C’est au Guide suprême iranien, Ali Khamenei, que revient le dernier mot sur toutes les questions relatives aux affaires étrangères et intérieures les plus importantes du pays. Toute décision politique essentielle doit être approuvée par son bureau et lui afin de garantir la survie de la République islamique. Mais Ali Khamenei n’a pas clairement exprimé sa position concernant l’accord sur le nucléaire. D’ailleurs, il n’a même pas fait de vagues commentaires au sujet de cet enjeu vital. Il garde sa position secrète pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, M. Khamenei tente de se dérober à toute responsabilité, ce qui lui permet de tenir d’autres fonctionnaires iraniens responsables en cas d’échec de tout accord entre le régime et d’autres puissances mondiales. Il utilise également cette stratégie dans son propre pays. Par exemple, il rejette régulièrement la faute sur les fonctionnaires, les accusant d’être à l’origine des problèmes économiques dont souffre le peuple. Le terme «fonctionnaire» est intentionnellement très général et ambigu afin d’éviter d’incriminer un quelconque membre du personnel du régime. Malgré les nombreux discours du Guide suprême accusant des personnalités publiques, le pouvoir judiciaire iranien, dont le chef est directement nommé par Ali Khamenei, n’a traduit personne en justice.
Le Guide suprême de l’Iran a recouru à la même tactique en 2015, lorsqu’il a refusé de soutenir l’accord sur le nucléaire, conclu entre l’ancien président de la République islamique, Hassan Rohani, et les puissances mondiales du groupe P5+1 (composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des nations unies + l’Allemagne). À l’époque, M. Rohani et son équipe ont tenté de transférer un projet de loi sur l’accord nucléaire au Conseil suprême de sécurité nationale iranien pour approbation, mais Ali Khamenei l’a astucieusement redirigé vers le Parlement. Si le projet de loi était passé par ledit Conseil, l’approbation officielle de M. Khamenei aurait été nécessaire – chose qu’il ne voulait pas accorder.
Deuxièmement, le Guide suprême ne révèle pas publiquement sa position vis-à-vis de l’accord nucléaire parce qu’il ne veut pas être blâmé par les gens ordinaires lorsqu’ils se rendront compte que les avantages financiers de l’accord ne leur reviennent pas. Les fonds seront plutôt acheminés vers le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI); son unité d’élite, la Force Al-Qods; le bureau du Guide suprême; les politiciens ainsi que les milices et les groupes terroristes du régime au Moyen-Orient. C’est une information essentielle à garder à l’esprit quand on entend des slogans comme «Laissez la Syrie tranquille, pensez plutôt à nous», «Mort au Hezbollah», «Oubliez Gaza, oubliez le Liban, je donnerai ma vie pour l’Iran» et «Mort à Khamenei» de plus en plus souvent entonnés lors des manifestations récurrentes à travers le pays.
Troisièmement, lorsque M. Khamenei n’approuve pas publiquement un accord international, il se donne la possibilité de se retirer de l’accord quand il le souhaite sans être blâmé ou tenu responsable de l’avoir approuvé en premier lieu. C’est ce qui s’est produit pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, lorsque le régime a décidé de violer l’accord de Paris sur le nucléaire de 2004 et de reprendre ses activités d’enrichissement d’uranium. C’est pour cette raison que le groupe P5+1 devrait exiger que tout accord avec la République islamique soit officiellement signé et approuvé par le Guide suprême.
Quatrièmement, Ali Khamenei ne veut pas nuire à son positionnement antiaméricain en déclarant publiquement qu’il est en faveur d’un accord avec les États-Unis.
Bien qu’il cache efficacement son jeu, il est néanmoins intrigant de constater que lorsqu’il est question de l’accord sur le nucléaire, le Guide suprême se prononce sur les principes idéologiques et révolutionnaires de la République islamique, tels que la propagation du chiisme par le renforcement de «l’axe de la résistance» et l’établissement de mandataires chiites dans les pays à prédominance sunnite pour faire basculer l’équilibre des forces. Le Guide suprême a publiquement insisté, à plusieurs reprises, sur le fait qu’il ne modifierait pas les politiques régionales de l’Iran consistant à soutenir les mandataires chiites ou à s’ingérer dans les affaires des pays arabes. Il a également déclaré en 2015: «Nous ne cesserons jamais de soutenir nos amis de la région et les peuples de Palestine, du Yémen, de Syrie, d’Irak, de Bahreïn et du Liban, que l’accord sur le nucléaire soit approuvé ou rejeté.»
«Ali Khamenei tente de se dérober à toute responsabilité, ce qui lui permet de tenir d’autres fonctionnaires iraniens responsables en cas d’échec de tout accord.» - Dr Majid Rafizadeh
Par ailleurs, M. Khamenei mentionne souvent les autres principes révolutionnaires et idéologiques de l’Iran, comme l’opposition aux États-Unis et à ses alliés. «À l’heure actuelle, nous ne menons pas de discussion avec les États-Unis sur quelque autre sujet que ce soit. Il n’y a pas d’autre sujet. Tout le monde devrait le savoir. Nous ne négocions pas avec les Américains sur les questions régionales ou les différents enjeux nationaux et internationaux. Aujourd’hui, le seul sujet qui fait l’objet de discussions est la question de l’accord sur le nucléaire. Ce sera une expérience pour nous. Mais si nous constatons qu’ils continuent de s’obstiner de la même manière, alors notre expérience antérieure sera naturellement renforcée», avait-il précédemment déclaré.
En bref, Ali Khamenei a astucieusement omis de clarifier sa position vis-à-vis de l’accord sur le nucléaire afin d’échapper à ses responsabilités. Les puissances mondiales doivent exiger son approbation publique explicite pour conclure tout accord avec la République islamique.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com