ANKARA: La Turquie a annoncé qu’elle travaillait sur un nouveau mécanisme visant à établir un agenda positif et commun avec les États-Unis.
«Nous pouvons rendre les problèmes plus faciles à gérer en adoptant un point de vue stratégique et une position constructive», a expliqué le porte-parole présidentiel, Ibrahim Kalin, au magazine politique turc Kriter le 4 janvier. «Cela nous permet de travailler plus étroitement dans les domaines sur lesquels nous sommes d’accord. Des mesures plus radicales doivent être prises afin que nos perspectives stratégiques se rejoignent», a-t-il déclaré.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, et son homologue américain, Antony Blinken, se sont entretenus au téléphone lundi et ont discuté de la mise en place d’un mécanisme stratégique conjoint entre les deux alliés de l’Otan. Recep Tayyip Erdogan et Joe Biden se sont également rencontrés à Rome en octobre, en marge du sommet du G20.
Bien que les détails du nouveau mécanisme n’aient pas été divulgués officiellement, les déclarations de la partie turque semblent indiquer l’existence de dénominateurs communs sur certaines questions épineuses, notamment les désaccords sur la Syrie et le retrait de la Turquie du programme d’avions de combat F-35, après qu’elle ait acheté le système russe de défense antimissile S-400.
Selon M. Kalin, la Turquie attend des États-Unis qu’ils mettent fin à leur soutien aux Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde syrienne considérée comme un groupe terroriste par Ankara. Il a également souligné que la Turquie exigeait que les États-Unis adoptent une approche réaliste et constructive concernant le système antiaérien russe S-400 et prenne des mesures concluantes contre le réseau transnational de Fethullah Gülen, un prédicateur basé aux États-Unis accusé d’être le cerveau de la tentative de coup d’État de 2016 en Turquie.
Fin octobre, une délégation du ministère américain de la Défense s’est rendue à Ankara pour négocier certaines questions relatives au retrait de la Turquie du programme F-35. Le pays exige le remboursement de 1,4 milliard de dollars (environ 1,24 milliards d’euros) en échange de son retrait, ou de l’achat potentiel de 40 avions F-16 de Lockheed Martin et de 80 lots pour moderniser sa flotte nationale.
«Les États-Unis et la Turquie sont en désaccord sur l’achat du S-400, sur les stratégies divergentes dans le nord-est de la Syrie et sur l’évolution des priorités en Méditerranée orientale. Ce nadir dans les liens a affecté non seulement l’interaction entre Washington et Ankara, mais aussi la cohésion au sein de l’Otan et l’évolution de la sécurité au Moyen-Orient», explique Caroline Rose à Arab News, analyste principale au New Lines Institute.
Selon l’experte, ces liens ont été renforcés grâce à une proposition de dialogue sur un mécanisme stratégique conjoint qui abordera les principales questions litigieuses, en particulier le programme F-35 et la coopération des États-Unis avec les unités kurdes YPG dans le nord-est de la Syrie dans le cadre de l’opération Inherent Resolve.
«Il est peu probable que les États-Unis et la Turquie parviennent à un consensus sur le nord-est de la Syrie, mais il est plus probable qu’ils trouvent un accord sur le retrait de la Turquie du programme F-35, les tensions avec les rivaux du Forum du gaz de la Méditerranée orientale et une stratégie visant à limiter les attaques iraniennes dans la région», estime-t-elle.
Washington a sanctionné Ankara pour l’achat du système de missiles russes en décembre 2020 en vertu de la législation CAATSA («Contrer les ennemis des États-Unis par le biais des sanctions»), ciblant l’agence d’approvisionnement militaire de la Turquie, son chef et trois autres hauts responsables.
Ces derniers mois, la Russie a annoncé à plusieurs reprises qu’elle prévoyait de livrer un deuxième lot de S-400 à la Turquie en dépit des sanctions américaines, mais aucune déclaration officielle n’a été faite par Ankara sur cette question, considérée par les experts comme une mesure de réconciliation de la Turquie pour apaiser la situation avec Washington.
Selon Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d’Ankara du German Marshall Fund of the United States, des mécanismes similaires ont été mis en place sous la présidence de Donald Trump pour résoudre les problèmes non résolus entre les États-Unis et la Turquie, mais ils ont été progressivement abandonnés car ils n’ont pas donné de résultats tangibles, et les relations ont continué à se détériorer.
«Tout nouveau mécanisme doit éviter de recourir à une approche axée sur la négociation ou s’attendre à ce que tous les problèmes entre les deux alliés soient résolus rapidement», indique-t-il à Arab News. M. Unluhisarcikli pense que le nouveau mécanisme devrait plutôt se fonder sur la coopération lorsque cela est possible, en réglant ce qui peut l’être et en gérant les différends non résolus en amont, avant qu’ils ne se transforment en crises majeures.
Les récentes initiatives de rapprochement de la Turquie avec ses voisins sont également soutenues par Washington, notamment sa volonté de dialoguer avec l’Arménie. M. Blinken a récemment affirmé que les États-Unis soutenaient les mesures prises par Ankara et Erevan pour rétablir des liens fragiles.
La Turquie s’est engagée à accélérer son processus de normalisation dans la région en élaborant un agenda positif avec plusieurs pays. «Si quelqu’un fait un pas amical vers nous, nous faisons deux pas vers lui», a souligné M. Kalin.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com