ISLAMABAD: Le chef de la Ligue musulmane du Pakistan Shehbaz Sharif s'apprête à devenir lundi le nouvel homme fort du pays après la chute du Premier ministre Imran Khan, mais il devra affronter les mêmes problèmes que ceux qui ont coûté son siège à son prédécesseur.
Après des semaines de crise, l'Assemblée nationale du Pakistan a destitué dans la nuit de samedi à dimanche Imran Khan, premier chef du gouvernement de l'histoire du pays à se voir renversé par une motion de censure.
Le départ de M. Khan ouvre la voie à la formation d'une improbable alliance parlementaire qui devrait, dès lundi, désigner Shehbaz Sharif, le chef de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), à la tête du pays de 220 millions d'habitants doté de l'arme nucléaire.
La première tâche de M. Sharif consistera à former un gouvernement de coalition avec le Parti du peuple pakistanais (PPP, gauche) et la petite formation conservatrice Jamiatul Ulema-e-Islam-F (JUI-F).
Le PPP et le PML-N sont les deux partis dynastiques qui ont dominé la vie politique nationale pendant des décennies, et qui sont plus habituées à s'affronter qu'à s'entendre.
Leur alliance de circonstance, forgée pour chasser Imran Khan du pouvoir, a peu de chances de survivre à l'approche des prochaines élections, prévues au plus tard en octobre 2023.
Shehbaz Sharif, 70 ans, est le frère cadet de Nawaz Sharif, qui fut trois fois Premier ministre. Il a longtemps dirigé la province du Pendjab, la plus peuplée du pays.
Le PPP est pour sa part dirigé par Bilawal Bhutto Zardari, fils de l'ancien président Asif Ali Zardari et de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto assassinée en 2007.
Sorti de l'ombre de son frère, Shehbaz Sharif s'apprête à diriger le Pakistan
Dirigeant chevronné et sévère, Shehbaz Sharif est pressenti pour devenir le nouveau Premier ministre du Pakistan après la chute d'Imran Khan, ce qui lui permettrait de sortir pour de bon de l'ombre de son frère, Nawaz.
Shehbaz Sharif devrait être désigné dès lundi par l'Assemblée nationale. Il est le frère cadet de Nawaz Sharif, qui a été trois fois Premier ministre avant d'être destitué en 2017 pour corruption présumée et emprisonné, puis libéré deux ans plus tard pour raisons médicales, et qui vit depuis en exil au Royaume-Uni.
A 70 ans, le président de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), est lui-même un homme politique chevronné. Il a dirigé pendant des années le gouvernement de la province du Pendjab, la plus peuplée du pays et fief électoral de son parti.
Dirigeant sévère, réputé pour ses emportements passionnés, il est connu pour citer des poèmes révolutionnaires dans ses discours et ses réunions publiques, et ses collègues le considèrent comme un bourreau de travail.
Il avait hérité avec son frère de l'entreprise sidérurgique familiale alors qu'il était jeune homme d'affaires, avant d'être élu pour la première fois à un poste provincial en 1988.
Dans ces fonctions, il a piloté une série de projets d'infrastructures de grande envergure, dont le premier service de métro-bus du Pakistan.
Son penchant pour les visites surprises dans les bureaux du gouvernement, vêtu d'un costume et d'un chapeau de safari, lui a permis de tenir les fonctionnaires constamment sur le qui-vive.
Pourtant, ses détracteurs affirment qu'il ne s'est pas attaqué aux problèmes fondamentaux de la province - notamment la réforme de la fonction publique, de la santé et de l'agriculture - et qu'il s'est surtout concentré sur des projets à visée électorale, comme la distribution d'ordinateurs portables aux étudiants ou l'offre de transport gratuit aux chômeurs.
- Libéré sous caution -
Il a aussi été lié à des affaires de pots-de-vin et de corruption, des accusations qui, selon ses partisans, sont le fruit d'une vendetta politique de la part du Premier ministre déchu, Imran Khan.
