SAN JOSE: Elizabeth Holmes, ancienne star de la Silicon Valley qui promettait de révolutionner les tests sanguins avec sa start-up Theranos, a été condamnée lundi pour fraude par un tribunal de Californie, une sanction rare dans le monde de la "tech" où les désillusions sont pourtant monnaie courante.
Après plus de trois mois de procès et sept jours de délibérations, le jury du tribunal de San José l'a reconnue coupable d'escroquerie envers des investisseurs mais l'a acquittée de certains chefs d'accusation et n'a pu se mettre d'accord sur d'autres faits qui lui étaient reprochés.
Cette condamnation expose cette femme de 37 ans à plusieurs dizaines d'années de prison, mais la peine sera prononcée à une date ultérieure par le tribunal fédéral.
Le verdict "reflète la culpabilité de Mme Holmes dans cette fraude à grande échelle", a affirmé la procureure Stephanie Hinds dans une déclaration lue à l'extérieur du tribunal par un représentant.
Elizabeth Holmes reste en liberté sous caution, une mesure dont les conditions doivent être réexaminées la semaine prochaine. Pressée de dire si elle comptait faire appel de sa condamnation, la patronne déchue n'a fait aucun commentaire à sa sortie du tribunal.
Elle avait fondé Theranos en 2003, à l'âge de seulement 19 ans, et promettait des outils de diagnostic plus rapides et moins chers que ceux des laboratoires traditionnels.
A l'aide d'un récit soigné, elle était parvenue en quelques années à gagner la confiance de sommités et à lever des fonds auprès de prestigieux investisseurs, attirés par le profil de cette jeune femme, une rareté dans le monde masculin des ingénieurs californiens.
Elle arborait notamment au début des années 2010 un pull noir à col roulé en référence explicite au fondateur d'Apple Steve Jobs, à qui l'univers de la "tech" comparait sans cesse la jeune chef d'entreprise lorsqu'elle était au faîte de sa gloire.
L'ex-secrétaire d'Etat Henry Kissinger l'a soutenue, comme l'ancien ministre de la Défense James Mattis ou le magnat des médias Rupert Murdoch, qui investit plus de 100 millions de dollars dans Theranos.
Au plus fort, l'entreprise est valorisée à près de 10 milliards de dollars, et Elizabeth Holmes, actionnaire majoritaire, est la tête d'une fortune de 3,6 milliards, selon le magazine Forbes.
L'histoire était belle. Enfant, elle avait horreur des piqûres d'aiguilles lors des prises de sang. Elle inventera donc une machine simple, rapide et efficace qui permettra à tous de mener des centaines de diagnostics sanguins à partir d'une seule goutte de sang prélevée sur le bout du doigt.
Mais en 2015, le Wall Street Journal relève l'immense pot aux roses: la fabuleuse machine promise par Theranos n'a jamais fonctionné.
Elizabeth Holmes, étoile déchue de la Silicon Valley
Vraie visionnaire ou vendeuse de rêve ? L'Américaine Elizabeth Holmes, a connu une chute aussi sensationnelle que son ascension, qui a exposé les limites de la culture de la Silicon Valley.
Fille d'une assistante parlementaire et d'un ancien directeur chez Enron -un groupe qui a sombré dans un immense scandale de fraude- elle n'a que 19 ans quand elle fonde Theranos, en 2003.
Comme Steve Jobs, elle avait été admise à la prestigieuse université de Stanford, et comme lui, elle abandonne rapidement ses études. Elle choisit d'utiliser l'argent mis de côté par ses parents pour financer le démarrage de sa startup, basée à Palo Alto, au coeur de la Silicon Valley.
Elle met alors en avant des motivations personnelles: la mort subite d'un oncle chez lequel aucune maladie n'avait auparavant été diagnostiquée.
"Pour moi, rien n'a plus d'importance que ce que les gens traversent quand quelqu'un qu'ils aiment devient vraiment très malade", affirmait-elle dans une vidéo sur le site de Theranos. "Le sentiment d'être impuissant est déchirant et si je peux construire quelque chose qui peut changer cela, c'est ce que je veux faire de ma vie".
En 2014, Forbes évalue la fortune de Mme Holmes à 4,5 milliards de dollars et la décrit comme la plus jeune femme milliardaire n'ayant pas hérité de sa fortune.
Aujourd'hui mariée et maman d'un petit garçon né cet été, son histoire a fasciné les médias américains, car elle incarne une certaine image de la Silicon Valley, où la confiance affichée peut tenir lieu d'innovation.
Choix criminel
Devant le tribunal de San José où le procès s'était ouvert début septembre 2021, une femme enceinte a raconté comment elle avait cru, à tort, avoir fait une fausse couche après avoir utilisé l'un des tests de Theranos.
Des employés ont témoigné avoir prévenu la patronne de leurs doutes sur le fonctionnement des machines. Certains ont aussi raconté à la presse les mensonges à répétition de Mme Holmes à ses équipes et à des investisseurs.
Pour certains, elle a incarné ce mantra de la Silicon Valley: "fake it till you make it" ("fais semblant jusqu'à ce que tu y arrives"). Elizabeth Holmes a plaidé cette bonne foi devant le tribunal.
"Nous étions sur la bonne voie pour accomplir nos objectifs" avant que l'entreprise ne s'effondre", avait-elle raconté à la barre. "L'échec n'est pas un crime, persévérer et ne pas y arriver n'est pas un crime", avait de son côté lancé son avocat Lance Wade au début du procès.
"Mme Holmes a tenté jusqu'au bout de sauver sa société, ne vendant jamais une part", a ajouté l'avocat, voulant pour preuve de la bonne foi de sa cliente le fait qu'elle a "coulé avec le bateau".
L'accusation a fait, elle, une toute autre lecture de ce conte de fées ayant tourné au cauchemar financier.
"Mme Holmes a choisi la fraude plutôt que la faillite, elle a choisi d'être malhonnête", avait asséné dans ses réquisitions le procureur Jeff Schenk. "Ce choix était non seulement impitoyable mais encore criminel", avait-il lancé aux jurés.
Selon les services du procureur, l'ex-entrepreneuse a délibérément trompé ses partenaires pour lever des fonds, plus de 700 millions de dollars en tout.
En forme de réponse, Elizabeth Holmes a assuré aux jurés que sa relation amoureuse avec son ex-directeur des opérations, Ramesh "Sunny" Balwani - qui sera jugé séparément -, avait été émaillée de relations sexuelles forcées et qu'il était responsable des problèmes techniques de son entreprise.