De récentes procédures révèlent la discrimination du système judiciaire israélien

Les lois justes derrière lesquelles Israël tente de cacher ses actions se révèlent instruments d'oppression et de discrimination. (AFP)
Les lois justes derrière lesquelles Israël tente de cacher ses actions se révèlent instruments d'oppression et de discrimination. (AFP)
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Publié le Samedi 08 janvier 2022

De récentes procédures révèlent la discrimination du système judiciaire israélien

De récentes procédures révèlent la discrimination du système judiciaire israélien
  • M. El-Halabi est détenu dans une prison israélienne depuis juin 2016
  • Cinquante jours après avoir été arrêté et torturé, les autorités israéliennes lui ont fait cette proposition : le libérer s'il s'engageait à plaider coupable de n'importe quel délit

Ce mois-ci, un juge israélien du tribunal de Beer Sheva a pris l'avocat Maher Hanna au dépourvu. Membre du barreau d'Israël, Me Hanna s'est trouvé confronté à l'affaire la plus curieuse de sa carrière alors qu'il cherchait à libérer son client, Mohammed El-Halabi.

M. El-Halabi dirigeait les opérations de l'organisation humanitaire World Vision à Gaza. Il est détenu dans une prison israélienne depuis juin 2016. Arrêté en rentrant de Jérusalem, il est accusé de commanditer un complot financier consistant à détourner des millions de dollars consacrés à des organisations humanitaires qualifiées de terroristes par les autorités israéliennes.

Selon les médias israéliens, la fraude présumée s'élèverait à 50 millions de dollars, ce qui représente un chiffre astronomique. Ce montant est bien supérieur à l’ensemble du budget de cette organisation chrétienne dont le siège se trouve aux États-Unis. En effet, l'ONG World Vision ainsi que les donateurs australiens qui la soutiennent ont procédé à un audit indépendant et de haut niveau de tous les comptes de leurs opérations à Gaza. Résultat : rien ne prouve qu'El-Halabi ait commis des actes illicites. Ses dépenses personnelles ne dépassaient pas les 300 dollars, tandis que les dépenses de son bureau se limitaient à 15 000 dollars.

Cinquante jours après avoir été arrêté et torturé, les autorités israéliennes lui ont fait cette proposition : le libérer s'il s'engageait à plaider coupable de n'importe quel délit. Ceci permettrait aux Israéliens d’effacer l'erreur flagrante qu'ils ont commise en l'arrêtant.  Il a refusé de reconnaître un crime qu'il n'a pas commis.

La tentative d'Israël de dissimuler ses actions derrière une façade de lois équitables apparaît sous son vrai jour : Ce sont des moyens d'oppression et de discrimination.

Daoud Kuttab

Dès le premier jour, cette affaire a pris une tournure insolite : des preuves secrètes ont été présentées et l'avocat de la défense a été autorisé à consulter certains documents et à agir de manière inhabituelle. Cette affaire a été couronnée l'été dernier par une décision du juge israélien imposant à Me Hanna de rédiger sa plaidoirie sur l'ordinateur du procureur israélien sans en obtenir une copie.

En septembre dernier, Me Hanna a bouclé sa plaidoirie en se pliant aux exigences inhabituelles de la cour. Le jugement attend encore d'être rendu et la Haute Cour israélienne a ordonné au tribunal de Beersheba de se prononcer avant le 24 janvier. La libération sous caution d'Al Halabi a été rejetée à maintes reprises en raison des accusations de trahison portées contre lui.

Le 5 janvier, une nouvelle surprise attendait Me Hanna dans cette affaire : le juge lui a ordonné de restreindre son plaidoyer conclusif de 386 pages à 100 pages. En outre, il ne pourra le faire que lorsque le procureur israélien lui permettra de se servir de l'ordinateur portable sur lequel il a été contraint de rédiger sa plaidoirie initiale.

Aussi bizarre que cette affaire puisse paraître, une autre parodie judiciaire a émergé dans les premiers jours de 2022 : un tribunal israélien a ordonné au Patriarcat grec orthodoxe de verser au Fonds national juif une amende de 13 millions de dollars pour une affaire qui remonte à 20 ans et qui porte sur un bail accordé par l'église à des constructeurs israéliens dans les années 1950. Ce litige est survenu lorsque des criminels juifs israéliens ont escroqué l'église et le Fonds national juif pour obtenir une prolongation du bail.

Les fraudeurs ont été arrêtés, reconnus coupables et emprisonnés. Les tribunaux viennent toutefois d'ordonner à l'Église de payer une lourde amende pour un crime qu'elle n'a pas commis.

Ces deux affaires s'inscrivent dans le prolongement des détentions administratives auxquelles se livrent les tribunaux israéliens ; près de 450 Palestiniens sont ainsi détenus sans inculpation ni jugement. Hisham Abou Hawash fait partie de ces personnes-là. Il a entamé une grève de la faim pour dénoncer sa détention. La détention administrative correspond en effet a une mesure que les Israéliens ont hérité du gouvernement britannique précédent qui, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, avait promulgué une loi d'urgence autorisant la détention de suspects sans inculpation ni jugement. Ce pouvoir est censé être appliqué dans des cas exceptionnels et faire l'objet de restrictions et d'une étroite surveillance pour préserver les droits des suspects.

Mais cette mesure est devenue une forme de punition politique à l'encontre des Palestiniens. Elle a pris une telle ampleur que le premier quotidien indépendant d'Israël, Haaretz, a exhorté le gouvernement israélien à renoncer à cette loi draconienne et à libérer les détenus si les accusations portées contre eux ne sont pas étayées par des preuves.

Ceux qui suivent de près les violations par Israël des droits de l'Homme du peuple palestinien sont certes familiers avec les affaires que j'ai mentionnées ci-dessus. Celles-ci témoignent avec force de la profonde déchéance du système judiciaire israélien, qui est confisqué par les services de sécurité et les services de renseignement israéliens et qui constitue désormais un instrument précieux pour les gouvernements israéliens de droite.

Les démocraties occidentales ne cessent de rappeler qu’elles partagent avec Israël les mêmes valeurs démocratiques, à savoir la justice et l'État de droit. Si les cas précités fournissent le moindre indice, il convient de remettre en question cette affirmation.

La tentative d'Israël de dissimuler ses actions derrière une façade de lois équitables apparaît sous son vrai jour : Ce sont des moyens d'oppression et de discrimination.

Les organisations israéliennes et internationales œuvrant dans le domaine des droits de l'homme reprennent le discours du régime d'apartheid qui pèse sur la population vivant entre le Jourdain et la Méditerranée ; la corruption du système juridique israélien est donc à l'image de ce système discriminatoire.

Les crimes d'apartheid sont considérés comme des crimes de guerre. La communauté internationale dénoncera-t-elle donc les crimes de guerre perpétuels d'Israël, dont les politiques discriminatoires de son système judiciaire ?

 

Daoud Kuttab, ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton, est le fondateur et l'ancien directeur de l'Institut des médias modernes à l'université Al-Quds à Ramallah. Droits d'auteur : Project Syndicate

Twitter : @daoudkuttab

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com