AVDIIVKA: "En ce moment, ils tirent aussi fort qu'en 2015", estime Anna Velitchko, depuis ce qu'il reste de son immeuble de la ville d'Avdiïvka, dans l'est de l'Ukraine, un perchoir branlant qui surplombe la ligne de front.
De là, la jeune femme de 39 ans a une vue dégagée sur Donetsk, une des deux "capitales" des séparatistes soutenus par la Russie, qui tirent régulièrement sur la ville.
Son immeuble a été fortement endommagé par des bombardements après le début en 2014 de la guerre avec ces rebelles prorusses.
Si l'intensité des combats est encore loin du déchainement de feu de 2014, cette nouvelle flambée de violence, avec des bombardements sporadiques a tué lundi deux soldats et un civil ukrainiens.
Alors que la menace d'une guerre massive entre la Russie et l'Ukraine augmente de jour en jour et même d'heure en heure, rien n'apaise la colère de Mme Velitchko.
"Je veux gifler Poutine et Zelensky", déclare-t-elle à propos des dirigeants russe et ukrainien, qu'elles voudrait voir "s'assoir enfin et se mettre d'accord pour mettre fin à cette guerre".
L'Ukraine au cœur de plusieurs mois de crise
Des mouvements de troupes russes en novembre à la frontière ukrainienne jusqu'à la menace d'une invasion jugée imminente par les Occidentaux, retour sur des mois de tensions autour de l'Ukraine.
- Crainte d'une offensive
Le 10 novembre 2021, Washington demande des explications à la Russie sur des mouvements de troupes "inhabituels" à la frontière ukrainienne.
Le président russe Vladimir Poutine accuse les Occidentaux de livrer des armes à Kiev et de mener des exercices militaires "provocants" dans la région.
Le 28, l'Ukraine assure que la Russie a déployé près de 92.000 soldats à ses frontières. Moscou accuse l'Ukraine de masser des troupes dans l'Est, où une guerre oppose Kiev à des séparatistes soutenus par Moscou.
- Sommet Biden-Poutine
Le 7 décembre, lors d'un sommet virtuel avec Poutine, le président américain Joe Biden le menace de "fortes sanctions" économiques en cas d'invasion de l'Ukraine.
Moscou dévoile deux projets de traités pour bannir notamment toute adhésion de l'Ukraine à l'Otan et obtenir le retrait des forces de l'Otan des pays de l'ex-espace soviétique.
- Forces en alerte
Le 18, après des négociations infructueuses à Genève puis à Bruxelles, Moscou déploie des soldats au Bélarus.
Washington débloque une nouvelle aide pour l'Ukraine et autorise les pays baltes à livrer à Kiev des armes américaines.
Le 24, l'Otan annonce l'envoi de navires et d'avions de combat pour renforcer ses défenses en Europe de l'Est. Washington place 8.500 militaires en état d'alerte.
Moscou lance de nouvelles manœuvres près de l'Ukraine et en Crimée.
- Le « non » à Moscou
Le 26, Washington rejette les demandes clés de Moscou.
Des émissaires russe et ukrainien rencontrent à Paris les médiateurs français et allemand pour tenter de relancer le processus de paix dans l'Est ukrainien.
- Pékin aux côtés de Moscou
Le 27, Pékin juge "raisonnables" les préoccupations de Moscou pour sa sécurité.
Le 2 février, Washington envoie 3.000 soldats supplémentaires en Europe de l'Est.
- Poutine prêt à des "compromis" -Le 7, Poutine se dit prêt à "des compromis" après un entretien avec le président français Emmanuel Macron.
Le 10, les armées russe et bélarusse débutent des manœuvres d'envergure au Bélarus.
- Risque «réel» de guerre
Le 11, l'Otan insiste sur le "risque réel d'un nouveau conflit armé" en Europe. Plusieurs pays appellent leurs ressortissants à quitter l'Ukraine.
Washington décide l'envoi de 3.000 soldats supplémentaires en Pologne.
Le 13, le chancelier allemand Olaf Scholz prévient que les sanctions occidentales seraient "immédiates" en cas d'invasion russe.
Le 14, les Etats-Unis décident de déplacer leur ambassade de Kiev à Lviv (Ouest).
- Retrait ou renforcement?
Le 15, le Kremlin annonce le "retrait partiel" de ses forces aux frontières ukrainiennes.
Le 16, l'Otan dit ne constater aucun signe de désescalade affirmant, tout comme Washington, que la Russie continue au contraire de renforcer sa présence.
- Heurts accrus dans l'Est ukrainien
Le 17, des échanges de tirs à l'arme lourde s'intensifient le long de la ligne de front entre séparatistes prorusses et forces ukrainiennes.
