KHARTOUM : Le Premier ministre Abdallah Hamdok, écarté lors du coup d'Etat militaire au Soudan, a retrouvé dimanche son poste après un accord avec le général Abdel Fattah al-Burhane, une entente qui n'a pas empêché un nouveau mort dans la répression des manifestations anti-putsch.
Au palais présidentiel, devant lequel les forces de sécurité ont tiré des lacrymogènes pour disperser les manifestants criant "Non au pouvoir militaire" et exigeant que les forces armées se retirent complètement du gouvernement, M. Hamdok et le général Burhane, auteur du coup d'Etat du 25 octobre, ont signé devant la presse un accord promettant de remettre ensemble la transition vers la démocratie sur les rails.
Ils répondent ainsi à toutes les conditions posées par la communauté internationale pour redonner son soutien au Soudan. Mais, a prévenu aussitôt l'ONU, "tous les acteurs soudanais doivent désormais agir de façon constructive et de bonne foi pour restaurer (...) la transition".
De leur côté, les organisations qui avaient mené la révolte de 2019 ayant mis fin à 30 ans de dictature militaro-islamiste du général Omar el-Béchir, ont dit leur refus de "l'accord des traîtres qui n'engagent que ses signataires", selon les termes de l'Association des professionnels soudanais. Le fer de lance de la contestation de 2019 accuse M. Hamdok de "suicide politique".
Alors que depuis le 25 octobre, les Soudanais sont descendus plusieurs fois par dizaines de milliers dans les rues pour exiger le retour du pouvoir civil, de nouveaux cortèges défilaient dimanche dans plusieurs villes.
Un adolescent a été tué par balle dans la banlieue de Khartoum, selon des médecins qui évoquent de "nombreux blessés par balles".
Abdallah Hamdok, l'homme du consensus, de retour au pouvoir au Soudan
Abdallah Hamdok, le technocrate devenu le visage civil de la transition vers la démocratie au Soudan, doit revenir à la tête du gouvernement, un mois après avoir été écarté puis placé en résidence surveillée par les généraux et auteurs du putsch du 25 octobre.
Agé de 65 ans, cet économiste chevronné et figure du consensus, semble vouloir faire le pari risqué de miser une fois de plus sur le partenariat avec les militaires pour mener le Soudan vers des élections libres.
En 2019, lorsque l'armée a déposé le dictateur Omar el-Béchir sous la pression d'une révolte populaire, cet ancien expert onusien a pris la tête d'un gouvernement civil, et le chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, celle du Conseil de souveraineté, plus haute autorité de la transition.
Mais le 25 octobre, le général Burhane a coupé court à ce partenariat en faisant arrêter M. Hamdok et la plupart des autres responsables civils. M. Hamdok a été ensuite placé en résidence surveillée à Khartoum, où il recevait militaires et ex-rebelles soudanais, ambassadeurs occidentaux et diplomates internationaux pour des médiations.
Jusqu'à l'annonce dimanche de l'accord avec le général Burhane prévoyant son retour à la tête du gouvernement et la libération des responsables civils, M. Hamdok avait résisté à plusieurs propositions de sortie de crise.
Il réclamait, selon des responsables, un accord lui garantissant "une reprise de son activité" et non une "nouvelle nomination" au poste de Premier ministre, sa façon de discréditer le coup de force des militaires.
Pendant sa résidence surveillée, le bureau de M. Hamdok a mis souvent en ligne des messages appelant régulièrement à des manifestations de masse pour "protéger la révolution" de 2019.
Champion de la transparence
Moustachu grisonnant, M. Hamdok jouit d'une image de champion de la transparence et de la bonne gouvernance, surtout depuis qu'il a refusé en 2018 le poste de ministre des Finances sous Béchir.
Depuis une tentative de coup d'Etat manquée en septembre, Abdallah Hamdok avait prévenu que la transition traversait sa "pire" crise. Il avait ensuite salué les manifestants partisans d'un transfert complet du pouvoir aux civils, leur promettant de réaliser les "objectifs de la révolution: liberté, paix et justice".
Une tâche titanesque après 30 ans de dictature.
M. Hamdok était revenu à Khartoum en août 2019 à l'issue d'une révolte à laquelle il n'avait pas participé.
Son gouvernement devait être celui qui doterait le Soudan en institutions démocratiques -dont un Parlement toujours pas formé- et le mènerait vers des élections libres en 2023. Un objectif que le général Burhane dit conserver.
Faits d'armes
Parmi les faits d'armes de M. Hamdok, né au Kordofan-Sud le 1er janvier 1956, la conclusion d'un accord de paix en octobre 2020 avec une coalition de groupes rebelles. Comme le Darfour et le Nil Bleu, le Kordofan-Sud a été pendant plusieurs années le théâtre d'un conflit entre rebelles et forces gouvernementales.
