PARIS: Une voix nous parvient de la radio. Il s’agit de l’émission préférée de Ramkali Mahato. Elle augmente le volume pour écouter des femmes locales discuter avec des élus d’autonomisation et de normes sociales traditionnelles. Inspirée par l’émission, Ramkali s’emploie aujourd’hui à faire de même dans sa vie quotidienne, et s’élève contre les discriminations au sein de sa communauté afin de garantir un avenir meilleur à ses propres enfants.
Ramkali, 36 ans, venait de terminer son année de cinquième lorsqu’elle a été mariée, à l’âge de 12 ans. Dans sa région, au sud-est du Népal, le mariage d’enfants, bien qu’illégal, reste courant. À seulement 14 ans, elle a accouché d’un fils, avant de donner naissance à un deuxième fils et à une fille. En tant que membres du peuple madheshi, une communauté du Népal socialement et économiquement marginalisée, beaucoup de femmes de sa région sont confrontées à des obstacles structurels, dont des politiques, des lois et des normes sociales discriminatoires, qui entravent leur accès à des services, des ressources et des possibilités. Elles assument une part disproportionnée du travail domestique, non rémunéré, et, bien souvent, elles ne peuvent participer à la vie publique, et encore moins y jouer un rôle de premier plan.
Remettre en question les normes sociales
Pendant la pandémie de covid-19, Ramkali a commencé à écouter «Sambal», une émission de radio diffusée par le Programme conjoint des Nations Unies sur l’autonomisation économique des femmes rurales. Ce programme a été mis en œuvre par la FAO, le Fonds international de développement agricole, ONU-Femmes et le Programme alimentaire mondial, et est soutenu par les gouvernements norvégien et suédois. Il a pour objectif de s’attaquer aux causes profondes des inégalités de genre et d’accélérer l’autonomisation économique des femmes rurales, ce qui implique de faciliter l’accès à des possibilités, des ressources et des services, notamment aux terres, au crédit et aux technologies. Le Programme conjoint des Nations Unies sur l’autonomisation économique des femmes rurales collabore avec les gouvernements nationaux, les collectivités locales, les populations et les ménages pour lutter contre le déséquilibre des dynamiques de pouvoir et les normes sociales discriminatoires afin de changer les choses de manière durable.
Dans cette émission de radio diffusée en direct, des élus locaux répondent aux questions et aux préoccupations des femmes sur des sujets tels que l’égalité des genres, les connaissances économiques et les normes sociales préjudiciables reposant sur la violence à l’égard des femmes et des filles. L’émission met aussi en avant les mesures qui peuvent être prises à l’échelle individuelle et à l’échelle de la collectivité pour lutter contre ce problème.
«J’aimais tellement cette émission que je me rendais chez mes voisins toutes les semaines pour allumer moi-même la radio s’ils avaient oublié de l’écouter», confie Ramkali en riant. En écoutant Sambal, Ramkali a compris à quel point il était difficile pour les femmes de sa communauté rurale traditionnelle de vivre en dehors du foyer, et elle donc a entrepris de remettre ces normes en question. Dans sa région, la majorité des fédérations d’agriculteurs et des conseils locaux sont dirigés par des hommes, et les femmes n’ont que très peu de possibilités de participer à la prise de décisions. Toutefois, avec l’aide du Programme conjoint, Ramkali a pris la tête du Groupe d’agricultrices de Laxmi, et a encouragé les autres femmes de sa région à sortir davantage de leur foyer.
«Nos voix sont souvent étouffées par les hommes de mon village, mais Sambal nous a donné la force et le courage de nous faire entendre, et un espace pour le faire», a-t-elle expliqué.

Mise à l’épreuve
Les récentes responsabilités de direction de Ramkali ont été immédiatement mises à rude épreuve par le confinement imposé du fait de la covid-19, pendant lequel, d’après elle, les cas de violence domestique se sont multipliés dans sa communauté. Elle a profité de son rôle de direction pour dénoncer ces pratiques, ce qui représente déjà un grand pas en avant dans la société népalaise traditionnelle.
«Notre accès aux autorités locales était limité par les restrictions dues au confinement. En nous inspirant de l’émission de radio, d’autres femmes de mon groupe et moi-même avons dénoncé les violences. J’ai même eu l’occasion d’aborder ces questions directement avec les dirigeants de ma communauté et de les encourager à prendre de réelles mesures pour résoudre ces problèmes.»
Chef de file de sa communauté
Le Programme conjoint a aidé Ramkali non seulement à se faire entendre, mais également à gagner sa vie. Avant d’y participer, la famille de Ramkali pratiquait l’agriculture traditionnelle et cultivait à peine de quoi se nourrir. Cependant, grâce à la formation et aux intrants dont elle a bénéficié dans le cadre du Programme conjoint, elle a acquis suffisamment de compétences de maraîchage pour louer une plus grande parcelle et se lancer dans la culture commerciale. Au cours des cinq années qui se sont écoulées depuis le début du programme, ses revenus annuels ont augmenté de plus de 2 000 pour cent.
Cela lui a permis d’obtenir l’indépendance financière nécessaire pour subvenir aux besoins de son foyer, et l’a même incitée à faire en sorte que sa fille bénéficie du même accès à l’éducation que ses fils pendant la covid-19. Pendant le confinement, les garçons étaient favorisés et pouvaient assister aux classes en ligne, tandis que les filles aidaient leurs mères à accomplir les tâches domestiques. Ramkali ne trouvait pas ça normal et, après qu’elle s’est exprimée à ce sujet, les filles ont été encouragées à assister elles aussi aux classes en ligne.
«J’ai traversé beaucoup de difficultés dans ma vie parce que j’ai été mariée quand j’étais enfant et que je n’ai pas pu poursuivre mon éducation», explique-t-elle. «Je ne veux pas que ma fille ou d’autres filles de la communauté aient à subir la même chose.»

Ramkali estime que le Programme conjoint lui a donné les moyens de faire ses propres choix. «Le Programme a changé ma vie en me donnant les moyens de le faire. Il a changé mes relations à la maison et au sein de ma communauté, où ma voix est désormais entendue. Je suis convaincue aujourd’hui que je peux vivre ma vie sans dépendre de mon mari ou d’autres membres de ma famille.»
Bien que Ramkali se soit d’abord heurtée aux réticences de sa communauté, et même à celles de son mari, ces derniers ont tous vu à quel point elle travaillait dur et changeait les choses. Son mari a commencé à apprécier le fait qu’elle aide à subvenir aux besoins de leur famille, et sa communauté a pu constater que Ramkali créait une société plus juste pour les femmes et donnait aux autres femmes le courage de la rejoindre. Il suffit parfois d’une femme forte pour changer la société en profondeur.
(Source: FAO)