PARIS: Son portrait de la petite Afghane aux yeux verts a fait le tour du monde. "Nous devons agir et aider" son peuple, dit à l'AFP Steve McCurry, photographe américain consacré par une grande rétrospective au musée Maillol à Paris.
Près de 40 ans ont passé depuis le cliché iconique de Sharbat Gula à 12 ans, devenue l'emblème des réfugiés afghans et du monde, qu'il avait photographiée en 1984 dans un camp au Pakistan.
"Ca devient insoutenable!", lance le photographe avant d'arriver au musée dans un taxi, en parlant des horreurs de la guerre et du quotidien des civils afghans.
"Vous avez vu, on vient de me l'envoyer de Kaboul: rein à vendre!", annonce écrite sur un panneau en bois, "photographiée et traduite par un ami".
"Quand ce cauchemar va-t-il finir? Je voudrais vraiment les appeler (les grandes organisations mondiales et les gouvernements, ndlr) à faire preuve d'humanité et de compassion pour les Afghans ordinaires et à laisser les Talibans de côté", dit le photographe au regard clair et vif, âgé de 71 ans, debout devant le célèbre portrait.
Sharbat Gula aux yeux verts et au foulard rouge est exposée aux côtés d'un autre portrait d'elle à 30 ans, foulard violet, usée et comme résignée. Il l'avait retrouvée après de longues recherches en 2002.
"La vie de Sharbat a été très difficile dès le départ, elle a dû fuir son village, son pays très jeune et vivre réfugiée au Pakistan. Elle a été expulsée, emprisonnée, avant de retourner en Afghanistan. Elle a perdu son mari, sa fille, sa vie a été extrêmement dure comme pour des millions d'Afghans, dont beaucoup ont été tués ou ont dû se battre pour survivre".
"C'est une question de vie et de mort et nous devons agir et aider ces gens", insiste le photographe qui explique avoir apporté de l'aide pendant des années en Afghanistan lorsque c'était possible et créé "une sorte de programme destiné aux jeunes femmes pour apprendre la photo".
Sharbat Gula a été évacuée vers l'Italie fin novembre après la prise de Kaboul par les talibans.
Journalistes cibles
Avant l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979, Steve McCurry, alors âgé d'une vingtaine d'années, avait traversé la frontière entre le Pakistan et ce pays dissimulé dans une tenue traditionnelle pachtoune. Il sera l'un des premiers à témoigner de ce conflit, grâce à des pellicules cousues dans son vêtement pour ressortir du territoire afghan, ce qui lancera sa carrière en tant que photojournaliste de guerre. Il a intégré la célèbre agence de presse photographique Magnum en 1986 et a été primé internationalement à de nombreuses reprises.
"C'était dangereux mais Depardon (le photographe français Raymond Depardon, ndlr) l'avait fait, alors ça devenait possible", poursuit-il en traversant les salles du musée où sont exposées en grand format, à partir de jeudi et jusqu'au 29 mai, 150 de ses photos les plus célèbres.
Cette rétrospective inédite propose un voyage dans son oeuvre, de l’Afghanistan à l’Inde, de l’Asie du Sud-Est à l’Afrique, de Cuba aux États-Unis, du Brésil à l’Italie, où l’humain est toujours le protagoniste même s'il n'est qu'évoqué.
"Je pense qu'aujourd'hui les journalistes sont une cible, ils sont beaucoup plus exposés; les enlèvements, les décapitations, ce genre de choses sont courantes, ce qui n'était pas le cas avant", dit-il.
Covid
La crise du covid a mis un coup d'arrêt à son travail mais son inspiration, ancrée dans sa "curiosité" et son "envie insatiable de découvrir le monde", lui a permis d'aller "dans un monde intérieur", plus intime, en photographiant sa femme, issue de la tribu amérindienne des Hopi d'Arizona, sa fille, son voisinage.
S'il regrette le manque d'accès à "nombre de régions du monde" désormais, une chose est sûre, dit-il: "nous sommes tous fondamentalement les mêmes, nous partageons la même planète et devons aller les uns vers les autres, nous n'avons pas d'autre option".