires au Parlement, mais pas en tant que boucliers protégeant les Israéliens", a-t-il accusé.
Les FL, qui font partie de la classe politique quasiment inchangée depuis la fin de la guerre civile il y a 30 ans, pourront devenir le premier parti chrétien, aux dépens de celui de M. Aoun.
"Nous pouvons dire que le peuple libanais a sanctionné les partis au pouvoir et nous a rejoints, en exprimant sa volonté d'un nouveau départ", a déclaré à l'AFP Marc Saad, un porte-parole des FL.
Attendus plus tard lundi ou mardi, les résultats définitifs indiqueront si le Hezbollah, qui devrait conserver tous ses sièges, pourra en comptant sur ses alliés, garder le contrôle du Parlement.
Le faible taux de participation (41%, inférieur aux 49% de 2018) indique que les partis traditionnels ne sont pas parvenus à mobiliser les foules.
La participation a été particulièrement faible dans les régions à dominante sunnite, l'une des principales communautés de ce pays régi par un système politique basé sur un partage communautaire du pouvoir.
«Frustration»
"L'abstention est en partie liée à la frustration face à la classe politique et le sentiment qu'aucun changement important n'interviendra concernant la situation économique", a estimé l'analyste libanais Karim Bitar.
Depuis 2019, la monnaie nationale a perdu plus de 90% de sa valeur, les épargnants subissent des restrictions bancaires étouffantes et près de 80% de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté selon l'ONU. Et en 2020, l'Etat a fait défaut sur sa dette pour la première fois de son histoire.
Aucune mesure de redressement n'a été entreprise par la classe dirigeante accusée d'indifférence et de laisser couler le pays.
En plus de cette crise, le Liban a été meurtri par l'explosion en 2020 d'énormes quantités de nitrate d'ammonium stockées sans mesures de précaution au port de Beyrouth (plus de 200 morts), imputée là aussi largement à l'incurie de la classe dirigeante.
Dans ce contexte, les candidats indépendants, issus du mouvement de contestation déclenché en octobre 2019 et qui a duré quelques mois, pour réclamer le départ de la classe politique, ont réalisé de bons scores.
Dix députés indépendants ou plus, rangés dans l'opposition aux partis traditionnels, pourraient se positionner en faiseurs de roi pour la formation du nouveau gouvernement.
"Nous voulons construire un pays même si cela prendra du temps", a déclaré Jad Abdel Karim, 32 ans, qui a voté pour un candidat indépendant au Liban sud, un fief du Hezbollah.
Fait inédit, un candidat indépendant de l'opposition a réussi à décrocher un siège dans cette région, que les alliés du Hezbollah conservaient depuis 1992.