L’instabilité politique en Irak soulève les enjeux de la succession d’Al-Sistani

Un membre d'Al-Hachd al-Chaabi  (unités de la Mobilisation populaire) brandit le portrait du Grand Ayatollah chiite Ali Al-Sistani, dans une rue de la ville de Basra, au sud du pays (Photo, AFP).
Un membre d'Al-Hachd al-Chaabi (unités de la Mobilisation populaire) brandit le portrait du Grand Ayatollah chiite Ali Al-Sistani, dans une rue de la ville de Basra, au sud du pays (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 08 novembre 2021

L’instabilité politique en Irak soulève les enjeux de la succession d’Al-Sistani

  • Aujourd’hui, compte tenu de l’âge avancé d’Al-Sistani, la question de la succession devient de plus en plus pressante
  • La grandeur d’Al-Sistani va peser lourd sur son successeur, qui sera probablement imprégné par ses idées et qui aura fait partie de son équipe

DUBAÏ: Mis à part le Pape François et le Dalaï Lama, rares sont les chefs religieux qui, comme le Grand Ayatollah Ali Al-Sistani âgé de 91 ans et considéré comme la référence suprême des chiites du monde, sont respectés aussi bien par les musulmans que par les non-musulmans.

Al-Sistani était un disciple de l'ayatollah Abu al-Qasim al-Khoei, qui a été pendant des décennies le leader religieux le plus connu en Irak, dans la ville sanctuaire de Najaf, où il était connu comme le «professeur de jurisprudence».

Des centaines d’étudiants assistaient à ses conférences et beaucoup d’entre eux sont devenus des juristes chiites éminents en Irak, en Iran, au Liban, au Pakistan et dans le Golfe.

Après la mort d’Al-Khoei en 1992, des érudits religieux à Najaf se sont imposés comme des muftis. Sayyid Abd Al-Ala Al-Sabziwari, Sheikh Ali Al-Gharawi et Sayyid Ali Al-Sistani étaient parmi les plus influents.

Il y avait également un groupe de juristes dans le séminaire de Qom, en Iran, qui comprenait Sayyid Mohammed-Reza Golpaygani, Mohammed Ali Al-Araki, Sayyid Mohammed Al-Ruhani et Cheikh Mirza Jawad Al-Tabrizi.

Quand plusieurs de ces muftis sont décédés, Al-Sistani a été nommé «marjaa», ce qui signifie littéralement «source à suivre» ou «référence religieuse». Ce titre lui a ainsi accordé le pouvoir de prendre des décisions juridiques dans les limites du droit islamique, malgré la présence de personnalités populaires en Iran, comme «le guide de la révolution», l’Ayatollah Ali Khamenei, et Cheikh Nasser Makarem Shirazi, ou encore les personnalités de l’Irak, à savoir Sayyid Mohammed Saeed Al-Hakim et Cheikh Ishaq Al-Fayadh.

Un supporter irakien de la coalition paramilitaire d'Al-Hachd al-Chaabi tient la photo du Grand Ayatollah chiite Ali Al-Sistani, lors d’un rassemblement devant l’ambassade américaine à Bagdad (Photo, AFP).

Al-Sistani n’a pas tardé à devenir un chef religieux populaire et digne de confiance. Mais après la chute du dictateur irakien Saddam Hussein en 2003, sa notoriété grandit encore, au-delà du séminaire de Najaf et des frontières de l’Irak.

Son influence était si grande que les délégations internationales lui rendaient régulièrement visite dans son humble maison à Najaf. Les politiciens irakiens accouraient, eux aussi, vers Al-Sistani pour obtenir son soutien. Toutefois, déçu de la propagation de la corruption et du confessionnalisme en Irak, il mit fin à ces habitudes.

Aujourd’hui, compte tenu de l’âge avancé d’Al-Sistani, la question de la succession devient de plus en plus pressante.

Au cours des derniers vingt ans, il y a eu quatre grands juristes à Najaf: Al-Sistani, Mohammed Saeed Al-Hakim, Bashir Al-Najafi et Ishaq Al-Fayadh. Al-Hakim était considéré comme le successeur probable, mais son décès le 3 septembre dernier rend la question de la succession plus floue.

Cheikh Hussein Ali Al-Mustafa, un chercheur saoudien spécialisé dans les sciences islamiques, a déclaré que la mort inévitable d’Al-Sistani serait un coup dur que la communauté saurait cependant surmonter.

