WASHINGTON : Une semaine seulement, et déjà des bouleversements géopolitiques en cascade: l'invasion russe de l'Ukraine a rebattu en profondeur les cartes sur la scène internationale, avec une Russie plus isolée que jamais, un camp occidental ressoudé mais aussi le retour de la menace nucléaire.
La Russie, Etat «paria»
L'offensive de Moscou marque un tournant mondial.
Tout d'abord, elle a "fait voler en éclats l'espoir que l'Europe post-Guerre froide pourrait être épargnée d'une guerre majeure", relève Ali Wyne, du cabinet d'analyse des risques Eurasia Group.
Le Vieux Continent et les Etats-Unis, mais aussi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, ont dénoncé d'une même voix une violation flagrante des principes au coeur du système international instauré après la Seconde Guerre mondiale.
Surtout, la riposte a été aussi "massive" et "rapide" que le promettaient les dirigeants occidentaux.
Du système financier aux oligarques jusqu'au président Vladimir Poutine, en passant par un véritable blocus aérien européen et l'exclusion des grandes compétitions sportives, un déluge de sanctions sans précédent s'est abattu sur cette grande puissance.
"A l'avenir, la Russie sera un paria et il est difficile d'imaginer comment elle pourra rétablir un semblant de normalité dans ses interactions internationales", prévient Sarah Kreps, professeure à la Cornell University.
L'Otan sort de sa «mort cérébrale»
Le président français Emmanuel Macron avait décrété fin 2019 la "mort cérébrale" de l'Alliance atlantique, minée par les mésententes et malmenée par Donald Trump.
Arrivé à la Maison Blanche, Joe Biden a réconforté l'Otan, tout en tentant de la réorienter pour participer à son bras de fer avec la Chine -- provoquant de nouveaux tiraillements chez les Etats qui jugeaient que ce n'était pas là sa raison d'être.
Née au début de la Guerre froide pour placer l'Europe sous le parapluie nucléaire des Américains face à l'Union soviétique, cette alliance transatlantique retrouve aujourd'hui cette raison d'être -- et son meilleur ennemi -- en se dressant à nouveau face à Moscou.
Pour Ali Wyne, "l'invasion russe a renforcé l'Otan et resserré l'alignement transatlantique", même si rien n'assure que cette "cohésion" retrouvée débouchera sur une "approche de long terme partagée" pour contrer la Russie.
Accélération de l'Europe de la défense
Jean Monnet l'avait écrit dans ses mémoires: "L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises".
L'adage de ce père fondateur de l'Europe est une nouvelle fois confirmé.
Dans un coup d'accélérateur à cette Europe de la défense voulue par Paris mais longtemps dans les limbes, ses vingt-sept Etats membres ont décidé de consacrer, en commun, un demi-milliard d'euros à des achats d'armements pour l'Ukraine. La décision a surpris, tant elle contraste avec les atermoiements traditionnels.
Le déclic le plus spectaculaire s'est joué à Berlin: rompant avec sa doctrine, l'Allemagne a décidé de livrer des armes létales à Kiev -- un tournant suivi par la Suède et la Finlande.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a accompagné cette rupture par une autre annonce fracassante, à savoir une augmentation très importante des dépenses militaires pour moderniser son armée, mauvaise élève de l'Otan par son budget et cible récurrente, à ce titre, des critiques américaines.
Des neutres qui choisissent leur camp
"La neutralité, ce n'est pas l'indifférence."
Le président de la Confédération helvétique Ignazio Cassis a eu cette formule pour justifier un autre basculement d'ampleur: la Suisse, place bancaire internationale mais aussi pays neutre qui accueillait il y a quelques jours encore les face-à-face tendus entre diplomates américains et russes, a choisi d'endosser "l'intégralité" des sanctions économiques drastiques de l'UE contre Moscou.
Cette entorse au statut de non-aligné n'est pas la seule.
La Finlande et la Suède n'ont jamais été aussi proches de franchir le pas d'une demande d'adhésion à l'Otan.
"Des pays comme le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et Singapour ont fait front uni contre l'invasion", note aussi Sarah Kreps.
D'autres, comme l'Inde ou les Emirats arabes unis, malgré les pressions diplomatiques américaines, se sont toutefois abstenus de se joindre au choeur des condamnations frontales.
L'embarras chinois
La Russie garde aussi des alliés, comme le Venezuela de Nicolas Maduro.
Ainsi que la Chine, dont le président Xi Jinping avait offert son soutien à Vladimir Poutine peu avant l'offensive russe.
La position de Pékin est maintenant scrutée à la loupe, notamment pour savoir à quel point la superpuissance asiatique pourra compenser les effets des sanctions occidentales.
Or, sans condamner l'invasion, la Chine se montre prudente, choisissant l'abstention plutôt que le veto lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU "déplore" l'agression russe, appelant à des négociations, et exprimant auprès de Kiev son "profond regret" face à cette guerre.
Ali Wyne estime que les autorités chinoises sont "dans l'embarras". "Plus le conflit s'installera dans la durée et sera sanglant, plus il sera difficile pour la Chine de trouver l'équilibre entre son soutien aux exigences russes" et "sa volonté d'éviter de s'attirer encore plus l'opprobre transatlantique", dit-il.
L'arme atomique un peu moins taboue
Le président Poutine a ordonné dimanche, devant les caméras, la mise en alerte de la force de dissuasion de l'armée russe, ce qui comprend son immense arsenal nucléaire.
"Les dirigeants russes ont fait de manière pas si voilée des références répétées à leur arsenal nucléaire dans l'espoir de dissuader l'Occident de renforcer les défenses ukrainiennes", explique Sarah Kreps. "Le problème", c'est que "cela érode le tabou nucléaire en vigueur depuis des décennies".