ISLAMABAD: Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, semble plus proche que jamais de la sortie après que la Cour suprême a annulé jeudi la dissolution de l'Assemblée nationale et ordonné qu'une motion de censure à son encontre soit soumise au vote.
Cette décision surprise est un coup très dur pour l'ancienne star du cricket, qui avait été élu en 2018. Son stratagème de dernière minute pour éviter d'être renversé par l'opposition n'a finalement pas fonctionné.
Les cinq juges de la Cour suprême siégeant pour l'occasion ont considéré à l'unanimité que le refus du vice-président de l'Assemblée nationale, un fidèle de M. Khan, de soumettre dimanche cette motion de censure au vote était "contraire à la Constitution et sans effet légal".
La plus haute instance judiciaire du pays a estimé que la dissolution de l'Assemblée nationale obtenue dans la foulée par M. Khan, qui entraînait automatiquement la convocation de législatives anticipées sous 90 jours, était également illégale.
"L'Assemblée nationale continue à rester en session", a tranché la Cour, qui a ordonné qu'elle se rassemble à nouveau samedi pour soumettre la motion au vote.
Le jugement a été accueilli avec effervescence à Islamabad par les partisans de l'opposition, qui ont envahi les rues dans des voitures, au son des klaxons. Une forte présence policière pouvait aussi être observée dans la capitale.
"Cette décision a sauvé le Pakistan et sa Constitution", a réagi le chef de l'opposition à l'Assemblée, Shehbaz Sharif, leader de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) et pressenti pour devenir Premier ministre si la motion de censure est approuvée.
« Ingérence étrangère »
"La démocratie est la meilleure revanche", a également savouré Bilawal Zardari Bhutto, le fils de l'ancienne Première ministre assassinée Benazir Bhutto et chef du Parti du peuple pakistanais (PPP), allié de la PML-N.
Imran Khan, 69 ans, dont l'opposition n'a cessé de dénoncer la mauvaise gestion de l'économie et des maladresses en politique étrangère, semble désormais n'avoir aucune chance de survivre à la motion de censure.
L'opposition avait annoncé dés la semaine dernière avoir rallié suffisamment de voix pour lui faire perdre sa majorité parlementaire.
Selon les derniers chiffres communiqués devant la Cour suprême, elle dispose maintenant de 177 voix. Il en faut 172 pour obtenir la majorité. Ceci sans compter des dissidents du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la justice), le parti du Premier ministre, qui seraient aussi prêts à voter avec elle.
Le vice-président de l'Assemblée avait refusé de faire voter la motion de censure en arguant qu'elle était inconstitutionnelle car résultant d'une "ingérence étrangère".
Imran Khan avait plusieurs fois ces derniers jours accusé les Etats-Unis de s'immiscer dans les affaires intérieures pakistanaises avec la complicité de l'opposition, dont il a dénoncé la traîtrise.
Il reprochait à Washington, qui a nié toute implication, de vouloir obtenir son départ, en raison de son refus de s'aligner sur les positions américaines concernant la Russie et la Chine.
Dégradation de la situation économique
Le chef du gouvernement avait ensuite obtenu dimanche du président de la République, Arif Alvi, un autre de ses alliés, la dissolution de l'Assemblée.
Imran Khan s'était fait élire en 2018 en profitant de la lassitude des électeurs à l'égard du PPP et de la PML-N, deux partis organisés autour de grandes dynasties familiales qui ont dominé la vie politique nationale pendant des décennies, mais devenus le symbole de la corruption des élites.
Mais les réformes sociales entreprises par M. Khan et sa popularité auprès des Pakistanais pour avoir mené le pays à sa seule victoire en Coupe du monde de cricket en 1992, n'ont pas suffi face à la dégradation de la situation économique.
L'inflation (10% en 2021), la forte dépréciation de la roupie (moins 18 % depuis juillet) et le creusement de la dette ont rendu sa position vulnérable.
Le Pakistan, une république islamique de 220 millions d'habitants dotée de l'arme nucléaire, qui fête cette année ses 75 ans d'existence, est habitué aux crises politiques.
Aucun Premier ministre n'est jamais allé au bout de son mandat dans ce pays depuis son indépendance en 1947. L'armée, clé du pouvoir politique, qui avait été accusée de soutenir M. Khan en 2018, n'a pas publiquement pris position ces derniers jours.
Le pays a connu quatre putschs militaires réussis et au moins autant de tentatives de coups d'Etat, et a passé plus de trois décennies sous un régime militaire.