AMBOISE: Une sculpture en hommage à Abd el-Kader, héros national algérien du refus de la présence coloniale française à la fin du 19e siècle, a été vandalisée avant son inauguration samedi à Amboise, dans le centre de la France, un acte largement condamné.
Cette œuvre, installée pour les 60 ans de l'indépendance de l'Algérie, avait été proposée par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur "Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie", remis au président français Emmanuel Macron en janvier 2021.
C'est à Amboise qu'Abd el-Kader (1808-1883) avait été détenu avec plusieurs membres de sa famille de 1848 à 1852.
La sculpture, signée de l’artiste français Michel Audiard, représente l'émir découpé dans une feuille d'acier rouillé. C'est sa partie basse qui a été largement dégradée.
Une enquête pour "dégradation grave de bien destiné à l'utilité publique et appartenant à une personne publique" a été ouverte et confiée à la police locale, a dit à l'AFP le procureur de Tours (centre), Grégoire Dulin.
"Il n'y a pas de revendication", a indiqué à l'AFP un responsable de la gendarmerie, Hugues Loyez. "L’œuvre était en parfait état depuis sa mise en place il y a dix jours".
L'ambassadeur d'Algérie en France, Mohamed Antar Daoud, a dénoncé "un acte de vandalisme d'une bassesse inqualifiable", ajoutant: "il faut dépasser cela (…). Le rapprochement franco-algérien continue. Il y a une dynamique, une volonté de part et d'autre d'aller de l'avant".
De son côté, Benjamin Stora a dénoncé "l'obscurantisme, l'analphabétisme et l'ignorance" de ceux qui ont dégradé la sculpture.
"L'émir Abd el-Kader a eu plusieurs vies. Il a combattu la France, bien sûr, mais il a été aussi un ami de la France. Ceux qui ont fait ce geste ne connaissent rien à l'histoire de France", a déclaré l'historien à l'AFP.
"C'était un guerrier mais aussi un philosophe, un mystique, un personnage extrêmement important qui a sauvé les chrétiens d'Orient à Damas en 1860", a-t-il rappelé.
L'inauguration de la stèle a été maintenue. Juste avant la cérémonie prévue à 10H00 GMT, les passants et la centaine de personnes présentes ont découvert les dégradations.
«Inqualifiable»
Le maire d'Amboise, Thierry Boutard, a indiqué que l’œuvre serait "restaurée et refaite". Selon l'artiste, Michel Audiard, la sculpture peut être refaite d'ici un mois.
"J’ai eu honte qu'on traite une œuvre d’art et un artiste de cette sorte", a dit le maire à l'AFP. "Le deuxième sentiment est bien sûr l’indignation. C’est une journée de concorde qui doit rassembler et un tel comportement est inqualifiable".
En pleine campagne pour l'élection présidentielle d'avril, "c'est une période politiquement tendue ou que certains se plaisent à tendre" encore plus, a ajouté M. Boutard.
"Rappelons-nous ce qui nous unit. La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues", a condamné le président Emmanuel Macron dans une réaction transmise à l'AFP.
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a aussi condamné "cet acte qui est profondément débile". "L’augmentation des actes antireligieux n’est pas un bon signe de santé de la société française", a-t-il dit.
L'artiste Michel Audiard a confié sa peine de voir son œuvre en partie détruite. Pour lui, "c'est réellement un saccage prémédité. Il faut une disqueuse, il faut couper, il faut tordre. C'est un acte de lâcheté (...) ce n'est pas signé, c'est gratuit".
Parmi les personnes présentes à l'inauguration, Ouassila Soum, Franco-Algérienne de 37 ans, avait "le coeur serré".
"C'est dommage et en même temps ce n’est pas surprenant avec le discours de haine, le climat nauséabond actuel", a-t-elle confié à l'AFP, voyant dans cette stèle "un symbole de rapprochement entre les peuples et les civilisations".
L'émir Abd el-Kader ibn Mahieddine (1808-1883) est une figure de l'histoire de l'Algérie. Surnommé "le meilleur ennemi de la France", il est considéré comme l'un des fondateurs de l'Algérie moderne.
Après sa reddition, il a été emprisonné à Toulon (sud-est), Pau (sud-ouest) puis au château d'Amboise de 1848 à sa libération en 1852.
Cet "homme passerelle" comme le qualifie M. Stora, s'est ensuite exilé à Damas où sa défense en 1860 des chrétiens de Syrie, en proie aux persécutions, fera de lui un symbole de tolérance. Il sera récompensé en France de la Grand Croix de la Légion d'honneur.