Les Turcs adorent le thé. Chacun en consomme mille trois cents tasses par an en moyenne. Les transactions associées, bien que modestes, sont suffisamment nombreuses pour contribuer au bon fonctionnement de l’économie. Malheureusement, l’inflation est associée à la Turquie presque autant que le thé.
Entre 1975 et 2004, la douloureuse expérience de la Turquie en matière d’inflation élevée et chronique n’a été atténuée que par une importante croissance économique, marquée par des investissements, des taux d’emploi accrus et une hausse des revenus. L’année dernière, cependant, l’économie turque, qui est fortement tributaire des importations pour la production nationale de biens, a encore souffert, avec une inflation pouvant atteindre 50 % pour les producteurs dans certains cas. La livre a chuté de 48 % par rapport au dollar en 2021, la monnaie la moins performante des marchés émergents étant quasiment devenue un baromètre de l'instabilité économique turque.
L’inflation augmente dans le monde entier, ce qui signifie que les banques centrales envisagent une hausse des taux d’intérêt, mais pas en Turquie. L’effondrement de la livre intervient non seulement à la lumière d’une détermination inébranlable à maintenir les taux bas, mais aussi d’un nombre croissant de problèmes économiques. Au cours des deux dernières décennies, la Turquie s’est transformée en une nation à revenu intermédiaire supérieur, avec un taux de pauvreté passant de 44 % à 18 %. Des politiques budgétaires vigoureuses ont été au cœur des progrès économiques dont la Turquie a pu bénéficier.
Cependant, tout s’écroule pour la vingtième économie mondiale. Le pays, qui importe plus qu’il n’exporte, enregistre un déficit commercial d’année en année. Plutôt que de tenter d’y remédier, la Turquie dépend de plus en plus des investissements et des prêts étrangers, principalement en devises étrangères. Alimentée par la baisse des taux d’intérêt, cette dette a entraîné un essor de la construction. Pourtant, le marché immobilier compte aujourd’hui deux millions de logements invendus. Le déficit commercial a exercé une pression constante sur la livre, rendant les importations trop chères pour le citoyen moyen et contribuant ainsi à une baisse de la consommation. Le pouvoir d’achat de la population ayant été constamment réduit, l’inflation a causé des problèmes majeurs pour ceux qui ont des économies en livres, ainsi que pour ceux qui ont emprunté massivement en dollars en raison des taux d’intérêt bas et qui sont désormais incapables de rembourser leurs dettes. Cette crise persiste en raison des réponses politiques confuses et parfois incohérentes du gouvernement.
L'expérience économique consistant à abaisser les taux d'intérêt face à l'inflation a causé des difficultés incroyables. En tant que pays aux déficits persistants, la Turquie peut s’attendre à de nouvelles pressions sur les salaires, le coût de la vie et les importations, à moins que le gouvernement ne procède à des changements radicaux. C’est là que réside le problème, non pas que le gouvernement soit incapable de mettre en place les politiques nécessaires, mais plutôt qu’il n’a pas les moyens de le faire.
«Ce n’est pas que le gouvernement soit incapable de mettre en place les politiques nécessaires, mais plutôt qu’il n’a pas les moyens de le faire.»
Zaid M. Belbagi
En octobre, le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a limogé Semih Tumen, un éminent professeur d’économie, de son poste de gouverneur adjoint de la banque centrale. C’est la quatrième personne à être destituée de ses fonctions en quatre ans. Le ministère des Finances n’a pas fait mieux. Depuis sa séparation du ministère du Trésor il y a six ans, cinq ministres se sont succédé. Ils étaient soit trop alignés sur la présidence pour avoir une quelconque influence, soit trop indépendants au point qu’ils ont été limogés.
Compte tenu de l’ingérence de la présidence, la banque centrale n’a pas été autorisée à mettre en œuvre une politique. Comme d’autres institutions turques, elle a été écartée au détriment de la création d’un pouvoir exécutif plus puissant. Nombreux sont ceux qui soutiennent que depuis la fin du mandat de Mehmet Simsek en tant que ministre des Finances en 2015, aucun responsable turc n’a été en mesure de courtiser suffisamment les partenaires internationaux pour restaurer la confiance dans l’économie turque.
«Il s’agit d’un problème de confiance. Les embauches et les limogeages témoignent d’une certaine incohérence et, au moment où nous devons renforcer la confiance, notre gouvernement est perçu comme étant incapable de mettre en œuvre des réformes urgentes par peur de s’opposer au président», déclare un économiste basé à Ankara. Ayant perdu cette indépendance, la Turquie est incapable d’encourager la bonne gouvernance nécessaire pour atténuer ses difficultés économiques. La présidence accepte la nécessité d’une livre forte et d’une monnaie stable, mais elle n’a pas su apprécier l’importance supplémentaire d’une banque centrale forte et elle a préféré passer d’une crise à l’autre avec des solutions tactiques et sans stratégie à long terme.
Une offre élastique de financement bon marché a alimenté l’essor de la Turquie à la fin des années 2000. Cependant, l’inflation et les politiques à court terme ont empêché les autorités de comprendre qu’une croissance plus lente et plus durable était préférable aux cycles d’expansion et de récession du passé. Les gouvernements du Parti de la justice et du développement (AKP) ont toujours considéré que la voie de la prospérité turque passait par une livre turque faible pour stimuler les exportations. Cependant, compte tenu du déficit commercial récurrent du pays, ce modèle n’est pas viable.
La Turquie a besoin d’une refonte de la pensée et de la politique économiques si elle veut que son économie reste viable. Les secteurs industriel et manufacturier turcs sont les piliers centraux de l’économie du pays, tandis que le secteur des services est un domaine de croissance potentielle insuffisamment exploré. La Turquie doit investir dans l'éducation pour maintenir la compétitivité de son économie, car les défis liés au capital humain et à la langue ont empêché l'économie de passer d'une économie fondée sur l'attraction des investissements, la fourniture de financements à des prix insoutenables et des exportations compétitives à une économie moins exposée aux chocs, compétitive et, surtout, permettant aux institutions d'avoir la capacité d'inspirer confiance et de s'engager dans des politiques audacieuses.
* Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Twitter: @Moulay_Zaid
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com