BEYROUTH, Liban : Les figures de l'opposition au Liban se préparent pour les élections législatives malgré leurs faibles chances de réussite, à l'heure où les crises ont estompé la ferveur révolutionnaire qui avait secoué le pays fin 2019.
Ce scrutin, prévu le 15 mai, marque la première échéance électorale pour l'opposition, née d'un mouvement de protestation inédit qui exigeait la refonte du système politique.
Couplée à la pandémie de Covid-19 et aggravée par l'explosion meurtrière au port de Beyrouth en 2020, la crise financière historique du Liban a fini par essouffler les manifestants et poussé une partie de la population à l'exode.
Les figures de la contestation espèrent profiter des élections législatives pour porter un autre coup à la classe politique, sans toutefois s'attendre à une victoire significative.
Se présenter aux législatives, est «une continuation» logique pour Verena El Amil, figure de proue des manifestations et parmi les plus jeunes candidates.
«Après les manifestations de 2019, nous avons tous été confrontés à la défaite et à une vague d'émigration massive», explique l'avocate.
«Malgré cela, nous devons encore essayer et je me présente aux élections pour montrer que nous n'abandonnons pas.»
Depuis le dernier scrutin en 2018, le nombre de candidats se présentant contre des partis établis a plus que doublé.
Selon The Policy Initiative (TPI), un think-tank basé à Beyrouth, l'opposition et les candidats indépendants représentent 284 des 718 personnes en lice. Soit 124 de plus qu'en 2018, selon TPI.
Ils sont répartis sur 48 listes électorales différentes à travers le Liban, y compris dans les régions excentrées dont les actuels dirigeants ont rarement été défiés.
- «Contestation» -
Agée de seulement 25 ans, Verena El Amil avait à peine l'âge requis pour voter en 2018. Lors de ce scrutin, un seul candidat indépendant avait obtenu un siège.
«Nous allons nous battre. Les slogans que nous avons criés pendant les manifestations sont ceux que nous voulons porter dans notre campagne électorale et au Parlement», dit-elle, confiant avoir dépensé toutes ses économies pour sa candidature.
La détermination de Mme Amil fait écho avec celle de Lucien Bourjeily, militant, écrivain et réalisateur qui s'est imposé comme l'une des figures incontournables du mouvement contestataire.
Il se présente aux urnes pour la deuxième fois.
«Les gens devraient considérer le jour des élections comme une manifestation», déclare-t-il.
«De la même façon qu'on a documenté les gens qui se font frapper, qui perdent les yeux et se font tuer dans la rue, on devrait documenter la manière dont les votes seront usurpés (le 15 mai) et dont la fraude aura lieu».
- «Opposition dispersée» -
Contrairement aux partis traditionnels, les candidats de l'opposition sont confrontés à un manque de fonds mais aussi à l'absence de soutien des forces politiques régionales.
La loi électorale complique aussi l'obtention de sièges pour les candidats indépendants.
Et les opposants sont rares à unir leurs forces, préférant faire cavalier seul.
«Vous avez des listes d'opposition concurrentes dans la plupart des districts, c'est inadmissible», a déclaré Carmen Geha, professeur à l'Université américaine de Beyrouth.
«Nous avions besoin d'espoir, avec une campagne nationale».
De nombreux Libanais pourraient aussi décider de ne pas aller voter, en raison de la flambée des prix du carburant qui font de chaque déplacement un luxe que beaucoup ne peuvent pas se permettre.
Selon un rapport d'Oxfam publié en avril, seul 54% des plus de 4.670 personnes interrogées ont déclaré vouloir voter.
Ce «taux relativement faible (...) est peut-être dû à un sentiment accablant de déception et de désespoir», a déclaré l'ONG basée au Royaume-Uni.
Et parmi ceux qui ont déclaré ne pas vouloir voter, plus de la moitié ont estimé qu'il n'y avait aucun candidat prometteur, selon Oxfam.
Mais près de 50% de ceux qui voteront ont déclaré qu'ils choisiraient un candidat indépendant.
De son côté, le militant de longue date Maher Abou Chakra avait envisagé de se présenter. Il a fini par retirer sa candidature en raisons de divergences avec d'autres groupes de l'opposition.
«Le régime politique du Liban est vieux de plusieurs centaines d'années (...) et profondément enraciné», estime-t-il. «Vous ne pouvez pas le contester de manière désordonnée et désorganisée».
La participation de la diaspora aux législatives s'élève à près de 60%
La participation de la diaspora libanaise aux élections législatives prévues le 15 mai s'est élevée à environ 60%, un taux légèrement plus élevé que celui enregistré en 2018, a annoncé lundi le ministère libanais des Affaires étrangères.
Près de 130.000 expatriés libanais sur les 225.000 inscrits à l'étranger ont pris part aux élections qui ont eu lieu vendredi et dimanche dans 58 pays, selon les données préliminaires du ministère.
"Le taux de participation est très bon", a déclaré Hadi Hachem, responsable des expatriés au sein du ministère des Affaires étrangères. "Les résultats officiels seront publiés le 15 mai", jour d'élections au Liban, a-t-il précisé.
C'est la deuxième fois dans l'histoire du pays que les Libanais de l'étranger ont le droit de voter pour renouveler les 128 membres du Parlement.
En 2018, le taux de participation avait atteint 56% et environ 50.000 des 92.000 Libanais de la diaspora inscrits avaient participé au scrutin.
Au total, plus de 205 bureaux de vote ont été installés à travers le monde, selon le ministère. Les urnes seront envoyées à la Banque centrale du Liban et les votes comptabilisés après la tenue des élections dans le pays le 15 mai.
Il s'agit des premières élections depuis le soulèvement populaire qui, en octobre 2019, a mené des milliers de Libanais dans la rue pour exiger le départ d'une classe politique accusée de corruption et d'incompétence.
La crise économique inédite que traverse le Liban, couplée à la pandémie de Covid-19 et l'explosion meurtrière au port de Beyrouth en août 2020, a essoufflé ce mouvement.
Les candidats de la contestation espèrent que la diaspora votera pour le changement de la classe politique. En 2018, seuls 6% des électeurs à l'étranger avaient choisi des candidats indépendants, selon un récent rapport du groupe de réflexion l'Initiative de réforme arabe, basé à Paris.