DJEDDAH: Si l’histoire est totalement imaginaire, l'idée qui lui a donné forme est directement inspirée de la vie de Joana Hadjithomas.
En effet, Memory Box, l’un des trois grands films arabes projeté lors du Festival du film de la mer Rouge – qui se déroule à Djeddah –, est né d’un souvenir lointain, mais encore vif, de la cinéaste libanaise.
Ce souvenir, c’est la séparation de deux jeunes Libanaises qui ont dû s'écrire et s’envoyer des enregistrements tous les jours pendant quatre ans afin de mieux supporter les milliers de kilomètres qui séparent Beyrouth, où vivait la jeune Joana, de Paris, lieu de résidence de sa meilleure amie de l'époque.
Une séparation, puis des retrouvailles. Presque une génération plus tard, les deux amies qui s'étaient perdues de vue se retrouvent en 2013 lors d’une exposition et évoquent ces cahiers et ces cassettes qui les ont rassemblées tous les jours de 1982 à 1988.
Joana récupère ses lettres et ses cassettes, ce qui attise la curiosité de sa fille Alia. Cette dernière aimerait beaucoup découvrir, grâce à ces lettres et à ces enregistrements, ce que pouvait écrire et dire sa mère quand elle avait son âge… Mais c’est peine perdue pour Alia, car Joana et Khalil, son mari, ne pensent pas que ce soit une bonne chose. Toutefois, une tout autre idée voit le jour: celle de leur cinquième film.
«J’avais envie de raconter une histoire de femmes et celle de trois générations de femmes», explique Joana Hadjithomas à Arab News en français. «Je voulais montrer un autre rapport à la guerre, loin du trauma, dans cette jeunesse des années 1980, et ce désir fou de vivre qui était le nôtre», poursuit celle qui a grandi au beau milieu de la guerre civile libanaise.
Une histoire de femmes, donc. Mais, surtout, une histoire de générations. En effet, pour Joana Hadjithomas, «transmettre» est le maître-mot de cette aventure cinématographique. Transmettre des souvenirs, ceux de son enfance, transmettre une histoire, celle de la funeste et interminable guerre du Liban, transmettre un message d’amour, mais aussi transmettre un savoir: celui du 7e art.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que la Franco-Libanaise s’est rendue à Djeddah. «Quand j’ai reçu une invitation pour le film, je n'ai pas vraiment hésité. Je me suis dit: “J’ai envie d’aller à la rencontre de cette génération”», explique-t-elle.
«Khalil et moi sommes des artistes; nous avons beaucoup travaillé l’image et la texture de ce film, en veillant à la fois à sa dimension sonore et picturale. Nous tenions donc beaucoup à parler de l’élaboration du film, à transmettre quelque chose de cette expérience», précise Joana. Cette dernière n’a pas hésité à donner, avec son mari, une master class en marge du festival, notamment à l’attention des étudiants en cinéma.
Ses yeux brillent à l'évocation de la réception du film par les différents publics qui ont eu l'occasion de le visionner. «Je me sens submergée à chaque fois», confie-t-elle avec émotion. «Quels que soient leurs nationalités ou leur vécu, les gens s’emparent du film», raconte-t-elle.
«C’est peut-être parce qu’il y a beaucoup de vécu et un grand nombre de détails que j’ai puisés dans mes cahiers; peut-être aussi parce qu’on voit mes véritables cahiers dans ce film et qu’il y a un va-et-vient entre la fiction et le réel. Peut-être, enfin, parce que c’est une histoire de femmes et que les actrices y ont mis beaucoup d'elles-mêmes», analyse-t-elle.
«C’est aussi une histoire de rencontres. Avec Khalil, nous avons rencontré les actrices, nous les avons vues, elles nous ont inspirés», se souvient Joana. Elles étaient «toutes les trois très proches de ce que nous voulions montrer, et elles nous ont menés à d'autres choses, très intéressantes aussi», précise-t-elle.
La cinéaste ajoute que la méthode de travail qu’elle emploie avec son mari consiste à ne pas donner le scénario du film aux actrices. Cela permet aux comédiennes d’apporter une part d'originalité, de spontanéité et d'improvisation.
Enfin, Joana Hadjithomas explique que le contexte dans lequel a été tourné le film a déteint sur les différents protagonistes de la production: «Quand nous avons tourné le film, en 2019, nous ne pensions pas que Liban allait vivre ce qu’il a vécu. On le voyait comme une transmission du passé à la nouvelle génération. Le fait qu’il y ait eu cette énorme crise et cet effondrement, qui a culminé avec l’explosion du 4-Août, je crois que c’est cela qui nous a amenés à retravailler le film différemment», déclare-t-elle.
Puisant dans sa mémoire, Joana se rend à l'évidence: l’histoire semble se répéter vingt-cinq ans plus tard. «Dans le film, les phrases qui sont prononcées dans les années 1980 sont tellement éloquentes aujourd’hui que cela nous trouble. Je pense que cela trouble également les gens qui regardent le film.»