PARIS : C'est l'accusé du procès des attentats du 13 novembre 2015 en France qui n'a rien fait, rien vu, rien su... Mais la sincérité du Pakistanais Muhammad Usman a été sérieusement remise en cause jeudi après la déposition d'un témoin, pourtant cité par la défense.
Mohamed Bakkali, le logisticien présumé des attentats du 13-Novembre, continuant de se murer dans le silence, la cour d'assises spéciale a entendu à sa place Raphaële C., l'ancienne directrice du quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) de Fleury-Mérogis, où a été détenu Muhammad Usman.
Les QER, créés à la suite des attentats de 2015, ont pour mission d'évaluer le degré de radicalisation des détenus condamnés pour des faits de terrorisme islamiste. Muhammad Usman y est passé de la mi-février à la mi-mars 2020.
À la barre, Raphaële C. décrit un homme "correct" et "respectueux", "parfois influençable".
Muhammad Usman possède de "faibles connaissances religieuses", explique-t-elle. Il ne semble "pas ancré dans une idéologie violente".
Lors de son interrogatoire mardi, Muhammad Usman s'était efforcé de minimiser son engagement au sein du groupe Etat islamique (EI). S'il a reconnu avoir rejoint la Syrie en 2015 et s'être rendu à Falloujah en Irak, il a soutenu n'y avoir "rien fait".
Revenu en Syrie à Raqqa, la "capitale" de l'EI, il sera recruté, avec l'Algérien Adel Haddadi et les deux kamikazes irakiens du Stade de France, pour commettre un attentat-suicide en France. Interrogé à ce sujet, Muhammad Usman était resté vague en assurant qu'il n'avait jamais combattu et ne savait pas pourquoi il avait été recruté.
Muhammad Usman n'a pas réussi à rejoindre la France avec les autres membres des commandos.
Interpellé en Grèce avec Adel Haddadi en octobre 2015, il y sera détenu un mois avant de reprendre la route et d'être à nouveau arrêté en Autriche en décembre, un mois après les attentats.
Pour Raphaële C., l'accusé a une vision du monde assez "immature, enfantine". C'est un "naïf" qui "aurait pu faire une proie facile pour l'Etat islamique".
M. Usman a fait part de son "désengagement total" par rapport à l'idéologie de l'EI, poursuit-elle. "M. Usman portait beaucoup de paroles de regrets".
Juste «une hypothèse»
Dans quelle langue parliez-vous avec M. Usman, veut savoir le président. En français, répond le témoin. "En raison de la crise sanitaire, on n'avait pas d'interprète en ourdou", précise-t-elle.
Or, si M. Usman parle un peu le français, qu'il a appris en détention, son interrogatoire a démontré qu'il lui était difficile de se passer d'un interprète pour s'exprimer.
L'avocate générale Camille Hennetier aimerait savoir comment est déterminée la sincérité d'un détenu au QER.
"Par les faits observés, les appels téléphoniques, les courriers, les échanges avec les familles", détaille Mme C.
"Mais, dans le cas de M. Usman, il n'y avait pas tout ça ! Pas de parloirs, pas de courriers... Comment huit entretiens en langue française avec lui vous permettent d'attester de sa sincérité ?", insiste l'avocate générale. "On était dans l'hypothèse", admet le témoin.
Les avocats des parties civiles s'engouffrent dans la brèche. Comment peut-on dire que l'accusé à une faible connaissance religieuse alors qu'il a étudié six ans dans une madrasa (école coranique), s'interroge Me Sylvie Topaloff.
"C'est une information transmise par un imam qui l'a vu en entretien", répond le témoin, qui confirme n'avoir pas eu accès au dossier de l'accusé.
"Les madrasas sont des écoles d'endoctrinement qui se félicitent d'avoir formé les cadres talibans", insiste l'avocate. "Vous l'avez cru ? Vous le croyez quand vous dites qu'il est dans une posture de repentir ?", poursuit l'avocate. "Non, c'est une hypothèse", répète une nouvelle fois le témoin.
Un autre avocat des parties civiles, Antoine Casubolo-Ferro, s'interroge sur l'aspect "influençable" de l'accusé. "Qu'est-ce que ça peut nous dire de sa dangerosité une fois en liberté ?", demande-t-il. Mme C. reconnaît que son rapport ne concerne que la période de détention et pas la suite.
"Quel crédit peut-on apporter au rapport du QER sur M. Usman ?", poursuit Me Casubolo-Ferro. "On n'est pas là pour chercher la vérité", concède le témoin.