PARIS/ CANNES: Les plus de 34 000 membres de l'influente Association des maires de France (AMF) ont désigné mercredi comme président le maire LR de Cannes David Lisnard, adoubé par le sortant François Baroin, aux dépens de son rival "Macron-compatible" Philippe Laurent.
Avec plus de 62% des suffrages exprimés, M. Lisnard, 52 ans, s'est imposé lors du 103e congrès de l'AMF face à l'élu UDI de Sceaux et secrétaire général sortant de l'AMF, un centriste plus enclin à dialoguer avec la majorité présidentielle après un quinquennat marqué par les tensions entre l'AMF et l'exécutif.
Elu pour un mandat de trois ans, le maire de Cannes s'est engagé dans son premier discours à "être le garant de l'indépendance de l'AMF".
Il ne comptait pas sur un soutien unanime de sa famille politique, à l'image de Renaud Muselier, le président de la région PACA, qui a appelé les maires à voter pour M. Laurent, adversaire qui avait d'autres élus Républicains sur sa liste comme le maire de St-Etienne Gaël Perdriau.
Avec à ses côtés l'inamovible André Laignel, maire socialiste d'Issoudun (78 ans), ancien ministre de François Mitterrand et premier vice-président sortant de l'AMF, M. Lisnard, bien ancré à droite, avait le soutien du PS, à l'exception du maire du Mans Stéphane le Foll.
"Nous soutenons la liste pluraliste", a expliqué à l'AFP une responsable socialiste, soulignant que M. Lisnard y avait incorporé aussi des écologistes et des communistes. La majorité présidentielle, en revanche, n'en fait pas partie.
M. Lisnard a aussi reçu le soutien du polémiste d'extrême droite Eric Zemmour qui a estimé qu'une victoire de M. Laurent transformerait l'AMF en "succursale de l'Élysée".
David Lisnard, l'énergique maire de Cannes, agitateur d'idées à droite
Le maire Les Républicains de Cannes, David Lisnard, élu mercredi à la tête de l'influente Association des maires de France (AMF), est un libéral accompli qui s'est bâti une réputation d'élu énergique.
Adoubé par le président sortant de l'AMF François Baroin, du même parti, l'actuel vice-président de l'association, 52 ans, se revendique comme un héritier de l'ancien maire RPR de Lons-le-Saunier Jacques Pélissard, qui a présidé l'association de 2004 à 2014 et avec lequel il a fait ses premières armes comme directeur de cabinet entre 1996 et 1999.
Au cours de sa campagne, l'élu de Cannes a reçu les critiques les plus virulentes de la part de son propre camp, à l'image de Renaud Muselier, le président de sa région qui l'a accusé "d'être niché dans son Palais des Festivals" et de ne pas comprendre les problèmes quotidiens des maires.
Contempteur de la "folie bureaucratique française", cet ancien porte-parole du candidat François Fillon passait au printemps pour l'un des possibles prétendants à l'investiture de la droite pour la présidentielle de 2022 sur une ligne libérale et conservatrice.
Réélu en 2020 avec 88% des voix, il dirige Cannes depuis 2014, après en avoir été le premier adjoint (2008-2014) et l'adjoint au tourisme (2001-2008) dans l'équipe du sénateur LR et ancien publicitaire Bernard Brochand.
"Un village monde", aime à dire David Lisnard de sa ville de 75 000 habitants au rayonnement international, où sa famille paternelle est enracinée depuis quatre générations.
Durant la crise, M. Lisnard s'est fait remarquer en critiquant l'enchaînement de consignes sanitaires changeantes. Quand la seule libraire indépendante de Cannes a bravé le deuxième confinement en novembre 2020, il est allé acheter un livre en soutien, et quand la vaccination a démarré, il a fait polémique en anticipant sur les consignes gouvernementales pour accélérer le mouvement dans sa ville.
Ce plaidoyer pour une administration moins omniprésente et recentrée sur ses vraies missions, couplé à une image moderne, un discours anti-immigration et un éloge de la culture comme axe politique pour refonder le vivre ensemble, lui a valu de nouvelles sympathies à droite et de nombreux passages médias.
Malgré une notoriété encore faible, le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau voit en lui "une valeur montante avec lequel il faudra compter".
