PARIS: Pionnier français de l'art urbain depuis les années 60, Ernest Pignon-Ernest reste à 78 ans infatigable dans sa boulimie de dessiner sur les murs des rues « les violences qu'on inflige aux hommes ».
Cet homme de petite taille (1,64 mètre), vêtu de noir, qui a travaillé à 15 ans et n'a que son « certif », a gardé quelque chose du gamin niçois. Pétillant, en alerte permanente. Homme d'amitiés. Passant d'une cause à l'autre, faisant, déchirant, refaisant.
En témoigne le charmant bazar qui règne dans son atelier d'Ivry, non loin du périph : partout des dessins qu'il a tracés à grands traits vigoureux et contrastés sur des chutes de rotatives, puis accrochés au hasard. Et tout autour, des livres, beaucoup de livres.
Dès l'âge de 15 ans
« Ici, je ne travaille presqu'avec le fusain et la pierre noire. Le noir m'envahit. Ma compagne me dit : tu as l'air d'un mineur », confie celui qui réside à l'emblématique cité d'artistes de la Ruche dans le XIVe arrondissement - il est vice-président de sa fondation - mais vient s'immerger chaque jour dans la quiétude de son atelier.
« Je vis du dessin depuis que j'ai 15 ans », explique celui dont la célébrité a décollé en 1979 grâce à une exposition au Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Il sera identifié mondialement par son portrait du « jeune homme qui marche », Rimbaud : « Rimbaud, s'amuse-t-il, c'est mon tube ».
Questionné sur son œuvre, il répond modestement : « si on peut parler d'œuvre. Car l'œuvre, c'est ce que provoque le dessin dans un lieu ».
Avant d'aller coller un dessin, « j'étudie, en peintre et sculpteur, l'espace, la lumière. J'appréhende aussi ce qui ne se voit pas : la symbolique, l'histoire ». « L'image que je réalise naît du lieu lui-même. Ma palette, c'est l'espace et aussi le temps ».
Inspiré par les Italiens Pasolini et Caravage, il a été très marqué par Naples, sa « ville d'adoption », en raison de « la relation très profonde qu'elle entretient avec la mort ». Avant d'aller y coller entre 1988 et 1995 300 sérigraphies et dessins originaux dont « aucun, relève-t-il fièrement, n'a été déchiré », il dit avoir lu 98 livres pour la comprendre.
« Mes images suintent des murs »
Quant au caractère éphémère de ses œuvres réalisées sur du papier dégradable, il le revendique : « la fragilité fait partie de ma proposition. Mes images suintent des murs, elles n'ont pas disparu mais sont retournées dans les murs ».
La poésie remplace chez lui le sentiment religieux : « Je suis athée, je n'ai pas de saints ».
Parmi ses amis, il y a eu Cabu, Wolinski et Reiser, de Charlie Hebdo, et il y a notamment Christian Boltanski. Avec eux, il « partage le même regard aigu sur une société tombée dans le consumérisme ».
« Je ne veux pas d'un art qui s'interroge sur lui-même » comme le fait une partie de l'art contemporain, ajoute-t-il. Son message reste dans la rue, même s'il expose dans les musées, comme en 2019 pour la grande exposition « Ecce Homo » (450.000 visiteurs) au Palais des papes d'Avignon.
Ce fils d'un employé des abattoirs de Nice a eu « dès douze ans » le déclic artistique avec Picasso : « Je dois beaucoup à Paris-Match : en 1954, j'y découvrais les 40 portraits de Sylvette par Picasso ! »
Soldat en Algérie, « la guerre coloniale le politise » et il épouse les idées du Parti communiste, mais jamais aveuglément.
Arme nucléaire, avortement, apartheid, sida, expulsés... Ces multiples causes dénoncées par l'œuvre d'une vie sont sociales plus que politiques pour lui.
« Je n'ai jamais fait de peintures Mao, avec des drapeaux rouges. J'ai toujours refusé d'aller en Union Soviétique ». Il salue son « très grand ami Jean Ferrat qui a su dénoncer l'intervention à Prague ».
Lui qui a collé dans Paris des images aux victimes de la « Semaine sanglante » de la Commune, illustre aussi les « Extases » des femmes mystiques dans plusieurs églises de Nice, Naples et Avignon.
A la fin de l'entretien, Ernest Pignon-Ernest tient à témoigner des lettres d'encouragement reçues de Francis Bacon, un de ses peintres préférés : « si j'ai raté Picasso, j'ai eu Bacon ! » (AFP)