Pourquoi Marine Le Pen remonte rapidement dans les sondages

De nouveaux rebondissements inattendus ne peuvent pas être exclus, en particulier dans un contexte de méfiance à l’égard de la classe politique et de difficultés économiques pour de nombreux électeurs. (Photo, AFP)
De nouveaux rebondissements inattendus ne peuvent pas être exclus, en particulier dans un contexte de méfiance à l’égard de la classe politique et de difficultés économiques pour de nombreux électeurs. (Photo, AFP)
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Publié le Dimanche 10 avril 2022

Pourquoi Marine Le Pen remonte rapidement dans les sondages

Pourquoi Marine Le Pen remonte rapidement dans les sondages
  • L’époque où Emmanuel Macron avait été élu à 66% des voix contre Le Pen en 2017 est bel et bien révolue
  • Bien que Macron ait toujours un léger avantage, nous ne sommes pas à l’abri d’un grand bouleversement

Dimanche, les Français se rendront aux urnes pour le premier tour de l'élection présidentielle. La candidate d’extrême droite pro-Russie et anti-Otan, Marine Le Pen, continue sa percée dans les sondages – une source de préoccupation sur les marchés financiers.

Certes, le président actuel, Emmanuel Macron, reste légèrement favori pour remporter les élections lors du second tour le 24 avril. Cependant, la politique française est instable, notamment en raison des répercussions du conflit en Ukraine. Un sondage d’Harris Interactive, en date de cette semaine, estime que Macron obtiendra 51,5% des voix contre 48,5% pour Le Pen au second tour. L’époque où il avait été élu à 66% des voix contre Le Pen en 2017 est bel et bien révolue.

Le soutien à l’extrême droite est à son apogée à l’approche du premier tour. Le Pen et son rival d’extrême droite, Eric Zemmour, un ancien chroniqueur chevronné, ont plus de 30% des intentions de vote (Le Pen est passé à 23% ces derniers jours). Macron serait en première position selon les sondages, avec environ 26,5% des voix au premier tour. Le candidat d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, occupe la troisième place, avec environ 17% –  un pourcentage qui ne cesse d’augmenter.

Par ces temps politiques incertains, si Macron et Le Pen finissaient par s’affronter lors du second tour, ou si Zemmour ou Mélenchon en arrivaient à percer de manière imprévue, ce ne serait que la deuxième fois dans l’histoire moderne du pays que ni le centre droit, c’est-à-dire les républicains, ni le centre gauche, à savoir les socialistes, qui ont gouverné pendant presque toute la période d’après-guerre, ne sont qualifiés pour le second tour d’une élection présidentielle.

De nouveaux rebondissements inattendus ne peuvent donc être exclus, en particulier dans un contexte de méfiance à l’égard de la classe politique et de difficultés économiques pour de nombreux électeurs. Les investisseurs se font du mauvais sang face à une course très serrée alors que les taux d’emprunt ne cessent de grimper en France. 

Par conséquent, au moment où l’Europe est témoin de la plus grande période d’instabilité depuis des années, voire des décennies, après l'invasion de l’Ukraine, Macron n’est vraiment pas sûr d’être réélu. Jusqu’à présent, il n’a que partiellement mené à bien son objectif de réduire le taux de chômage et de réindustrialiser la France grâce à des politiques axées sur l’innovation.

La vague de mécontentement à l’égard du pouvoir reste généralisée à l’échelle du pays, y compris le mouvement des Gilets jaunes, alimenté par les difficultés économiques qui risquent fort de s’intensifier à la suite des sanctions contre la Russie. Par ailleurs,  les prix du gaz, de l’électricité et des denrées alimentaires devraient monter en flèche dans les semaines à venir. 

Bien que Macron ait toujours un léger avantage, nous ne sommes pas à l’abri d’un grand bouleversement.

Andrew Hammond

Les électeurs français affirment, depuis des mois, que le coût de la vie et leur pouvoir d’achat sont leurs principales préoccupations avant les élections, alors que l’inflation augmente en raison de la hausse des prix des matières premières et des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement. Le gouvernement estime cependant que le revenu disponible brut – que les économistes utilisent comme indicateur du pouvoir d’achat – a augmenté deux fois plus vite sous Macron que sous ses deux prédécesseurs les plus récents.

Le Pen cherche à capitaliser sur ces difficultés économiques de plusieurs manières, notamment en proposant des réductions de taxes sur le carburant et en se présentant comme partisane de l’antimondialisation à travers son opposition au commerce international, à l’Otan et à l’Union européenne. À plus vaste échelle, son programme est centré sur un projet anti-immigration qui donnerait la priorité aux Français de souche pour le logement, les emplois et les avantages sociaux. Elle vise également à interdire le port du voile dans tout l’espace public, même si cela va à l’encontre de la Constitution française.

La potentielle qualification de Le Pen pour le second tour en inquiète plus d’un en France et à l’étranger. Si elle en arrivait à remporter les élections, cela pourrait être un coup plus dur que le Brexit pour Bruxelles, compte tenu de l’appartenance de la France à la zone euro et le fait que le pays ait traditionnellement été le moteur de l’intégration européenne, aux côtés de l’Allemagne.

Macron a également grimpé dans les sondages le mois dernier, se faisant passer pour un leader puissant en temps de guerre, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cependant, sa cote de popularité est en déclin dans les sondages d’opinion depuis, puisque de plus en plus de personnes pensent qu’il a consacré trop de temps aux pourparlers diplomatiques avec les dirigeants mondiaux et à la coordination avec les alliés européens et occidentaux.

Conscient de cette critique, il s’en prend violemment à Le Pen durant la phase finale de la campagne, y compris sur la question de la Russie qui a forcé la candidate d’extrême droite à prendre ses distances avec le président Vladimir Poutine. Des brochures électorales – dont plus d’un million d'exemplaires avaient déjà été imprimés selon des sources médiatiques –, qui montrent Le Pen serrer la main de Poutine, auraient été retirées par son équipe de campagne.

L’objectif principal de Macron est de combler le vide de pouvoir au niveau du centre politique créé par l’effondrement du soutien aux socialistes et aux républicains. Il affirme que, malgré ses lacunes, il demeure un bien meilleur choix pour les électeurs modérés que Le Pen ou Mélenchon.

La percée tardive de Le Pen dans les sondages rend très imprévisible la fin de la campagne électorale. Bien que Macron ait toujours un léger avantage, nous ne sommes pas à l’abri d’un grand bouleversement.

 

Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.


NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.


Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com