DJEDDAH: L’exposition inaugurale, qui se tient au sein du nouveau complexe artistique multidisciplinaire Hayy Jameel de Djeddah, se penche sur le lien entre la nourriture que nous consommons et l’écologie, la mémoire personnelle et collective ainsi que le temps et l’espace.
L’exposition, qui a pour nom «Staple: What’s on Your Plate?» («Aliments de base: qu’y a-t-il dans notre assiette?»), présente les œuvres d’artistes originaires non seulement du Royaume, mais aussi de la République démocratique du Congo (RDC), de l’Allemagne, de la Thaïlande, de l’Inde, de l’Espagne, du Liban, de la Russie, des Émirats arabes unis et du Bangladesh, reflétant ainsi la diversité démographique de Djeddah.
«C’est une exposition internationale qui représente l’histoire de Djeddah», explique Rahul Gudipudi, commissaire des expositions à Art Jameel et créateur du centre. «Djeddah est une ville portuaire qui, à travers des siècles de commerce, d’échanges culturels et de pèlerinage, dispose d’une communauté véritablement diversifiée. À bien des égards, cette exposition reflète ce dialogue que Djeddah entretient avec le monde depuis des siècles», poursuit-il.
«Nous avons organisé cette exposition en collaboration avec la fondation Delfina. Elle soulève des questions très simples, mais qui revêtent un caractère d’urgence, au sujet de l’incidence de nos choix alimentaires sur le monde en général et sur nos sociétés en particulier», affirme M. Gudipudi à Arab News.
Au second étage, on entend la voix douce d’une femme indienne qui chante à partir d’une structure en tôle ondulée grandeur nature. Il s’agit de Jahajin, une œuvre de l’artiste indienne Sancintya Mohini Simpson. Elle rappelle les maisons occupées par des ouvrières envoyées de l’Inde à la province de Natal (aujourd’hui KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud) au début du XXe siècle pour travailler comme esclaves dans les champs de canne à sucre. Lorsque les visiteurs découvrent cette structure, ils sentent les arômes des épices, de la cardamome et de la terre tout en écoutant cette femme entonner de sa voix envoûtante la chanson folklorique bhojpuri de la mère de Simpson. À l’intérieur, on peut visionner un film qui montre des champs s’offrant à perte de vue.
L’artiste Simpson se sert de son travail pour réfléchir à l’expérience de ses ancêtres maternels et aux histoires qu’elle a trouvées grâce à des recherches d’archives sur les travailleuses des plantations.
L’exposition présente les œuvres d’artistes originaires non seulement du Royaume, mais aussi de la République démocratique du Congo, de l’Allemagne, de la Thaïlande, de l’Inde, de l’Espagne, du Liban, de la Russie, des Émirats arabes unis et du Bangladesh, reflétant ainsi la diversité démographique de Djeddah.
Comme le montrent les œuvres de l’artiste, les questions liées au genre se reflètent dans tous les aspects de l’agriculture. Selon l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les femmes représentent 47% des personnes engagées dans l’agriculture.
Africa Empty Europe Full Up (2021) présente une série de têtes et un corps entier qui, à première vue, semblent être en bronze. En y regardant de plus près, on remarque toutefois qu’ils ont été construits à partir de chocolat.
Ces sculptures sont le fruit du travail du Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise (CATPC), un collectif artistique situé à Lusanga, dans la République démocratique du Congo. Ce collectif se compose d’anciens ouvriers qui récoltaient l’huile de palme et travaillaient dans les plantations. Comme ils n’ont pas les moyens de vivre des salaires qu’ils reçoivent, ils utilisent des matériaux issus du cacao pour donner naissance à leurs œuvres, créées et produites dans un cadre collaboratif. Les matériaux utilisés rappellent l’économie d’exploitation du commerce mondial et la remplacent.
Le CATPC présente un nouveau modèle. Alors que, en Occident, le travail des plantations a historiquement financé le monde de l’art au moyen de dons, ici, c’est l’art qui finance une nouvelle forme de commerce «postplantation» grâce auquel le groupe réinvestit les bénéfices des ventes de ses œuvres d’art dans la production agricole en RDC.
Des telles œuvres incitent à réfléchir aux siècles de commerce mondial et de colonialisme qui ont conduit à la situation difficile dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui.
Au rez-de-chaussée du Centre, on peut admirer des œuvres plus colorées. La plus importante d’entre elles est une installation, Absent Dinner (2021), réalisée par le cabinet de design saoudien Bricklab et Misht Studio. Cette installation à grande échelle, qui utilise des techniques mixtes, est composée à 100% de mousseline de coton. Elle est suspendue au plafond et colorée avec des teintes à base de curcuma, de galanga, de noix de muscade et de graines de fenouil. Des moulages d’un repas jawi d’Asie du Sud et de l’Ouest, avec leurs couleurs vives, se dressent sur une série de socles blancs sinueux.
Un repas simple, l’akil jawi, montre que l’intégration était autrefois transparente dans la communauté hijazi. Aujourd’hui, disent les artistes, la diversité de la société hijazi est de plus en plus marginalisée à cause de la mondialisation. Cette diversité remonte à des centaines d’années, lorsque des travailleurs d’Afrique, de Java, d’Asie centrale et d’Asie du Sud se sont installés dans les centres-villes du Hijaz, attirés par le commerce, l’éducation et la religion. On retrouve aujourd’hui encore leurs influences culturelles dans ces régions.
À proximité se trouvent les œuvres multimédias de l’artiste saoudien Mohammed Alfraji. Jasb 'Al'aesh (2021) est une projection sur des morceaux de troncs d’arbres. L’artiste explore les pratiques alimentaires de la région Al-Hassa, en Arabie saoudite, dans la province orientale, connue pour son abondance agricole. Son installation vidéo, pleine de poésie, présente les différentes pratiques alimentaires de la région, de la cuisine à la plantation en passant par les politiques agricoles et met en avant le lien qui existe entre l’alimentation et le patrimoine familial.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com