Qui défendra les Palestiniens contre les attaques racistes?

Un agriculteur palestinien, Mahmoud Abu Shinar, montre ses oliviers détruits, près du village cisjordanien de Turmus Aya, au nord de Ramallah, le 22 octobre 2018. (Abbas Momani / AFP)
Un agriculteur palestinien, Mahmoud Abu Shinar, montre ses oliviers détruits, près du village cisjordanien de Turmus Aya, au nord de Ramallah, le 22 octobre 2018. (Abbas Momani / AFP)
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Publié le Samedi 15 janvier 2022

Qui défendra les Palestiniens contre les attaques racistes?

Qui défendra les Palestiniens contre les attaques racistes?
  • En ce moment, même une vague expression de solidarité avec les Palestiniens se heurte à des accusations d'antisémitisme
  • Le débat devrait se concentrer sur les raisons pour lesquelles davantage de célébrités et de personnalités de premier plan ne s'expriment pas

Les mentalités se sont-elles durcies dans le maelström qu'est le monde israélo-palestinien? La fureur suscitée par une publication sur les réseaux sociaux de l'actrice Emma Watson le suggère, annonçant le nadir dans les débats sur l'un des plus anciens conflits du monde. En ce moment, même une vague expression de solidarité avec les Palestiniens, qui doivent vivre sous l'apartheid et l'occupation, se heurte à des accusations d'antisémitisme et à des semeurs de haine antipalestiniens.

Emma Watson, devenue star mondiale après avoir interprété le rôle de Hermione Granger dans la série de films Harry Potter, a donné à voir à ses 64,3 millions d'abonnés Instagram une photo accompagnée des mots suivants: «La solidarité est un verbe.» En arrière-plan, on pouvait voir les banderoles «Free Palestine» («Palestine libre») et «Save Sheikh Jarrah» («Sauvez Cheikh Jarrah»). Il n'y a aucune référence à la Palestine dans le texte. Il n'y a même pas de critique d'Israël. Cela ne méritait guère d'attention.

Mais la brigade antipalestinienne avait autre chose en tête. L'escouade en ligne a été dirigée par Danny Danon, l'ancien ambassadeur d'Israël auprès de l'ONU et haut responsable du Likoud. «10 points de Gryffondor pour être un antisémite», a-t-il posté sur Twitter. À ses côtés se trouvait son successeur en tant qu'ambassadeur, Gilad Erdan, qui a écrit quant à lui: «La fiction peut fonctionner dans Harry Potter, mais elle ne fonctionne pas dans la réalité. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, mais le gouvernement israélien n'a absolument critiqué ces commentaires. Encore une fois, le gouvernement israélien a peu parlé des marches “À mort les Arabes” à Jérusalem.»

Watson pourrait être critiquée pour la témérité de ses propos face à des niveaux aussi odieux d'oppression israélienne et de discrimination envers les Palestiniens. Elle n'a pas osé évoquer les crimes de guerre, le nettoyage ethnique ou l'apartheid. Je suis sûr qu'elle ne prétendrait pas que c'était de la bravoure à la Gryffondor.

Le débat devrait se concentrer sur les raisons pour lesquelles davantage de célébrités et de personnalités de premier plan ne s'expriment pas. Certes, certaines le font, mais pas autant que la situation le justifie. Ces vedettes sont-elles donc toutes si intimidées, si effrayées?

L’élément clair, dans ce débat, c’est que le message trivial de Watson n'était en aucun cas antisémite. Les Juifs ne sont même pas mentionnés. La fureur déchaînée contre Watson n'est pas une première. Il existe des exemples récents avec le militant et avocat antipalestinien Alain Dershowitz, qui a décrit le légendaire militant antiapartheid Desmond Tutu comme un «fanatique antisémite». Au mois d’octobre dernier, l'auteure Sally Rooney, qui soutient le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions, a été fustigée parce qu'elle refusait de faire traduire son livre en hébreu par une société spécifique liée à l'armée israélienne. Si vous êtes à peu près célèbre et que vous soutenez les droits des Palestiniens, attendez-vous à être étiqueté comme «antijuif».

C'est un abus diabolique de la noble cause qu’est la lutte contre l'antisémitisme. Les Juifs du monde entier sont toujours confrontés à la violence et à la haine. Dans de nombreuses régions, les cas d'antisémitisme authentique se multiplient. Des synagogues ont été attaquées et des tombes profanées. À Londres, le mois dernier, un bus rempli de Juifs a été assailli; ses passagers ont été harangués et ils ont subi des crachats. Les communautés juives sont naturellement extrêmement craintives étant donné leur histoire et le fait que l'un des génocides raciaux les plus épouvantables du monde les concerne. Et, oui, le Hamas déploie un langage et des tropes antisémites ignobles, alors que certains membres du mouvement des droits palestiniens ont également dépassé les bornes en se livrant à un antisémitisme épouvantable.

