PARIS: Fondée sur les ruines de l'après-guerre, la Sécurité sociale célèbre ses 75 ans au cœur d'une crise sanitaire sans précédent, qui démontre à quel point cette vieille dame est indispensable, mais peut-être pas éternelle.
Les pères fondateurs de la Sécu, le communiste Ambroise Croizat et le gaulliste Pierre Laroque, n'avaient sans doute pas imaginé que leur œuvre serait un jour le dernier « rempart » contre un virus incontrôlable.
Et pourtant, c'est bien elle qui a « empêché l'effondrement de la France », a résumé jeudi le Premier ministre, Jean Castex, lors d'un colloque en forme d'hommage minimaliste, épidémie oblige.
Née d'un compromis historique, la Sécu fait aujourd'hui l'unanimité. « On ne peut pas s'en passer », reconnaît Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT.
D'abord limité aux salariés, le système des « assurances sociales » (maladie, retraite, famille, accidents du travail) s'est progressivement étendu à la quasi-totalité de la population.
Il reste toutefois « des trous dans la raquette », notamment chez les travailleurs précaires et indépendants, preuve qu'il s'agit d'un « acquis social à faire progresser en permanence », estime-t-elle.
La CGT y voit au contraire un terrain de « reconquête » : sa secrétaire confédérale Catherine Perret dresse le constat d'une Sécu « de plus en plus étatisée », financée par l'impôt plutôt que par les cotisations, et qui « répond de moins en moins à l'intégralité des besoins ».
Défendant un retour « aux principes d'origine » où « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », elle appelle aussi à « élargir le périmètre » à d'autres droits comme le chômage et le logement.
La création cette année d'une « cinquième branche » consacrée à l'autonomie des personnes âgées et handicapées est toutefois le signe que le système « s'adapte et couvre de nouveaux risques », affirme le directeur de la Sécurité sociale, Franck von Lennep.
« Indispensable et fragilisée »
Si l'on se fie à « sa part dans la richesse nationale (qui) continue d'augmenter », la Sécu serait un univers en perpétuelle expansion.
« Il n'y a eu de recul dans aucun des champs de la protection sociale », soutient-il, reconnaissant tout de même un « affaiblissement » du côté des allocations familiales, calculées depuis peu en fonction des revenus.
Un moindre mal comparé aux enjeux colossaux provoqués par le Covid : des recettes en chute libre, des dépenses en roue libre et un déficit abyssal sans perspective de retour à l'équilibre.
De quoi remettre en cause sa pérennité ? « La Sécu rencontre des difficultés », mais elle n'est « pas menacée dans ses fondements », veut croire Cabanal.
« Il ne faut pas exagérer la situation », abonde Mme Perret, pointant la manne dont la Sécu pourrait bénéficier si le gouvernement renonçait aux exonérations de cotisations, tout en redoutant « que la dette serve de prétexte pour continuer à l'affaiblir ».
« Il y aura des débats et des décisions à prendre », prédit von Lennep, convaincu que « si le peuple est très attaché à la Sécu, elle ne peut pas tomber ».
Mais son prédécesseur Dominique Libault, qui dirigea cette administration durant dix ans (2002-2012), se montre moins optimiste : « Il faut prendre conscience de la vulnérabilité de nos systèmes, qui peuvent mourir si l'on n'y prend pas garde ».
Aujourd'hui à la tête de l'Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S) à Saint-Etienne, il constate que « la Sécu est essentielle, indispensable et en même temps fragilisée financièrement ».
Et met en garde : « Aucune création humaine n'est éternelle. Si on croit le contraire, on court à la catastrophe ».