En décembre 2019, l'Autorité anti-corruption (NAB) a saisi près d'une vingtaine de propriétés appartenant à Shehbaz Sharif et à son fils Hamza, les accusant de blanchiment d'argent.
Il a été arrêté et emprisonné en septembre 2020, mais libéré sous caution près de six mois plus tard en attente d'un procès toujours en attente.
Contrairement à son frère aîné, dont les relations étaient tendues avec ses opposants et avec les militaires, il est considéré comme un négociateur plus souple, capable de faire des compromis même avec ses ennemis.
L'armée est l'institution la plus puissante du Pakistan et a dirigé le pays pendant près de la moitié de son histoire, tirant les ficelles même lorsqu'elle n'est pas elle-même au pouvoir.
"Je suis toujours resté un fervent partisan d'une coordination efficace entre Islamabad et Rawalpindi", a-t-il déclaré, en faisant référence à la capitale administrative et au quartier général militaire voisin.
Il reste populaire, malgré les Unes de la presse à scandales sur ses multiples mariages ou ses nombreuses propriétés immobilières, qui incluent des appartements de luxe à Londres et Dubaï.
Son dernier mariage avec l'écrivaine Tehmina Durrani a largement mis fin aux rumeurs.
Mme Durrani, une féministe dont le livre "Mon Seigneur et Maître" lui a valu une renommée internationale, est également créditée d'avoir amélioré le respect de Shehbaz Sharif à l'égard des femmes.
Des défis économiques et sécuritaires difficiles à relever l'attendront s'il devient Premier ministre. La croissance économique stagne et les actions violentes menées par les talibans pakistanais et les groupes séparatistes du Baloutchistan sont en hausse.
Pas de vengeance
"Nous appliquerons un baume sur les plaies de cette nation", a affirmé M. Sharif au terme de l'interminable bataille parlementaire qui a abouti à la chute de M. Khan dimanche à l'aube.
Il a promis de ne pas se venger contre le camp de son prédécesseur, contrairement à une pratique bien établie au Pakistan.
Imran Khan, une ancienne star du cricket qui était au pouvoir depuis 2018, a appelé ses partisans à descendre dans la rue dimanche après l'iftar, le repas du soir rompant le jeûne du ramadan.
Il affirme être la victime d'un "changement de régime" orchestré selon lui par les Etats-Unis en raison de ses critiques à l'égard de la politique américaine dans les pays musulmans, notamment en Irak et en Afghanistan.
Il a tout tenté pour se maintenir au pouvoir, avant que l'Assemblée nationale ne vote la censure par 174 voix sur 342, et n'a certainement pas dit son dernier mot.
"La carrière politique de Khan ne s'arrêtera pas là, sa base de soutien est intacte", a prédit l'analyste politique Zahid Hussain.
"Ses assertions de ces derniers mois, selon lesquelles il a été victime d'un complot étranger, lui ont apporté un certain soutien", en jouant sur le sentiment anti-américain des électeurs, a-t-il ajouté.
"D'après ce qu'il dit, il semble vouloir créer des problèmes pour le gouvernement et poursuivre une espèce de politique de rébellion (...) plutôt que d'oeuvrer pour le bien du pays et de la société", a estimé pour sa part Talat Masood, un ancien général devenu politologue.
Une lourde tâche attend le prochain Premier ministre, qui devra affronter les mêmes défis que ceux qui ont abouti à la chute de M. Khan.
A commencer par une économie en berne - inflation galopante, roupie faible et dette écrasante - et la multiplication des attaques menées par le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), les talibans pakistanais.
L'armée, clé du pouvoir politique dans ce pays qui a passé plus de trois décennies sous un régime militaire, et qui avait été accusée de soutenir M. Khan en 2018, n'est pas publiquement intervenue ces derniers jours.
Au moment-même où les députés s'écharpaient dans l'hémicycle sur l'avenir de M. Khan, l'armée publiait une vidéo montrant le lancement d'un missile balistique Chaheen-III, quelques semaines après le tir accidentel d'un missile indien contre le Pakistan.