Clairement, ce que veulent les antipalestiniens, c'est intimider quiconque ose s'exprimer et étouffer toute critique d'Israël.

Chris Doyle

Ce qu’ont fait Danon et ses semblables, en grande partie d'extrême droite, en armant l'antisémitisme, c'est banaliser les comportements antijuifs, avec de graves conséquences. De fait, ils confondent délibérément le judaïsme et les Juifs avec la critique d'Israël. C'est en soi un trope antisémite grave.

Clairement, ce que veulent les antipalestiniens, c'est intimider quiconque ose s'exprimer et étouffer toute critique d'Israël. Est-ce efficace? Cela semble avoir un effet dissuasif. Des politiciens de nombreux pays et de diverses tendances politiques m'ont dit qu'ils étaient inquiets, mais ils craignent de s'exprimer.

Le vrai racisme affiché, le plus souvent, est antipalestinien. Il possède une histoire riche, mais connaît un renouveau vigoureux. On le voit à nouveau: de plus en plus de commentaires remettent en question l'existence du peuple palestinien. Un autre trope antipalestinien revient à prétendre que ce peuple n’est pas encore apte à se gouverner, ce qui a été mis en évidence par les commentaires du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, en 2019.

Ensuite, il y a le mythe suivant: «L'antisionisme équivaut automatiquement à de l'antisémitisme.» Un autre mensonge réside dans le fait que si vous appelez à la liberté des Palestiniens, vous appelez naturellement à la destruction d'Israël – en d'autres termes, les Palestiniens ne peuvent jamais être autorisés à être libres, car cela signifierait la fin d'Israël. Il existe une autre calomnie: si vous sympathisez avec les Palestiniens, vous soutenez le Hamas. Il est raciste de stigmatiser et de condamner l’ensemble d’un peuple en raison des actions commises par un groupe comme le Hamas. De la même manière, les Israéliens ne devraient pas être collectivement condamnés pour les actions de l'extrême droite.

Le racisme antipalestinien est au cœur de ce conflit. Ce sont les Palestiniens qui se voient refuser les droits nationaux et humains fondamentaux, y compris le droit à l'autodétermination, à un État, à la citoyenneté, à se marier avec qui ils veulent, à la terre et à l'eau, et à une vie digne. Leur présence même est effacée, ainsi que leur histoire et leur culture. Près des trois quarts des Palestiniens ne peuvent plus vivre ni simplement visiter, pour nombre d’entre eux, ce qui était leur pays. C'est cette attitude raciste qui permet la punition collective de deux millions de Palestiniens à Gaza pour les crimes du Hamas. Un haut diplomate israélien a récemment réprimandé les ambassadeurs européens en raison de leurs critiques: «Après tout ce que le nouveau gouvernement israélien a fait pour les Palestiniens, vous venez vous plaindre? Oui, la puissance occupante pense qu'elle doit être remerciée pour la façon dont elle traite les Palestiniens», a-t-il déclaré.

Ce qui est le plus alarmant, c'est que les dirigeants des grandes puissances internationales ne font rien pour défendre les Palestiniens, y compris contre les attaques racistes. Au lieu de cela, trop souvent, ils se livrent à l'amalgame dangereux de la critique de la politique israélienne et de l'antisémitisme.

Alors que mon travail m’offre une profusion d’éléments, je ne me souviens pas qu’un dirigeant américain ou européen ait dénoncé le racisme contre les Palestiniens ou même contre les Arabes. Cela doit changer. Tout cela fait partie d’un racisme antiarabe plus large que l’on peut voir à l’œuvre dans les films hollywoodiens ainsi qu’à la télévision et qui conduit à ignorer les victimes civiles arabes des guerres ou des attaques terroristes et à se vanter du fait que «nous ne faisons pas de décompte des corps». C'est pourquoi les crimes de guerre israéliens et le nettoyage ethnique des Palestiniens continuent d'être ignorés. Avant que tout cela ne prenne fin, davantage de personnes doivent faire preuve de solidarité, notamment celles, comme Emma Watson, qui ont de l'influence.

 

Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Conseil pour la compréhension arabo-britannique, ou Caabu), situé à Londres.
Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.