PARIS: Le site d’AlUla en Arabie saoudite constitue à l’heure actuelle non seulement le plus grand chantier de fouilles archéologiques au monde, mais également le plus important partenariat culturel entre deux pays: l’Arabie saoudite et la France. Plus de 120 archéologues de différentes nationalités travaillent sur place, ce qui est exceptionnel.
Né de la volonté du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, le projet de réhabilitation d’AlUla, situé en plein cœur du désert dans le grand quart nord-ouest du pays, a pour but de faire de cette région une destination de tourisme culturel et patrimonial. Décrit comme un musée à ciel ouvert avec des formations rocheuses imposantes, des falaises et des sculptures façonnées par le vent au fil des millénaires, AlUla est également une mine de trésors pour les archéologues et les chercheurs.
Le prince héritier a décidé d’ouvrir au monde ce territoire presque aussi grand que la Belgique en signant en 2018 lors de sa visite à Paris un accord bilatéral sur dix ans pour la valorisation de ce site d’une richesse archéologique exceptionnelle. Cet accord a donné naissance à AFALULA, l’Agence Française pour le développement d’AlUla, qui travaille en coordination avec la RCU, la Commission Royale pour AlUla.
Ingrid Périssé, directrice de l’archéologie et du patrimoine au sein d’AFALULA, peine à cacher son enthousiasme lorsqu’elle parle à Arab news en français des travaux qu’elle pilote à AlUla. «D’un point de vue archéologique et historique, tout reste à faire, nous devons encore comprendre comment est apparue cette oasis et comment elle a évolué», explique-t-elle. L’accord conclu entre les autorités française et saoudienne comporte deux volets principaux: d’une part, l’étude et la valorisation des sites archéologiques et d’autre part le développement des infrastructures nécessaires à son ouverture au public. Il s’agit, ajoute-t-elle, «d’un modèle de développement économique, touristique et culturel visant à mettre en valeur et à préserver le patrimoine culturel d’AlUla».
«Des fouilles sont menées actuellement à Dadan, un site du premier millénaire av. J.-C., qui était probablement la capitale du royaume d’Arabie de l’époque»
Pour ce faire, plusieurs missions de fouilles et d’études patrimoniales ont été lancées en 2019 afin de faire vivre et aimer la culture et l’histoire de ce pays avec l’idée de transformer cette région en destination touristique et culturelle. «L’une de ces missions concerne Dadan, un site du premier millénaire av. J.-C., qui était probablement la capitale du royaume d’Arabie de l’époque», expliqué Ingrid Périssé.
C’est un site qui revêt une importance toute particulière en raison notamment de ses dimensions – il s’étale sur plusieurs hectares – et de sa proximité avec la route de l’encens. Ingrid Périssé indique qu’il fait l’objet d’une très étroite collaboration entre le CNRS et la King Saoud University pour former la future génération d’archéologues saoudiens. «Près de 30 jeunes étudiants de l’université King Saoud ont participé depuis le début aux travaux du chantier de Dadan, cela fait partie de leur cursus universitaire», assure-t-elle.
«Après Hégra, Dadan sera sans doute le site le plus important de l’Arabie Saoudite»
L’objectif du projet est également de comprendre «la société dadanite, son organisation, sa religion et l’importance économique de la ville». Cette mission à Dadan sera sans doute après Hégra, le site le plus important de l’Arabie Saoudite, la mission la plus riche en contenu. Comparée à Dadan, souligne Ingrid Périssé, Hégra «n’était qu’une ville secondaire du royaume nabatéen, alors qu’avec Dadan, nous avons à faire à une capitale».
D’autres fouilles sont en cours, comme le chantier de Khaybar, un autre site très important pour l’histoire du pays et la compréhension de son passé préislamique et islamique. Khaybar est une autre oasis importante où les toutes premières fouilles menées par le CNRS s’avèrent très prometteuses.
La troisième mission consiste en une prospection archéologique pluridisciplinaire de l’oasis d’AlUla. Différents champs de compétence de l’archéologie sont nécessaires pour comprendre l’histoire de cet écosystème de ses origines jusqu’à nos jours. L’objectif est de la faire revivre en trouvant des clés de compréhension pour son développement futur. «Nous avons fait appel à des archéologues, des archéobotanistes et des géoarchéologues, », détaille Ingrid Périssé.
Ces équipes travaillent ensemble dans le cadre d’un projet qui se trouve «à la croisée de plusieurs expertises et permet d’écrire l’histoire de cette oasis, et à partir de là, proposer un modèle de compréhension et d’étude pour les autres oasis, à l’échelle de l’Arabie, voire de la péninsule».
Des repérages aériens ont permis de dénombrer près de 20 000 points archéologiques à AlUla.
Un autre aspect important du projet est la Vieille Ville d’AlUla qui fait partie intégrante de l’oasis, car selon Ingrid Périssé, une oasis fonctionne normalement avec sa palmeraie et son habitat,. Un projet de réactivation de la Vieille ville est en cours pour la faire revivre et l’ouvrir au tourisme.
La Vieille Ville est abandonnée depuis le début des années 1980, quand il a été décidé par le gouvernement que les habitants passeraient d’habitations en terre à une architecture en béton avec l’eau courante et l’électricité. D’une beauté surprenante, c’est une ville construite selon un savoir-faire multiséculaire comme il en existe de nombreuses dans la région, mais ce savoir-faire a disparu.
Elle fait l’objet d’un projet de réhabilitation qui est accompagné d’une part d’une expertise de l’association CRAterre, titulaire de la chaire Unesco sur la terre crue et, d’autre part, d’une étude historique menée par Archaïos, afin de comprendre son évolution, depuis sa genèse jusqu’à son abandon.
Par ailleurs, depuis 2018, un chantier de nettoyage des façades et tombeaux de Hégra a été lancé, et là aussi, il a fallu faire appel à des restaurateurs français reconnus.
Comment tout cela fonctionne?
Ce qui interpelle surtout Périssé dans ce projet, «c’est la densité et la richesse des vestiges»
«Nous travaillons bien entendu depuis le début avec la RCU, qui gère le patrimoine d’AlUla avec ses équipes d’archéologues», affirme Périssé. «Nous sommes là pour leur apporter notre expertise et des propositions de projets qui ne sont mis en place qu’après leur validation. Ensuite, nous travaillons main dans la main.»
AlUla possède enfin une dimension pédagogique: c’est un vivier où sont formés de jeunes Saoudiens qui sont de futurs archéologues ou chercheurs. Ils pourront par la suite assurer une relève sur les lieux qui sont en cours d’étude.
Ce qui interpelle surtout Ingrid Périssé dans ce projet, «c’est la densité et la richesse des vestiges, ainsi que le large spectre chronologique, qui va du Néolithique jusqu’à l’époque ottomane».
Cette densité s’étend sur l’ensemble d’AlUla, puisque des prospections aériennes menées par la RCU ont permis de dénombrer près des milliers de sites archéologiques sur l’ensemble de cette province. La pandémie de Covid-19 a ralenti le rythme des travaux sans vraiment l’interrompre, assure Ingrid Périssé. «Grâce à la RCU, des missions archéologiques sont revenues dès le printemps, et travaillent actuellement de manière très active», souligne-t-elle. Quoiqu’il en soit, affirme-t-elle, la période de ralentissement a été mise à profit par des travaux d’analyses et de réflexions post-fouilles.