Le compositeur américain Thomas Newman a bien décrit la situation actuelle de l'administration Biden et des démocrates quand il a dit que « le désespoir est le meilleur moyen d'aiguiser le sens de l'orientation ». Acculés au pied du mur - à la suite de leur défaite cuisante dans les élections du gouverneur de Virginie - et devant l'enlisement de leur programme national ambitieux, la Maison Blanche et les démocrates se sont jetés à corps perdu dans le gouffre politique.
Ce calcul politique que nous avions annoncé sur ce site quelques semaines auparavant, s'est avéré juste :la Maison-Blanche a réussi à faire passer son gigantesque plan bipartisan sur les infrastructures.
Prise en otage pendant des semaines par les progressistes rétifs à la Chambre des représentants, la situation politique s'est immédiatement débloquée à la suite des élections de Virginie. La Chambre a fini par adopter le projet de loi sans trop de difficulté, par un vote de 228 à 206. Les progressistes ont en effet voté en faveur du plan relatif aux infrastructures, très prisé par les modérés tels que les sénateurs Joe Manchin (Virginie occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona). En contrepartie, les modérés ont promis aux progressistes de voter, d'ici le 15 novembre, sur leur projet de loi plus vaste et qui prévoit 1 750 milliards de dollars pour les aides sociales.
Cependant, les accords passés dans les coulisses du Congrès américain comportent toujours un codicille. Les modérés exigent que le Congressional Budget Office, organisme non partisan, donne son avis sur le projet de loi le plus étendu, en s'assurant que le financement de l'ensemble des clauses est assuré. Si cette évaluation s’avérait positive, les modérés approuveraient et voteraient le plan dont rêvent les progressistes. Sinon, le parti démocrate risque de se livrer à une nouvelle bataille interne. Cette demi-mesure a toutefois satisfait les progressistes qui ont tout aussi peur que les modérés de la signification des élections de Virginie.
Très franchement, ces élections constituent une véritable alarme qui avertit le parti désormais majoritaire des risques qu'il encourt. Le parti démocrate se heurte aujourd’hui à des difficultés liées aux élections de mi-mandat de 2022. La tradition veut que la première élection de mi-mandat après l'investiture d'un nouveau président se solde par une débâcle pour son parti ; les expériences de Ronald Reagan en 1982, Bill Clinton en 1994 et Barack Obama en 2010 en témoignent.
Cette problématique est reliée à la situation politique précaire de M. Biden. En effet, les démocrates détiennent la majorité dans les deux chambres du Congrès par une faible marge - la plus faible de l'histoire politique contemporaine. À la Chambre des représentants, ils disposent d'une majorité de trois sièges.
Au sénat partagé à parts égales, la vice-présidente Kamala Harris tranche en faveur des démocrates. Du point de vue structurel, ces marges étroites vont à l'encontre du plan national ambitieux du parti démocrate. Chaque sénateur démocrate - en particulier les modérés méfiants comme Manchin et Sinema - possède donc un droit de veto effectif sur les perspectives du parti.
Le désespoir incite à agir. Pour le meilleur ou pour le pire, cela a amené les démocrates à bouger.
Dr. John C. Hulsman
Au-delà de tous ces signes inquiétants, cette majorité a peu de chances de se maintenir pendant longtemps. Avant même les élections catastrophiques de la Virginie, les législateurs de la plupart des États du pays étaient majoritairement républicains ; ceux-là se chargent de redessiner la carte du Congrès tous les dix ans lors du recensement et votent toujours en faveur du parti majoritaire. Ainsi, les démocrates - dotés d'une faible majorité à la Chambre des représentants - sont partis à la traîne pour les élections de 2022, dans la mesure où ces nouvelles circonscriptions sont favorables aux républicains et peuvent leur accorder 10 à 20 sièges supplémentaires à la Chambre des représentants. Pour ces motifs de fond, les démocrates ont toujours encouru le risque de voir leur fragile majorité tomber à l'eau dans un délai d'un an, voire avant.
Dans ce contexte politique de plus en plus obscur (pour les démocrates), il convient de lire attentivement le résultat politique de la Virginie. Terry McAuliffe, le candidat du parti démocrate, était ancien gouverneur de Virginie, maître de la collecte de fonds de la famille Clinton et un bastion de l'establishment démocrate. À plusieurs reprises, Barack Obama, Joe Biden et Kamala Harris lui ont personnellement fait campagne.
Voilà le vrai problème. Cette élection a pris une dimension nationale et alors que la cote de popularité du président tombait à un niveau extrêmement bas (moins de 40 %), cet État solidement démocrate a riposté avec dégoût aux maigres résultats accomplis par la Maison Blanche de Biden.
En Virginie, les parents qui ont des enfants en âge d'aller à l'école - ils ont accordé au républicain Glen Youngkin 17 points de plus que McAuliffe - ont voté massivement contre les démocrates. Ils étaient abattus au bout de dix-huit mois d'enfermement, de cours en ligne, et d'enseignement indirect de la doctrine très controversée de la Critical Race Theory (« théorie critique de la race », un courant de recherche militant focalisé sur l'application de la théorie critique aux relations entre la race, la loi, et le pouvoir, NDRL). Ils étaient également dégoûtés par la remarque maladroite de McAuliffe selon laquelle les parents ne devraient pas donner des ordres aux enseignants de leurs enfants. Ainsi, les parents démocrates modérés et indépendants de Virginie - qui avaient permis à Biden de remporter une victoire de dix points sur Donald Trump il y a tout juste un an - se sont violemment retournés contre l'establishment démocrate. Soudain, le vote si laborieux de 2022 a pris l'allure d'un tsunami politique dirigé vers le parti démocrate.
Accusés de « ne rien faire » en 2022, les démocrates n’ont pas tardé à réagir pour limiter les dégâts. Nonobstant la défaite qui leur sera probablement infligée lors des élections de mi-mandat l'année prochaine, leur priorité absolue reste de ne pas sombrer dans le chaos politique. Ironiquement, le résultat lamentable de la Virginie a ouvert la voie à l'adoption du plan de réforme des infrastructures, et le parti démocrate peut enfin se targuer de réaliser un projet législatif majeur. Le désespoir incite à agir. Pour le meilleur ou pour le pire, cela a amené les démocrates à bouger.
Dr. John C. Hulsman est président et directeur associé de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com