 «L’époque post-Sistani fera face à tous les problèmes et le séminaire de Najaf comblera le vide, même si l’absence d’Al-Sistani constituera une grande perte non seulement pour les musulmans chiites, mais aussi pour tous ceux qui croient en la modération, la tolérance et la coexistence», a-t-il révélé à Arab News.

 «Il existe des constantes fondamentales dans l’école de jurisprudence de Najaf qui ne vont pas changer, qu’Al-Sistani soit vivant ou mort. Ces constantes sont les suivantes : éviter l’action politique directe, refuser d’avoir affaire à des partis politiques, privilégier l’intérêt du peuple et apaiser sa souffrance à travers les services économiques et sociaux, fournir des réponses satisfaisantes aux questions jurisprudentielles des croyants.»

Le Grand Ayatollah chiite Ali Al-Sistani (Photo, AFP).

Mais pourquoi l’avenir du séminaire de Najaf est-il si important ?

 «Najaf a cinq caractéristiques importantes», a dit Jawad Al-Khoei, secrétaire général de l'Institut Al-Khoei à Najaf, à Arab News. C’est l’héritage académique le plus ancien des musulmans chiites qui ait survécu jusqu’à ce jour. Il existe depuis plus de mille ans et héberge le cercueil de l’Imam Ali bin Abi Talib.

 «Najaf bénéficie d’une indépendance économique – ce qui lui permet d’émettre des fatwas librement – , refuse de mélanger religion et politique, rejette l’appel à l’établissement d’un gouvernement islamique et jouit d’une certaine liberté de recherche scientifique.»

 «Tout cela a donné à Najaf un rôle qui dépasse ses devoirs religieux : celui de défendre les intérêts du peuple, de repousser le mal et de résoudre les difficultés de vie des citoyens ainsi que leurs problèmes culturels et sociaux, sachant que le peuple constitue la préoccupation principale du «marjaa», a-t-il ajouté.

L’autorité d’Al-Sistani a de loin dépassé le rôle traditionnel du «marjaa». Cela s’est d’ailleurs fait ressentir lorsqu’il a essayé d’améliorer les relations entre les musulmans chiites et sunnites. En 2007, il a dit qu’il était «au service de tous les Irakiens», en insistant sur le fait qu’il n’y avait «pas de véritables différences entre chiites et sunnites.»

Dans l’un des discours prononcés par son représentant, il a dit: «Les chiites doivent défendre les droits sociaux et politiques des sunnites avant même que les sunnites ne le fassent, et vice-versa.»

En Bref

*Ayatollah Al-Sistani apparaît dans toutes les éditions du livre «The Muslim 500: Les musulmans les plus influents du monde.»

*En 2005 et en 2014, Al-Sistani a été candidat au prix Nobel grâce aux efforts qu’il déploie pour établir la paix.

Le patriotisme d’Al-Sistani a fait de lui une sorte de gardien pour tous les Irakiens. Sa bonne foi a été davantage mise en valeur cette année lors de sa rencontre avec le Pape François, chef de l’Église catholique – une rencontre qui a permis aux deux chefs religieux de parler de moyens de promouvoir la paix et la coexistence.

Bien sûr, la grandeur d’Al-Sistani va peser lourd sur son successeur, qui sera probablement imprégné par ses idées et qui aura fait partie de son équipe. Et la question se pose toujours : qui prendra sa place ? 

 «D’habitude, un juriste ne devient pas tout de suite «marjaa» après avoir été nommé au poste. Il doit passer par plusieurs étapes et la procédure peut durer de longues années», selon Al-Khoei.

 «Il devient «marjaa» si d’autres juristes de même rang décèdent ou s’il est nommé par des experts du séminaire et par les meilleurs professeurs qui mènent des recherches pertinentes et spécialisées pour évaluer son niveau d’expertise et son nombre de disciples, sans oublier le nombre de témoignages d’ijtihad fait par les juristes expérimentés qui l’ont précédé.»

 «Ensuite il y a les livres du juriste, leur profondeur et leur précision scientifique, sans oublier l’élément primordial – la piété.»

