PARIS : À moins de cinquante jours du premier tour de l’élection présidentielle, le paysage politique français, partagé entre incertitudes et fractures, ne nous réserve guère de surprises.
La campagne électorale stagne toujours, avec un président toujours officiellement non candidat qui préfère continuer à garder son avantage supposé dans les sondages et à gagner des ralliements, de droite comme de gauche. En outre, la compétition fait rage à droite, et Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour se tiennent dans un mouchoir de poche. La campagne ne décolle pas: plusieurs candidats enregistrent un retard dans le recueil de leurs parrainages. Rappelons que cinq cents signatures d’élus sont nécessaires pour se présenter.
Alors que les gauches s’essoufflent et que, du côté au centre, des écologistes et de la gauche classique, on observe le schéma habituel, on assiste à un tournant à droite: le débat est marqué par des querelles nourries par les ambitions personnelles et par un discours plus populiste qui s’éloigne de valeurs républicaines.
Opinion publique indécise et paysage politique éclaté
À en croire les derniers sondages, le président sortant, Emmanuel Macron, «survole» la campagne et fait tranquillement la course en tête, loin devant ses futurs adversaires. Il recueillerait de 24 à 26% au premier tour et s’imposerait au second.
On assiste à un tournant à droite: le débat est marqué par des querelles nourries par les ambitions personnelles et par un discours plus populiste qui s’éloigne de valeurs républicaines.
Sur le front des droites, c’est la confusion, avec une dernière vague de sondages qui situe Éric Zemmour en bonne position. En outre, selon une enquête d’opinion, il s’imposerait dans la course au second tour.
Zemmour, le candidat du parti Reconquête! est crédité de 16,5% d'intentions de vote, devant ses adversaires du RN (Rassemblement national, parti de droite nationaliste dirigé par Marine Le Pen, qui recueillerait 16%), et ceux du LR (Les Républicains, droite républicaine, 15%) de Valérie Pécresse.
Plombée par son meeting en demi-teinte du 13 février dernier au Zénith de Paris, Valérie Pécresse, après un bon début, semble en perte de vitesse.
Certes, il convient de considérer cette enquête avec prudence – comme tous les sondages. Mais il est certain que l’émergence de Zemmour bouscule les droites. Ainsi, si les résultats de ce match à trois – sorte de primaire non déclarée entre les droites, les nationalistes et les populistes – ne sont pas acquis, la méthodologie de l'enquête permet de douter d’une inversion des dynamiques.
Plombée par son meeting en demi-teinte du 13 février dernier au Zénith de Paris, Valérie Pécresse, après un bon début, semble en perte de vitesse – elle était sortie vainqueur de la primaire de son parti Les Républicains. Son discours, qui tentait de composer avec certains thèmes de ses concurrents populistes et nationalistes (comme la référence à la théorie du «grand remplacement»), l’empêche d’apparaître comme une représentante authentique et distinguée de la droite républicaine.
Quant à Marine Le Pen, elle pourrait pâtir du non-renouvellement de ses thèmes de prédilection et des défections en série de certains cadres de son mouvement, dont elle ne parvient pas à endiguer la fuite vers le parti de l’ex-polémiste Zemmour.
Quant aux partis de gauche et aux écologistes, les sondages confirment la marginalisation de ces courants. Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise, gauche radicale) reste le candidat le mieux placé; il est crédité de 9,5 à 11% d’intentions de vote. L’écologiste Yannick Jadot reste deuxième, avec 5% environ. Il est concurrencé par Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), qui semble en mesure de redorer le blason de son parti et s’approche de la barre des 5%. Christiane Taubira, l’ancienne radicale de gauche et championne d’une primaire populaire sans effets notables, se trouve quant à elle à égalité avec Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste (PS), aux alentours de 2,5%.
Lutte sans merci pour la qualification au second tour
Ce bilan s’appuie sur les perceptions des électeurs français et les priorités de leurs choix. Malgré tout le bruit de la propagande populiste, les questions de l’islam et de l’immigration (thèmes favoris de Zemmour, de Le Pen, voire de Pécresse) arrivent bien après le pouvoir d’achat et la situation socio-économique.
Le 18 février dernier, l’ Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a annoncé que le chômage avait diminué au quatrième trimestre 2021, passant de 8 à 7,4%. Cette baisse sensible, qui dépasse les effets de la pandémie de Covid-19, est un signe de réussite du bilan économique de l’épisode de Macron et un gain électoral. En revanche, malgré l’impact minime des thèmes de la politique étrangère sur les choix électoraux, la décision du retrait militaire au Mali représente un revers pour le maître de l’Élysée.
Malgré tout le bruit de la propagande populiste, les questions de l’islam et de l’immigration (thèmes favoris de Zemmour, de Le Pen, voire de Pécresse) arrivent bien après le pouvoir d’achat et la situation socio-économique.
Indépendamment de ces thèmes qui dominent le débat électoral et influencent les choix des Français, le temps fort de l’échéance électorale sera sans doute la lutte sans merci entre les représentants des droites et ceux du nationalisme en vue de la qualification pour le second tour.
On constate pour le moment l’essoufflement de Marine Le Pen, dont le discours paraît moins mobilisateur et la structure de soutien moins sûre. Par ailleurs, l’ambition de Valérie Pécresse de représenter une alternative salvatrice risque de s’évaporer. En réalité, les droites semblent bousculées par l’émergence du phénomène Éric Zemmour. Au fil de jours, ce polémiste populiste est parvenu à occuper l'espace médiatique en France, ce qui révèle un virage à droite de la scène intellectuelle et politique ainsi que d’une partie de la société.
Plus nettement encore, une large couverture médiatique a permis de diffuser les thèses inspirées de la théorie du «grand remplacement». À ce propos, l’écrivain et ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali, cite une réflexion de l’ancien président français estimant que «l'extrême droite française est aussi dans la droite». Dans cette campagne présidentielle, cette analyse cruelle se vérifie avec les surenchères d’une droite officielle paniquée à l'idée d'être dépassée par l’extrême droite.
Le discours de Valérie Pécresse du 13 février, qui évoquait le «grand remplacement», et ses sorties relatives aux «Français de papier» font surgir les vieux fantasmes d’une période que l’on pensait révolue… Il y a un siècle, on disait que la France était menacée de perdre son âme à cause des flux «italiens, polonais ou juifs».
Ce sentiment de peur pour l’identité de la France était liée, à l’époque, à une crainte des fonctions d’influence et du changement. Aujourd’hui, la hantise d’un grand remplacement est véhiculée en raison du poids démographique des musulmans et de son rapport supposé avec la sécurité, le terrorisme et l’immigration. Elle intervient à l’époque de «la fin des idéologies» et de «la révolution numérique». Pour cette raison, le renouvellement des partis politiques et de l’offre politique apparaissent plus nécessaires que jamais.
Quel que soit le résultat de cette bataille intestine des droites, Emmanuel Macron est donné favori au second tour. Il l'emporterait face à Éric Zemmour ainsi que face à Marine Le Pen (comme en 2017) et gagnerait de manière serrée face à Valérie Pécresse.
Toutefois, avec une opinion particulièrement indécise, tous les dés ne sont pas encore jetés et des surprises de dernière minute peuvent encore survenir.