ANKARA: Les ministres des Affaires étrangères de Turquie et du Qatar ont étudié les plans pour le retour au fonctionnement normal de l’aéroport international de Kaboul à la suite de la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans.
Lundi, Mevlut Cavusoglu et son homologue qatari, le cheikh Mohammed ben Abderrahmane al-Thani, ont discuté des possibilités pour leurs pays de gérer conjointement l’aéroport et des moyens de fournir une aide humanitaire supplémentaire au peuple afghan dans des conditions acceptables pour les talibans.
Des troupes turques surveillent l’aéroport de la capitale afghane depuis environ six ans, des groupes du Croissant-Rouge de Turquie et du Qatar s’efforcent d’acheminer l’aide aux Afghans et une fondation turque pour l’éducation à l’étranger garde ses écoles ouvertes pour les filles et les garçons.
Lors d’une conférence de presse conjointe à Doha, le cheikh Mohammed a déclaré que le Qatar et la Turquie étaient prêts à contrôler l’aéroport de Kaboul si les talibans y consentaient.
«Le Qatar et la Turquie travaillent en permanence avec le gouvernement intérimaire afghan afin de parvenir à un accord pour ouvrir l’aéroport (afin qu’il puisse fonctionner) normalement», a-t-il ajouté.
Par ailleurs, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est rendu à Doha lundi pour deux jours de pourparlers visant à rétablir les liens.
En novembre, les États-Unis ont conclu un accord avec le Qatar pour que ce pays du Golfe soit désigné comme la puissance chargée de protéger les intérêts américains en Afghanistan, le considérant comme un médiateur de confiance. Le Qatar et la Turquie ont joué des rôles importants dans le processus d’évacuation de l’Afghanistan après l’arrivée au pouvoir des talibans.
Samuel Ramani, analyste du Moyen-Orient à l'université d'Oxford, a expliqué à Arab News que la Turquie et le Qatar pourraient coopérer pour demander des dérogations limitées aux gels d’avoirs imposés par les États-Unis contre les talibans et utiliser leurs pouvoirs de négociation respectifs dans les capitales occidentales pour parvenir à ce résultat.
«La Turquie et le Qatar peuvent également collaborer pour atténuer la crise de la sécurité alimentaire en Afghanistan, car l’expérience du Qatar, qui travaille avec le Programme alimentaire mondial dans des pays comme le Yémen, pourrait être efficace en Afghanistan», a-t-il souligné.
M. Ramani a noté que la Turquie avait également augmenté ses livraisons d’aide alimentaire, comme le blé, à l’Afghanistan au cours du mois dernier.
«Ni la Turquie ni le Qatar ne sont susceptibles de considérer les talibans comme l’autorité légitime de l’Afghanistan, mais tous deux encourageront l’engagement avec le nouvel émirat islamique», a-t-il ajouté.
Lors de la réunion de lundi, M. Cavusoglu a exhorté la communauté internationale à dialoguer avec les talibans en «distinguant» les aspects politiques des aspects humanitaires.
Zalmai Nishat, chercheur au centre d’Asie de l’université de Sussex, estime que les talibans souhaitent que la Turquie s’implique dans le fonctionnement de l’aéroport de Kaboul en collaboration avec le Qatar.
«D’un point de vue historique, la Turquie est considérée comme le successeur de l’Empire ottoman et est respectée par le peuple afghan, avec les souvenirs du Califat. En outre, la Turquie est un allié des États-Unis et de l’UE, étant un pays clé au sein de l’Otan», explique-t-il à Arab News.
M. Nishat a rappelé que lors des pourparlers de paix entre l’ancien gouvernement afghan et les talibans, le contrôle de l’aéroport de Kaboul était une question cruciale et que les parties considéraient la Turquie comme un partenaire idéal.
«Ankara doit mettre au point une politique solide à l’égard de l’Afghanistan, qui lui permettrait de faire pression sur les talibans et leurs partisans afin de créer un système politique dans lequel les diverses communautés ethniques d’Afghanistan se sentiraient chez elles et incluses dans le système politique, avec une représentation équitable», a-t-il ajouté.
La Turquie, qui aurait établi des contacts en matière de renseignement avec certaines milices liées aux talibans dans le pays, entretient également des liens historiques et ethniques étroits avec l’Afghanistan, ses troupes non combattantes ayant été présentes sur le terrain dans le passé en tant que membre de l’Otan.
Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche turc au Washington Institute for Near East Policy, a indiqué à Arab News que les talibans avaient besoin de légitimité à ce stade en s’imposant comme des acteurs crédibles par le biais des canaux du Qatar et de la Turquie et, ce faisant, en contribuant à connecter le groupe au reste du monde.
«La Turquie cherche toujours à se positionner comme un lien entre les talibans et le monde extérieur. Le Qatar arrive en tête, car il entretient des liens plus étroits avec les talibans sur les plans historique et politique. La Turquie viendrait après le Qatar dans ce jeu politique, mais les deux pays peuvent jouer un rôle essentiel dans le maintien de la sécurité des vols à court terme», poursuit-il.
À moyen terme, note M. Cagaptay, la Turquie dispose d’un important pouvoir d’influence sur le terrain en Afghanistan, qui s’est développé depuis les premières années de la République turque et qui pourrait être utilisé pour tendre la main à la société afghane grâce à ses liens locaux.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com