Il y a actuellement plus de 40 érudits religieux qui offrent des cours de «recherches externes» au séminaire de Najaf. Ces hautes études spécialisées en sciences jurisprudentielles et religieuses sont équivalentes à un doctorat dans les universités ordinaires. Ceux qui réussissent cette étape

Le chef religieux chiite d’Irak lors de sa rencontre avec le Pape François (Photo, AFP).

Les juristes les plus susceptibles de faire partie de l'ère "post-Sistani" sont divisés en trois catégories, selon une hiérarchie basée sur l'âge, l'éducation et l'expérience.

La première catégorie comprend des juristes plus âgés, de haut niveau d'éducation, qui sont fidèles à Al-Sistani. Il s'agit notamment d'Al-Fayadh et d'Al-Najafi.

Toutefois, leur âge avancé et leur style classique les rendront moins attrayants pour la nouvelle génération de chiites, qui souhaite que les «marjaa» soient plus jeunes, plus modernes et capables de comprendre l’évolution rapide de notre époque.

Al-Fayadh et Al-Najafi sont maintenant maraji taqlid – ou une «source d'émulation». Si leur statut reste inchangé, il est possible qu'un petit nombre d'«émules» d'Al-Sistani, notamment les chiites d'Afghanistan et du Pakistan, les considèrent comme leur référence après la mort d’Al-Sitani.

La deuxième catégorie comprend des juristes très instruits comme le Cheikh Baqir Al-Irwani, le Cheikh Hadi Al-Radi, le Cheikh Hassan Al-Jawahiri, Sayyid Mohammed Baqir Al-Hakim et Sayyid Mohammed Jaafar Al-Hakim.

Étant donné l'âge avancé des frères Al-Hakim, leur mode de vie ascétique, la façon dont ils évitent les questions politiques et leur refus d'adresser des fatwas, il est peu probable qu'ils soient considérés pour le poste de «marjaa» après Al-Sistani.

Al-Radi, Al-Irwani et Al-Jawahri ont un grand nombre d'étudiants et sont très respectés au sein du séminaire.

«Ces trois noms ont le plus grand avantage dans l'étape post-Sistani, en raison de leur profondeur jurisprudentielle et de leur capacité de recherche», a déclaré l'islamologue Al-Mustafa.

"Ils ont de l'expérience et de la visibilité, donc la plupart des adeptes d'Al-Sistani se référeront probablement à eux, que ce soit en Irak, dans le Golfe arabe ou en Europe."

Un combattant chiite irakien de la coalition paramilitaire d'Al-Hachd al-Chaabi  est représenté avec une image de l'Ayatollah irakien Ali Husaini Al-Sistani sur sa veste (Photo, AFP).

La troisième catégorie comprend des érudits tels que Sayyid Mohammed Ridha Al-Sistani, Sayyid Mohammed Baqir Al-Sistani, Sayyid Riyadh Al-Hakim, Sayyid Ali Al-Sabziwari, et Sayyid Sadiq Al-Khorsan. Eux aussi jouissent de l'«ijtihad» et ont des étudiants répartis dans les séminaires internationaux.

Cependant, des sources proches du séminaire de Najaf ont déclaré à Arab News que les frères Al-Sistani ne prendront pas le poste de «marjaa» après la mort de leur père parce que «les traditions du séminaire interdisent l'héritage du poste de «marjaa» de père en fils.»

Par ailleurs, «malgré les connaissances avérées de Sayyid Mohammed Ridha Al-Sistani, celui-ci n'a aucun désir d'être «marjaa». Il se contente d'enseigner et de participer à la gestion des affaires de la référence religieuse qu’est son père.»

L'Ayatollah Riyadh Al-Hakim, qui est considéré comme un modernisateur, est le fils de feu Sayyid Mohammed Saeed Al-Hakim. Il habite à la fois en Iran et en Irak et «possède une très bonne expérience administrative ainsi que la capacité de comprendre les développements politiques, sociaux et culturels», a déclaré une source proche de la famille d'Al-Hakim à Arab News.

Tout porte à croire que Mohammed Baqir Al-Irwani, le Cheikh Hassan Al-Jawahiri et le Cheikh Hadi Al-Radi sont les trois candidats les plus probables pour assumer la charge d'Al-Sistani.

Mais le processus de sélection du «marjaa suprême» est si long que le successeur d'Al-Sistani ne sera probablement pas révélé de sitôt – ni même immédiatement après la fin du règne de ce dernier.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com