Fort d'expériences ailleurs sur le continent africain, il promettait également d'enrayer l'inflation caracolant à plus de 300% et la pauvreté endémique.
Sous son mandat, le Soudan a été retiré de la liste américaine des pays soutenant le "terrorisme", peu avant de décider de reconnaître l'Etat d'Israël.
Dans le même temps, M. Hamdok a promis aux 45 millions de Soudanais de promouvoir "les bonnes politiques (pour) affronter la crise économique", parvenant à obtenir du Fonds monétaire international l'effacement d'une part importante de la dette soudanaise.
Mais au prix d'une politique d'austérité drastique qui lui a coûté une bonne part de sa popularité dans l'un des pays les plus pauvres au monde.
Le fait que les autorités intérimaires n'ont toujours pas jugé les responsables du régime Béchir et de la répression sanglante de la révolte de 2019 a aussi sapé son capital sympathie.
M. Hamdok a notamment été en charge de la Commission économique pour l'Afrique de l'ONU à Addis Abeba, après avoir étudié l'économie agricole à Khartoum et obtenu un master à Manchester en Grande-Bretagne.
Il est marié et a deux fils.
«Soldats dans les casernes»
"On ne veut pas de partenariat avec l'armée", martèle malgré tout Mohammed Farouq, qui défile à Khartoum. "On veut un Etat uniquement civil, que les soldats rentrent dans leurs casernes et que ceux qui ont tué des manifestants soient jugés", lance-t-il à l'AFP.
Malgré la répression qui a déjà fait 41 morts et des centaines de blessés depuis le putsch, selon des médecins, les manifestants ont continué à scander "Burhane dégage" par milliers à Khartoum et dans sa banlieue, à Port-Soudan ou encore à Atbara (nord), dans un pays quasiment en continu sous dictature militaire depuis son indépendance il y a 65 ans.
Après avoir brandi pendant des semaines des photos de M. Hamdok, réclamant le retour du seul dirigeant "légitime" à leurs yeux, ce dimanche, ils déchiraient son portrait aux cris de "Hamdok, tu n'es qu'un mollasson, la rue, elle, est bien vivante!".
"Hamdok a abandonné le peuple. Cet accord ne nous représente pas", assure à l'AFP Mohammed Abdelnabi, qui manifeste à Khartoum.
Après la signature solennelle du document, M. Hamdok a promis dans une courte allocution et sa première apparition publique depuis le putsch de "faire cesser avant toute chose l'effusion de sang".
"Cet accord ouvre la porte en grand à la résolution de tous les défis de la transition", a-t-il encore dit.
Le Soudan depuis le coup d'Etat du 25 octobre
Voici les temps forts au Soudan depuis le coup d'Etat militaire du 25 octobre jusqu'à l'accord dimanche pour un retour du Premier ministre Abdallah Hamdok et la libération des responsables civils, près d'un mois après leur arrestation.
Depuis la chute en 2019 du dictateur Omar el-Béchir, le Soudan traverse une délicate transition censée aboutir à des élections libres fin 2023.
Nouveau coup d'Etat
Le 25 octobre, presque tous les membres civils du gouvernement sont arrêtés, dont le Premier ministre Abdallah Hamdok, après avoir refusé de soutenir le coup d'Etat du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane. Il annonce la dissolution des autorités de transition, le limogeage de nombreux responsables et décrète l'état d'urgence.
Il assure toujours souhaiter "une transition vers un Etat civil et des élections libres en 2023", et affirme que le Soudan reste lié par ses accords internationaux, notamment dans son processus de reconnaissance d'Israël, lancé au début de l'année.
Le bureau du Premier ministre appelle les Soudanais à protester pacifiquement.
Au moins sept personnes sont tuées et 80 blessées par des tirs de l'armée à Khartoum selon un syndicat de médecins pro-démocratie lors de manifestations massives dénonçant le putsch, largement condamné par la communauté internationale.
Washington suspend une aide de 700 millions de dollars.
Désobéissance civile, pression internationale
Le 26, des milliers de Soudanais manifestent à Khartoum, face aux forces de sécurité déployées sur les ponts et les grands axes. La plupart des magasins sont fermés après un appel à la "désobéissance civile" et la "grève générale".
Abdallah Hamdok est assigné à résidence.
Le 27, les arrestations de militants et manifestants se multiplient, les heurts se poursuivent.
L'Union africaine suspend le Soudan et la Banque mondiale cesse son aide. L'émissaire de l'ONU au Soudan rencontre le général Burhane et M. Hamdok.
