Organisée par l’ONU, la Journée internationale de la paix, qui a lieu chaque année le 21 septembre, vise à mettre l’accent sur le désir de la communauté internationale d’instaurer la paix. Pour le Yémen, cette journée représente tout sauf la paix, puisqu’elle tombe le jour de l’anniversaire de la prise de la capitale Sanaa par la milice houthie en 2014.
Il est difficile pour les étrangers de comprendre comment les Houthis ont réussi à en arriver là en 2014 et comment ils ont pu étendre leur contrôle à d’autres régions du Yémen. Ils contrôlent à présent environ 20% du territoire yéménite, où vit la majorité de la population.
Aujourd’hui, les Houthis tentent de s’emparer de Marib, qui est l’une des rares régions stratégiques contrôlées par le gouvernement au nord du Yémen. Samedi, le gouvernement a appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à intervenir pour mettre fin à la campagne des Houthis contre les civils à Marib, qui ont visé des quartiers fortement peuplés à coups de roquettes, de drones et de missiles balistiques. Il a également rappelé au Conseil de sécurité que Marib abrite près de 2 millions de déplacés internes qui ont fui d’autres provinces envahies par les Houthis.
Les enjeux de Marib
Marib a accueilli des déplacés internes et des enfants venant d’autres régions du Yémen et ses hôpitaux ont traité des malades et des blessés. L’ONU a appelé a cesser les combats mais n’a toujours pas réussi à convaincre les Houthis d’accepter un cessez-le-feu. Il est évident que les miliciens ont l'intention de s’emparer de la province, faisant tout leur possible pour faire tomber ses solides défenses. Leur offensive est loin d’être gagnée, car le gouvernement a fermement pris position pour contrecarrer leurs attaques.
Depuis le coup d’État houthi du 21 septembre 2014, le Yémen est devenu un enfer pour les civils innocents qui ont été victimes d’une guerre impitoyable et d’une pauvreté écrasante. En raison des actions des Houthis, le Yémen s’est retrouvé plongé dans la plus grande crise humanitaire du monde, avec plus de 24 millions de personnes - soit environ 80% de la population - ayant besoin d'une aide humanitaire, dont plus de 12 millions d'enfants, selon les chiffres de l'ONU. La majorité écrasante des Yéménites survit désormais grâce à des aides extérieures, que les Houthis ont fréquemment volé, détourné pour soutenir leurs efforts de guerre ou laissé pourrir dans les entrepôts de l'ONU, ne pouvant ainsi atteindre ses destinataires.
Marib a jusqu’ici été une exception. Ses ressources pétrolières ainsi que son autonomie quasi-officielle et relativement efficace l'ont aidée à subvenir aux besoins de ses résidents. Les aides de l'Arabie saoudite et d'autres donateurs ont afflué et lui ont permis de prendre en charge les déplacés internes d'autres régions du Yémen. Cependant, si elle tombait entre les mains des Houthis, elle rejoindrait le reste des régions sous le contrôle des miliciens. Les Houthis pilleraient ses trésors et soumettraient Marib au même traitement que celui infligé à d'autres régions.
En raison des actions des Houthis, le Yémen s’est retrouvé plongé dans la plus grande crise humanitaire du monde.
Six ans après la prise de la capitale yéménite, il est important de comprendre comment les Houtis sont parvenus à étendre leur contrôle dans le pays. Il existe de nombreux facteurs qui ont contribué aux victoires à la Pyrrhus des Houthis. Je vais ici en examiner six.
