ALGER: Deux années se sont écoulées depuis le décès de l'icône de la chanson kabyle en Algérie, Hamid Cheriet, dit "Idir", après un demi-siècle de carrière.
L'artiste a oeuvré, à travers ses productions artistiques, à la préservation de l’héritage culturel algérien par le biais d'une série de chansons qui puisent leur âme dans la profondeur du patrimoine et des légendes amazighes, notamment les célèbres berceuses “Ssendu” et "Vava Inova", qui ont contribué à forger la réputation artistique qui lui a permis d’accéder à la scène internationale.
En 1976, sa chanson "Vava Inova", diffusée dans 77 pays et traduit en 20 langues, lui permet d'obtenir une renommée mondiale.
La discographie d'Idir comprend une dizaine d'albums, à travers lesquels il a contribué à porter le patrimoine oral amazigh, traditionnellement transmis par les femmes berbères, qui ont inspiré une grande partie de son oeuvre. Sa mère fut une influence notable sur son répertoire musical.
L'histoire commence un printemps de l’année 1973. Une station radio algérienne se prépare à démarrer son émission hebdomadaire le plus normalement du monde. Tous les samedis, elle a pour habitude de mettre en avant deux chanteurs amazighs. Invitée du jour, la chanteuse Nouara est venue accompagnée de son guitariste, une jeune homme réservé aux cheveux longs.
Au dernier moment, Nouara se désiste pour des raisons de santé.
Compte tenu de l’imminence du direct, les animateurs ne trouvent pas d'autre solution que de proposer au jeune musicien d'interpréter le morceau que la jeune femme était censée chanter.
Hésitant, comme il est issu d'une famille conservatrice, son premier réflexe est de refuser. Devant l'insistance de ses hôtes, Il finit par accepter à contrecœur, à la condition que sa véritable identité ne soit pas dévoilée pour éviter que ses proches l’apprennent.
Il interprète une berceuse souvent fredonnée par les mamans kabyles à leurs petits «Ers-ed ay ives» et charme illico les auditeurs.
La chanson est devenue un énorme succès en Algérie et au-delà, sans qu'Idir ne le sache. Peu de temps après l'enregistrement, le musicien dû en effet effectuer son service militaire, obligatoire en Algérie.
"J’étais au bon endroit, au bon moment, avec la bonne chanson" expliquait-il dans une interview à l’AFP en évoquant les refrains de son enfance.
Et c’est ainsi qu'El Hamid Cheriet devint l’icône de la musique Amazigh que nous connaissant tous. A partir de ce jour, le fils de berger, diplômé en géologie, passera le reste de son existence à offrir de la visibilité à la musique.
En 1975, il se rend à Paris pour enregistrer son premier album, également intitulé "A Vava Inouva". Mais après une série de tournées et un autre album, il décide d'abandonner l'industrie de la musique, qu’il juge carnassière, jusqu'en 1991, lorsque la sortie d'un album de compilation relance sa carrière.
Artiste engagé
Installé en France, il devient un ardent défenseur de sa Kabylie natale. Il se produit lors d’un concert en hommage à son ami, Matoub Lounès assassiné en 1998 en Kabylie.
Il défend par ailleurs le multiculturalisme et l'immigration, devenus des enjeux majeurs de la présidentielle de 2007 dans son pays d'adoption. Idir rend public un album intitulé« La France des couleurs » dans lequel il aborde le thème de l'immigration, de l’identité.
"Lorsque vous appartenez à une minorité, vous commencez à croire que vous êtes vulnérable, que les puissants peuvent vous dévorer, car même si votre culture existe, elle n'a pas les moyens de se développer et de survivre", a-t-il déclaré lors d’une entrevue en 2017.
Après quarante années d’absence, il retourne en Algérie en janvier 2018 pour un concert à l’occasion du nouvel an berbère à Alger. L’année suivante, il soutient les soulèvements populaires contre le président Abdelaziz Bouteflika, qui démissionne en avril 2019.
«J'ai tout aimé dans ces manifestations : l'intelligence de ces jeunes, leur humour, leur détermination à rester pacifiques », ajoutant que « ces moments ont été comme une bouffée d'air frais. Et comme j'ai une fibrose pulmonaire, je sais de quoi je parle. »
Le 02 mai 2020, «Idir l’éternel», force tranquille qui a marqué le monde par sa douceur, son humilité et son attachement à ses racines, s’éteint à l’âge de 70 ans des suites de cette même maladie.
Il laisse, derrière lui, une œuvre qui continuera de raisonner longtemps au sein de la communauté maghrébine et internationale.