L'ONU réclame un gouvernement dirigé par des civils
Le 28, les manifestations font une nouvelle victime.
Après plusieurs jours de tractations, le Conseil de sécurité de l'ONU réclame le rétablissement d'un "gouvernement de transition dirigé par des civils", une demande également formulée par le président américain Joe Biden.
Le patron de la télévision d'Etat est limogé, les antennes des radios FM sont mises sous scellés alors qu'internet est coupé depuis le coup de force.
Manifestations
Le 30, des dizaines de milliers de Soudanais manifestent contre le coup d'Etat. La répression fait trois morts.
Le 1er novembre, l'émissaire de l'ONU à Khartoum évoque des efforts de "médiations".
Le 4, sous la pression internationale, quatre ministres sont libérés. L'armée annonce la formation "imminente" d'un gouvernement.
Le 7, tirs de grenades lacrymogènes et arrestation de dizaines de manifestants, au premier jour d'une nouvelle campagne de désobéissance civile.
Le 9, la Troïka (Grande-Bretagne, Etats-Unis et Norvège) à la manoeuvre sur le dossier soudanais, réclame la réinstallation de M. Hamdok.
Nouveau Conseil de souveraineté
Le 11, le général Burhane nomme un nouveau Conseil de souveraineté, dont sont exclus les représentants du bloc réclamant un transfert du pouvoir aux civils. Avec son second, le général Mohammed Hamdane Dagl, dit "Hemedti", chef des Forces de soutien rapide (RSF), il s'engage à "des élections libres et transparentes" à l'été 2023.
Le lendemain, Washington et Bruxelles dénoncent le nouveau Conseil de transition. Le Sénégalais Adama Dieng est nommé par l'ONU expert des droits de l'Homme pour le Soudan.
Manifestations réprimées
Le 13, au moins huit personnes, dont trois adolescents, sont tuées par les forces de sécurité dans la répression d'une mobilisation rassemblant des dizaines de milliers d'opposants au coup d'Etat.
Le 14, le chef de bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Khartoum est arrêté. Il sera relâché deux jours plus tard.
Le 17, 16 manifestants sont tués à Khartoum lors de la journée la plus sanglante depuis le putsch, portant le bilan à au moins 40 morts, dont cinq adolescents.
Le 18, internet est rétabli.
Accord pour un retour du Premier ministre
Le 21, des médiateurs annoncent un accord pour un retour du Premier ministre Abdallah Hamdok à son poste et la libération des responsables civils, au début d'une journée de manifestations qui faisait craindre une nouvelle répression.
«Patience»
Le général Burhane, qui a promis des "élections libres et transparentes", lui, l'a "remercié pour sa patience", alors que l'ancien économiste onusien n'a retrouvé que dimanche matin sa liberté de mouvement après environ un mois de résidence surveillée.
Il doit désormais former un nouveau cabinet après cet accord prévoyant également la libération des dirigeants civils arrêtés le 25 octobre. Les futurs ministres seront des "technocrates", indique le texte signé dimanche.
Depuis le putsch, ambassadeurs occidentaux, négociateurs onusiens ou africains et personnalités de la société civile soudanaise avaient multiplié les rencontres avec civils et militaires pour relancer la transition censée aboutir à des élections libres en 2023.
Les grands alliés arabes de l'armée soudanaise, l'Egypte et l'Arabie saoudite, ont salué l'accord.
Les Etats-Unis se sont dit "encouragés" par cet accord, a déclaré de son côté le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, tout en appelant les forces de sécurité soudanaises à "s'abstenir de recourir à une force excessive contre les manifestants pacifiques".
«Racines de la crise»
L'Union africaine, qui a suspendu le Soudan après le putsch, a salué "un pas important vers le retour à l'ordre constitutionnel", tandis que la Norvège, membre de la Troïka à la manoeuvre au Soudan, a "salué le retour de M. Hamdok" et appelé à "des mesures concrètes pour construire la confiance".
Mais comme au premier jour du putsch, les Forces de la liberté et du changement (FLC), principal bloc pro-civils au Soudan dont le général Burhane a fait effacer toute mention des textes encadrant la transition, ont redit "qu'il n'y a pas de négociation ni de partenariat" avec "les putschistes".
Et pour ajouter à l'imbroglio, le parti Oumma, dont est pourtant issu Fadlallah Burma, l'un des médiateurs ayant arraché l'accord à l'armée et à M. Hamdok, a affirmé "refuser tout accord politique qui ne s'attaque pas aux racines de la crise créée par le putsch militaire".
Le 11 novembre, le général Burhane s'était renommé à la tête du Conseil de souveraineté, plus haute autorité de la transition, après y avoir remplacé les membres pro-civils par des civils apolitiques.