Les stratagèmes des Houthis pour accroître leur pouvoir
Premièrement, ils se sont servis des dogmes religieux pour justifier leur soif de pouvoir et obtenir l’appui de l’Iran. La Révolution iranienne de 1979 a inspiré les dirigeants fondateurs des Houthis, qui essayent à leur tour d’établir un pouvoir clérical au Yémen. Une partie de ces dogmes se fonde sur le droit divin de gouverner le Yémen et d’usurper sa structure de pouvoir laïque. Ils ont créé un schisme au sein de la communauté zaïdie du Yémen, pour qu’une partie de celle-ci se rapproche de l’orthodoxie au pouvoir en Iran. Ils ont ensuite obtenu le soutien de l’Iran qui a fourni des financements, une formation militaire et des conseils religieux à des centaines de leurs jeunes adeptes. Ces séminaristes fanatiques, formés militairement, et animés d’une forte ferveur religieuse ont représenté le noyau dur des Houthis. Les Houthis les utilisent comme troupes de choc. L'Iran a également mobilisé ses alliés pour aider les Houthis, en particulier le Hezbollah libanais.
Deuxièmement, les Houthis ont militarisé la xénophobie. Ils ont trouvé un mantra et l’ont affiché sur des millions d’affiches, de drapeaux, d’armes, de bâtiments gouvernementaux et de réverbères. Il dit : « Dieu est le plus grand. Mort à l’Amérique. Mort à Israël. Maudits soient les Juifs ». Ce mantra a été utilisé pour unifier et enthousiasmer les partisans qui le scandent avec ferveur lorsqu’ils marchent, qu’ils attaquent, ou lors de toute occasion. Ce mantra a pour objectif de présenter le conflit au Yémen comme une lutte contre les puissances étrangères et à dépeindre le gouvernement et ses partenaires de coalition comme des laquais.
Troisièmement, ils se sont servis des divisions politiques. Lorsque l'ancien président Ali Abdullah Saleh a démissionné malgré lui en novembre 2011 et que les Yéménites ont élu l'actuel président Abed Rabbo Mansour Hadi en février 2012 à une large majorité, le Yémen s'est stabilisé pendant un certain temps. Mais les Houthis ont conclu une alliance avec l'ancien président, qui contrôlait encore une grande partie des forces armées. Les Houthis ont exploité son désir de reprendre le pouvoir et de se venger de ses ennemis politiques, et il a mis des unités militaires à leur disposition. Une fois que Saleh a atteint son objectif, ils l'ont brutalement assassiné et ont attaqué sa famille et ses partisans.
Quatrièmement, ils ont exploité la rivalité entre les tribus. Les Houthis ont utilisé l’argent et les anciennes querelles tribales pour attirer les chefs des tribus dans leurs rangs. Ils ont également fait pression sur eux pour qu'ils fournissent des soldats pour combattre avec eux. Comme ils l'ont fait avec Saleh, dès que les chefs n’ont plus été utiles, ils ont été bannis ou tués.
Cinquièmement, les Houthis ont efficacement utilisé le terrorisme afin de tenir leurs critiques et leurs opposants en échec. Les meurtres à grande échelle, les assassinats politiques, les viols, la torture et les conditions de détention cruelles font partie de leur modus operandi. Ils ciblent en particulier les chefs de tribus qui ne les rejoignent pas, les journalistes, les chercheurs et les activistes communautaires.
Sixièmement, ils ont recruté des enfants soldats et militarisé le qat. L’ONU a estimé qu’environ un tiers des soldats houthis sont des enfants. Ils ont recruté des milliers d’enfants et les ont isolés, entraînés et endoctrinés. Une partie de leur discipline consiste à leur fournir du qat gratuit pour les rendre intrépides. Fanatiques, drogués et dépourvus de contrôle parental, ces enfants soldats sont de féroces machines à tuer lorsqu'ils sont déployés au combat.
Afin de faire face au défi des Houthis et d’affaiblir la capacité des milices à faire la guerre, le Yémen et ses amis doivent traiter ces facteurs. Ce n'est qu'alors que les Houthis demanderont la paix et s'assoiront à la table des négociations.
Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est le Secrétaire général adjoint du Conseil de Coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, ainsi qu’éditorialiste d’Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.
Twitter : @abuhamad1
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com