LA TESTE-DE-BUCH, France : "Garder le sourire" et continuer à danser malgré la guerre: après deux mois de tournée en France, les danseurs du Grand Ballet de Kyiv donnaient mercredi soir leur dernier ballet près d'Arcachon, avant de faire face à un avenir incertain.
Avant la représentation du "Lac des Cygnes" sur la scène du Théâtre Cravey de la Teste-sur-Buch (Gironde), la vingtaine de jeunes danseurs de la troupe s'échauffaient en enchaînant les mouvements à la barre, les pas fouettés et autres arabesques, à un détail près: les téléphones posés à leurs pieds ou même serrés dans la main.
Au moindre répit, ils font défiler sur les réseaux sociaux les images et vidéos de combats en cours dans le pays, dans une atmosphère pesante.
"On ne se sent pas bien, on est stressés, angoissés. On est vraiment très inquiets par rapport à tout ce qui se passe en Ukraine", relate Vladislav Bondar, 25 ans, qui interprète le sorcier Rotbarth, l'un des rôles principaux du ballet de Tchaikovski.
"Mes proches se trouvent dans une zone où tout est calme et ils sont en sécurité. Dieu Merci. De temps en temps ils entendent les coups de feu, les explosions", poursuit le danseur à l'allure juvénile pour qui il est désormais "très compliqué de se concentrer pour danser lorsqu'on apprend les nouvelles".
L'"angoisse", Ksenia Dronova, dont la famille habite à Donetsk dans le Donbass, vit désormais avec. "Ma famille est restée chez elle et ne peut pas partir, j'ai un frère handicapé qui a besoin d'insuline. Il tient le coup. Il survit", témoigne la gracile ballerine de 26 ans, qui incarne plusieurs rôles.
"Sur scène, je dois danser comme il faut, garder ma concentration et je dois garder le sourire même si je n'en ai pas envie", avoue-t-elle, le regard triste.
L'aide du Palais Garnier
Lorsque la guerre a éclaté, tous ont décidé de terminer la tournée en France. Sauf un couple qui est parti rejoindre seul leur enfant de six mois, gardé en Ukraine par leurs proches.
"Ce n'est vraiment pas facile pour eux, il faut se concentrer pour bien danser mais cet effort les divertit de la situation en Ukraine", estime Yuri Kovalev qui gère la tournée du Grand Ballet, créé il y a cinq ans par le soliste Aleksander Stoyanov.
A la fin du spectacle, tous quitteront le bassin d'Arcachon direction l'aéroport de Beauvais pour prendre un vol vers Varsovie où un producteur a organisé une tournée de dix représentations en Pologne "pour les soutenir".
Après ? Le grand vide. Les danseurs interrogés disent ne pas vouloir rejoindre leur pays, à la demande de leurs familles et continuer à danser en Europe. Vladislav Bondar évoque l'idée de partir en Allemagne rejoindre une autre troupe; Ksenia Dronova voudrait "avoir le statut de réfugiée en Europe même si, pour le moment, rien n'est décidé".
A Paris, l'Opéra Garnier a proposé de les aider dans leur démarches d'hébergement ou d'aides financières.
Le poing levé
Pour leur dernière représentation à la Teste-de-Buch, la salle comble salue l'entrée sur scène de la troupe à grands renforts d'applaudissements.
Comme Anne-Marie Rech, venue d'Arcachon. "Les Français sont très solidaires avec ce peuple. On s'identifie à leurs problèmes, à la situation actuelle devant une telle injustice".
Des familles sont également venues avec des dessins et des drapeaux de l'Ukraine.
"Les spectateurs affluent et viennent nous exprimer leur soutien", souligne encore Yuri Kovalev. "Les danseurs sont reconnaissants, ça les touche au coeur".
A la fin du spectacle, main sur le coeur, la troupe a entonné l'hymne ukrainien. La première ballerine Kateryna Didenko, qui incarne les deux rôles principaux d'Odette, la princesse-cygne et son double maléfique, a salué à plusieurs reprises le public, les larmes aux yeux et le poing fièrement levé.