ISTANBUL : Le feuilleton judiciaire d'un des plus célèbres prisonniers de Turquie, le philanthrope Osman Kavala, détenu sans jugement depuis plus de quatre ans, devrait enfin connaître son épilogue à partir de vendredi à Istanbul.
M. Kavala, 64 ans, est accusé d'avoir financé les manifestations anti-gouvernementales de 2013 et d'avoir pris part au complot menant à la tentative de coup d'État de juillet 2016, ainsi que d'espionnage.
Ces charges, qu'il a toujours niées en dénonçant des accusations d'ordre politique, lui font encourir la prison à vie.
L'affaire, devenue le symbole de la répression du régime contre les opposants, consécutive au putsch raté de 2016, expose Ankara à la réprobation internationale et à des sanctions européennes.
Surnommé le «milliardaire rouge» par ses détracteurs, Osman Kavala était relativement inconnu du grand public quand il a été arrêté à l'aéroport d'Istanbul en octobre 2017, de retour d'un voyage à Gaziantep, dans le sud-est du pays.
Depuis, la reconduction régulière de sa détention malgré l'absence de jugement a fait de cette figure de la société civile le héros de l'opposition au président Recep Tayyip Erdogan.
Une dizaine de représentants du corps diplomatique occidental se rendent à chacune des audiences de l'affaire Kavala devant le tribunal d'Istanbul.
Osman Kavala est accusé d'avoir financé la vague de protestation anti-gouvernementale de 2013 (mouvement dit de Gezi) et d'avoir participé à l'organisation du coup d'Etat manqué contre M. Erdogan.
Acquitté de la première charge en février 2020, il avait été arrêté de nouveau par la police avant même d'être rentré chez lui et accusé de coup d'Etat.
Il fait désormais face à cette double accusation qu'il rejette également.
Les partisans de M. Erdogan le comparent fréquemment au milliardaire américain d'origine hongroise George Soros, l'accusant d'utiliser l'argent de l'étranger pour renverser le gouvernement.
«Jamais nous ne pourrons nous allier à des gens comme Kavala», avait lancé M. Erdogan en 2020.
- «Grave injustice» -
En février, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a lancé une «procédure en manquement» contre la Turquie, décision rarissime qui pourrait déboucher sur de possibles sanctions contre Ankara si Osman Kavala n'est pas rapidement libéré.
Le mois dernier, les procureurs ont réclamé sa condamnation pour «tentative de renversement» du gouvernement - soit une peine de prison à vie sans possibilité de libération anticipée.
Les avocats d'Osman Kavala ont indiqué que ce dernier comparaîtrait par vidéo depuis sa cellule de la prison de Silivri, en lisière d'Istanbul, et que l'audience pourrait se poursuivre lundi.
M. Kavala sera jugé en même temps que 16 autres accusés pour les manifestations de 2013. Neuf d'entre eux se trouvent cependant à l'étranger.
Les militants des droits humains espèrent encore une libération qui enverrait un signal positif, alors que la Turquie essaie de faciliter les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie.
«Osman Kavala est l'un des plus éminents prisonniers de Turquie, mais l'attention qui lui est portée ne l'a pas empêché de subir de graves injustices aux mains du système», relève Guney Yildiz, d'Amnesty International en Turquie.
«Sa libération sans condition marquerait une dépolitisation du système judiciaire en Turquie», juge-t-il.
L'association basée à Londres ARTICLE 19 appelle aussi la Turquie à mettre fin au «harcèlement judiciaire» d'Osman Kavala et de ses co-accusés.
Mais M. Erdogan s'était raidi face aux condamnations internationales.
L'affaire Kavala avait déclenché à l'automne une crise diplomatique entre Ankara et une dizaine d'ambassadeurs occidentaux, dont celui des États-Unis, qui avaient été menacés d'expulsion par le président turc pour avoir réclamé sa libération.