PARIS : Une banlieue populaire de Paris, un village breton, un centre-ville de Corrèze... Des centaines de cinémas publics célèbrent le septième art, là où les groupes privés n'iraient pas. Mais ils s'estiment oubliés par le gouvernement et s'inquiètent pour leur survie.
Le malaise a éclaté fin septembre, après que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a présenté les aides au cinéma, mis à genoux par la crise sanitaire.
Une énorme bouffée d'oxygène, pour les salles notamment, à coup de dizaines de millions d'euros. Pourtant, les 400 cinémas "en régie directe" d'une municipalité ou d'une communauté de commune ne pourront pas prétendre à l'une des principales enveloppes, de 50 millions d'euros, pour la compensation financière des pertes d'exploitation dues à l'épidémie.
Interpellé lors du raout annuel des exploitants de salles à Deauville, le Centre national du Cinéma (CNC) a récusé toute décision "idéologique". "Il fallait faire des choix", a justifié son directeur général délégué Olivier Henrard.
"Quel que soit le rôle assumé par ces salles de cinéma, et la situation dans laquelle elles se trouvent", leur "situation est objectivement tout à fait différente", relève-t-il. En clair, les pertes des cinémas publics pourront être épongés par les mairies, "qui par définition ne sont pas menacées de fermeture", quand le privé fait face à un risque de "cessation d'activité".
Sans compter que les salles municipales pourront, comme les autres, prétendre au plan de relance: 34 millions d'euros fléchés pour des investissements, et que le patron du CNC, Dominique Boutonnat, a promis de "traiter chaque salle, au cas par cas", s'il y avait un risque de fermeture.
Mais vu de Montreuil, banlieue populaire de Seine-Saint-Denis où se trouve Le Méliès, l'un des plus importants cinémas en régie publique de France, le compte n'y est pas. Son exploitant Stéphane Goudet dénonce un "arrière-plan idéologique", d'inspiration libérale.
"Il ne faut pas nier la réalité, ça existe des cinémas publics qui ferment", comme il y a quelques années à Sevran, autre commune du "93", s'insurge-t-il. Et les maires peuvent "réduire le personnel, l'amplitude horaire"... Au final, "la qualité du service public va être affaiblie quand les circuits privés, qui touchent l'intégralité des aides, vont être renforcés", redoute-t-il.
Ouvert tous les soirs
Si les cinémas publics s'inquiètent au point d'interpeller l'État dans une pétition signée par des grands noms du cinéma, comme Cédric Klapisch ou Robert Guédiguian, c'est qu'ils ont l'impression de jouer un rôle irremplaçable, dans des zones souvent déshéritées ou isolées.
C'est le cas à Loudéac (Côtes-d'Armor), 10.000 habitants dont beaucoup travaillent en usine ou en abattoir, et un cinéma public de deux salles, le Quai des Images. Auparavant privé, il a périclité jusqu'à son rachat par la mairie.
"Un privé ne ferait jamais le travail qu'on fait", défend la directrice, Isabelle Allo, fière de mixer films d'art et essai et cinéma plus grand public. Mais la situation est alarmante : avec le Covid, la fréquentation a fondu de moitié, et elle craint le jour où la mairie n'aura plus les moyens.
Dans cette petite commune bretonne, le cinéma, rare lieu ouvert tous les soirs, c'est "un vrai budget", avec 4 agents affectés, reconnaît l'élue à la culture, Gwenaëlle Kervella: "les collectivités n’ont pas des finances extensibles".
Mais pas question de lâcher : "le multiplexe le plus proche est à 20 kilomètres", et le cinéma municipal "travaille beaucoup en direction des jeunes, qui ont beaucoup moins de propositions culturelles que dans les grandes agglomérations, et des publics empêchés d'accéder à la culture".
A Mont-de-Marsan, en Corrèze, c'est toute une filière audiovisuelle au lycée, et un festival de moyen-métrage qui compte sur le "Rex", géré par la mairie.
Garder un cinéma public nécessite "une politique très volontariste", témoigne son patron, Romain Grosjean, qui estime à 120.000 euros son manque à gagner "Covid". Mais pour ce passionné, le jeu en vaut la chandelle: "certaines personnes me disent si le Rex, fondé en 1938, n'existait pas, elles ne resteraient pas vivre ici+: il n'y a pas de salle équivalente à 150 km à la ronde". (AFP)