Biden juge une offensive russe possible "dans les prochains jours", alors que Moscou a déployé plus de 150.000 soldats aux frontières de l'Ukraine, selon les renseignements américains.
Le 18, les séparatistes ordonnent l'évacuation de civils vers la Russie.
Antony Blinken dénonce la mise en œuvre par Moscou de "provocations" pour justifier une attaque.
- Frappe imminente?
Le 19, l'armée ukrainienne annonce la mort de deux de ses soldats.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky propose une rencontre à Poutine qui, au même moment, supervise des exercices "stratégiques" avec des tirs de missiles "hypersoniques".
Les troupes russes "s'apprêtent à frapper" selon Washington. La France et l'Allemagne exhortent leur ressortissants à quitter l'Ukraine.
- Poutine reconnaît l'indépendance des séparatistes prorusses
Le 21, l'Elysée indique que les présidents russe et américain ont accepté son principe d'un sommet Poutine-Biden. Mais le Kremlin juge cette annonce "prématurée".
L'armée russe affirme avoir tué sur son territoire cinq "saboteurs" venus d'Ukraine et avoir arrêté un soldat ukrainien, Kiev dément avoir envoyé ces hommes.
Poutine juge que le processus de paix dans ce conflit n'a "aucune perspective".
Dans une allocution télévisée, Poutine annonce reconnaître l'indépendance des territoires séparatistes prorusses. L'UE promet des sanctions.
Le président russe ordonne à son armée d'entrer dans les territoires séparatistes dans l'Est de l'Ukraine.
Reconnaissance par Poutine
Défiant la menace des sanctions occidentales, Vladimir Poutine a reconnu lundi soir l'indépendance des républiques séparatistes autoproclamées de Donetsk et Lougansk, court-circuitant de fait le processus de paix issu des accords de Minsk de 2015 signés sous médiation franco-allemande pour tenter de résoudre ce conflit armé, qui a fait plus de 14.000 morts.
L'ampleur et les conséquences concrètes pour les habitants de cette reconnaissance russe de l'indépendance de ces territoires, restent encore floues.
La Russie s'arrêtera-t-elle aux limites des zones de facto aux mains des séparatistes, ou tentera-t-elle de prendre le contrôle de l'ensemble des régions administratives d'avant-guerre de Donetsk et de Lougansk, plus larges et qui comprennent les territoires encore tenus par Kiev?
Si cette dernière option est retenue par le Kremlin, la ligne de front pourrait s'embraser violemment et surtout se déplacer à l'ouest.
Les habitants de ces territoires contrôlés par Kiev le long de la frontière redoutent de voir arriver les premiers chars russes dans leurs localités.
Et si les troupes russes arrivent, les habitants d'Avdiïvka se préparent au pire.
Sacs d'urgence
Même aux pires heures de la guerre, Tetiana Polichtchouk, 67 ans, n'a jamais pu se résoudre à quitter son appartement.
Mais cette fois-ci, la retraitée se dit qu'elle n'aura peut-être pas le choix. "Ils ont commencé à tirer beaucoup plus", déplore-t-elle.
Des sacs avec des affaires d'urgence et ses documents officiels sont déjà prêts et entreposés près de sa porte. En cas d'invasion russe, elle les prendra pour fuir chez sa fille à Kiev, la capitale.
"Poutine est un salaud, il a une lubie, celle de recréer une empire à lui, à l'instar de l'URSS", s'insurge Mme Polichtchouk, en doudoune rose et bonnet.
Valentin Kovtoun, 49 ans, est résigné. "De toute façon Donetsk et la Crimée (péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014) ne seraient pas revenus" à l'Ukraine, estime-t-il. "Ils ont une autre politique, ils sont Russes là-bas".
Employé d'une usine locale, Ievguen Vassylenko, 30 ans, s'inquiète des bombardements plus que du sort des républiques séparatistes. Il "n’aimerait pas revivre ce qui s’est passé en 2014, 2015, 2016": "Ce n’était pas des moments agréables".
Ievguen Tsyganok, qui était déjà venu se réfugier à Avdiïvka après la prise de sa ville natale de Donetsk en 2014, est lui lassé de devoir fuir.
"Parfois, un très gros obus ou quelque chose comme ça est tiré et vous le sentez avec tout votre corps", témoigne le jeune homme de 27 ans.
"Mais nous n'avons plus où nous enfuir d'ici parce que mes parents sont, de l'autre côté, à Donetsk", explique M. Tsyganok. "Ni eux, ni nous, nous ne pouvons aller nulle part. C'est notre terre", dit-il.