"C'est un homme qui travaille et qui réfléchit", reconnaît le communiste cannois Dominique Henrot, qui lui reproche toutefois d'être "un peu sectaire" et de trop miser sur le tourisme de luxe: "Il défend bien les commerçants cannois, moins les chômeurs".
Eclectique
De formation classique --droit, Sciences-Po Bordeaux-- David Lisnard, revendique des origines familiales modestes, qui l'ont amené à gérer des commerces et à travailler dans le privé parallèlement à la vie publique.
Son grand-père, personnage à la Pagnol qui a marqué son enfance, tenait une pension deux étoiles et ses parents ont ouvert des boutiques de vêtements, après une carrière de footballeur pour son père, et de danseuse étoile pour sa mère. "Pas de notaires, pas de médecins !", s'exclame aujourd'hui l'élu: "J'ai toujours bossé pour payer mes études, serveur, livreur, déménageur, pigiste...".
"Je me suis engagé en politique il y a 30 ans, notamment parce que comme petit entrepreneur et commerçant, on était submergé de charges, et j'ai fait un serment avec moi-même: ne pas augmenter les taux d'impôt de mon ressort", souligne-t-il.
A partir de 1999, il reprend les magasins de ses parents (il a revendu le dernier en 2016), s'essaye à la création d'un portail internet vite revendu et plus récemment, investit dans un cabinet d'audit parisien, Espelia.
Né le 2 février 1969, chiraquien de toujours, David Lisnard a adhéré au RPR à 25 ans et soutenu François Fillon en 2017.
Discret sur ses racines catholiques, David Lisnard cite en revanche volontiers les penseurs qu'il lit, cultivant une image d'intello aimant le punk (mention spéciale pour les "Clash") et le sport (il court le marathon). "Fêtard", disent aussi de lui d'anciens compagnons de jeunesse à Cannes.
Remarié à une journaliste de France 3 Côte d'Azur, M. Lisnard est père de 3 enfants.
Une «instrumentalisation des maires»
Avant de connaître le résultat, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal s'est dit "choqué par une instrumentalisation des maires par LR".
Au-delà de la personnalité des deux prétendants, ce sont deux manières d'appréhender les relations avec Emmanuel Macron qui se sont affrontées: M. Lisnard se présentait comme le garant de "l'ADN indépendant" de l'AMF qui a caractérisé les sept années de mandat de M. Baroin, alors que M. Laurent était plus disposé à dialoguer avec l'exécutif.
Le vote, qui a débuté sur internet mardi en fin d'après-midi peu après l'ouverture du 103e congrès de l'AMF, présentait plus d'incertitudes que par le passé, les maires pouvant s'exprimer à distance, contrairement aux scrutins précédents.
Avec plus de 11 500 votants (sur 34 155 inscrits), la participation a largement dépassé les 4 000 qui ont caractérisé les scrutins précédents.
François Baroin, le président sortant et maire LR de Troyes, avait annoncé fin août qu'il ne briguerait pas de troisième mandat et avait immédiatement soutenu le maire de Cannes.
Ce soutien avait contrarié le secrétaire général de l'AMF, Philippe Laurent, qui avait épaulé le président sortant pendant sept ans et qui s'est alors lancé dans la course.
Cette élection intervient au terme d'un quinquennat marqué par de fortes divergences entre l'exécutif et l'AMF, accusée par le gouvernement "de ne pas avoir été force de proposition, mais force d'opposition systématique" sous M. Baroin.
Peu après son arrivée à l'Elysée, alors qu'il avait annoncé la suppression de la taxe d'habitation, Emmanuel Macron avait été sifflé lors de sa première intervention au congrès de l'AMF.
Le hashtag #balancetonmaire, lancé un an plus tard sur les réseaux sociaux par la macronie pour dénoncer les élus qui avaient augmenté la taxe d'habitation, est également resté en travers de la gorge de nombreux élus.
A l'issue du scrutin, le président de la République recevra à l'Elysée un peu plus d'un millier de maires lors d'une "réception plutôt informelle" et sans discours, selon la présidence.
Le chef de l'Etat s'exprimera ensuite jeudi après-midi devant eux en clôture du congrès. Selon l'Elysée, "il va remercier les maires pour leur action durant l'épidémie" et "insister sur l'accompagnement des collectivités territoriales depuis le début du quinquennat".