BEYROUTH: L’ambiance est à la morosité en cette soixante-dix-huitième fête de l’Indépendance au Liban. Car cette année les Libanais peinent à trouver ne serait-ce qu’une raison de la célébrer.
Depuis l’inflation galopante enclenchée en 2019 et l'explosion meurtrière au port de Beyrouth en août 2020, rien ne s'est amélioré, au contraire. Le Liban, laminé par des crises multiformes, semble être entré dans une spirale vicieuse qui n'en finit pas. Les citoyens libanais se sentent désormais totalement abandonnés, que ce soit par leurs propres dirigeants ou par la communauté internationale.
L’époque où le président français, Emmanuel Macron, dans la foulée de l’explosion de Beyrouth, se tenait au chevet du pays après avoir déambulé dans les rues de la capitale sinistrée, semble lointaine. En effet, la ténacité de la classe politique libanaise, accusée de corruption et rechignant à mettre en œuvre toutes les réformes préalables aux aides financières dont le pays a pourtant cruellement besoin, a fini de lasser la communauté internationale.
C’est cette même classe politique, que le peuple libanais accuse de tous les maux, notamment de corruption, qui organise aujourd’hui les festivités – certes discrètes – de l’Indépendance. La veille, le président de la république, Michel Aoun, et fondateur du Courant patriotique libre (CPL) disposant d’une majorité parlementaire, a exhorté les Libanais à «ne pas gâcher l'opportunité qui leur sera offerte de se débarrasser de la classe dirigeante corrompue» lors des élections de 2022.
عشية ذكرى الاستقلال، ليكن إيمانكم بوطنكم أكبر من أي تشكيك، فهذا الوطن واجه عبر تاريخه محطات ونكبات شتى وخرج منها معافى لا بد أن يسلك مرة جديدة مرة جديدة درب التعافي مهما بلغت الصعوبات pic.twitter.com/HoeCaJC37l
— General Michel Aoun (@General_Aoun) November 21, 2021
Il convient de rappeler que c’est l’alliance scellée en 2006 entre le CPL et le Hezbollah qui a offert à la milice chiite pro-Iran la couverture politique chrétienne dont elle avait besoin.
Dans ce contexte, son discours a été, sans grande surprise, perçu comme déconnecté de la réalité et vivement critiqué.
«L'indépendance pâtit aujourd'hui de la présence de Libanais non indépendants et les Libanais pâtissent de la présence de responsables, de dirigeants et de partis qui ne sont pas indépendants. L'indépendance ne saurait être célébrée face à la loyauté de certains à une autre patrie», a estimé le patriarche maronite, Béchara Raï, dans une allusion claire au Hezbollah.
Blinken s'adresse au peuple libanais
Le secrétaire d'Etat américain, Antony J. Blinken a adressé au nom des États-Unis ses meilleurs voeux au peuple libanais à l'occasion de la fête de l'indépendance. «Les États-Unis reconnaissent à la fois la richesse de la culture et la persévérance du peuple libanais, qui a affronté et surmonté de nombreux défis au cours des 78 dernières années. En ces temps difficiles, les États-Unis continueront d'être aux côtés du peuple libanais et de soutenir ses espoirs d'un avenir meilleur», a assuré le secrétaire d'État Antony J. Blinken.
«Restaurer l'indépendance»
«La première étape du sauvetage passe par la restauration de l'indépendance du Liban et la consolidation de sa neutralité positive et active relatives aux questions de paix et aux droits de l’homme, au dialogue politique, culturel et religieux, et à sa stabilité dans son environnement arabe», a-t-il poursuivi. Le nouveau gouvernement libanais, qui a vu le jour début octobre, ne se réunit plus, notamment depuis la crise avec les pays du Golfe provoquée par une séquence vidéo où le ministre de l’Information, George Cordahi, tenait des propos polémiques sur la guerre au Yémen.
L'Arabie saoudite et dans la foulée, d'autres pays de la région du Conseil de coopération du Golfe (CCG), avaient décidé de rappeler leurs ambassadeurs et de prendre une série de mesures coercitives après les propos polémiques du ministre, afin de montrer leur mécontentement croissant à l'égard des activités déstabilisatrices du Hezbollah dans la région.
«De la même façon que nous avons réussi à libérer le Liban du régime de tutelle et d'occupation syrienne et obtenu la deuxième indépendance, œuvrons ensemble pour libérer le Liban de la tutelle et de la mainmise iranienne, afin de rétablir l’État, la souveraineté et d'obtenir une troisième indépendance», a écrit pour sa part le député des Forces libanaises (FL), parti de l'opposition farouchement opposé au Hezbollah, Ziad Hawat.
كما نجحنا في تحرير لبنان من نظام الوصاية والاحتلال السوري، وحققنا الاستقلال الثاني.
— Ziad Hawat (@ziad_hawat) November 22, 2021
لنعمل معاً على تحرير لبنان من الوصاية والهيمنة الايرانية،
لاستعادة الدولة،
والسيادة ،
وإنجاز الاستقلال الثالث. pic.twitter.com/AScY6UyMvu
Un nombre croissant de Libanais critiquent ce qu'ils considèrent comme une «mainmise» de l'Iran sur le pays, dont la conséquence a été un isolement toujours plus grand du Liban sur les scènes arabes et internationales.
Même son de cloche chez Chamel Roukoz, ancien député et gendre du président, Michel Aoun, désormais dans l'opposition: «D'ordinaire, l'indépendance s'entend comme une indépendance de l’État vis-à-vis de toute mainmise étrangère... mais désormais, nous constatons dans les faits l'indépendance de l’État vis-à-vis de son peuple, laissant les citoyens sans protection ni droits, même élémentaires!», a-t-il regretté.
Et M. Roukoz d'ajouter: «En ce 22 novembre, appelons à y remédier, afin que l’État revienne à nouveau au citoyen, les institutions à la Patrie, à ce moment-là, nous pourrons parler d'indépendance.»
عادة، مفهوم #الاستقلال هو استقلال الدولة عن أي هيمنة خارجية...
— Chamel Roukoz (@General_Roukoz) November 22, 2021
ولكن اليوم، في ما نعيش، نشهد استقلال الدولة عن شعبها، تاركة المواطنين بلا رعاية ولا حقوق ولو بالحد الأدنى!
في ٢٢ تشرين، الدعوة لتصحيح المفاهيم، لتعود الدولة للشعب، وتعود المؤسسات للوطن، ليبدأ بعدها الحديث عن استقلال! pic.twitter.com/hM0WdKYtwP
Depuis l'automne 2019, les Libanais sont soumis à des restrictions bancaires draconiennes qui les empêchent d'avoir librement accès à leur argent, tandis que la monnaie locale a perdu plus de 90 % de sa valeur par rapport au dollar sur le marché noir. Près de 80 % de la population vit désormais dans la pauvreté sur fond d’inflation galopante et de graves pénuries de médicaments, de carburant et d’électricité.
L’effondrement de l'économie, l'insécurité et le délabrement des services publics de base ont aussi poussé un grand nombre de familles et de jeunes à l'émigration.
(Avec AFP)