PARIS : B.O. de film, album de Noël, concerts à New York et Paris: Ibrahim Maalouf, trompettiste popstar, multiplie toujours les projets, l'occasion de revenir sur son parcours, un "ascenseur émotionnel", avec ses hauts et ses bas.
«Français à 100% et Libanais à 100%»
Né au Liban il y a 41 ans, avant de grandir en France, l'artiste rencontré par l'AFP dans les locaux parisiens de son label, Mister Ibé, se sent "Français à 100% et Libanais à 100%".
Il était à une douzaine de kilomètres de Beyrouth quand la dramatique explosion du port s'est produite en août 2020. "Avec ma femme et ma fille, on a couru dans un abri utilisé pour se protéger des bombardements quand j'avais 10 ans, soit l'âge de ma fille à ce moment: 30 ans plus tard, ma fille vit des choses similaires, on se dit que ça ne tourne pas rond au Liban, c'est désespérant".
Mais il ne perd "pas espoir": "C'est un pays très aimé à travers le monde, il n'y a pas de raison qu'il ne soit pas aidé pour se reconstruire".
"Sans vouloir faire de politique", il se dit "triste de voir que certains utilisent l'histoire du Liban pour effrayer à mauvais escient la France". Comme Eric Zemmour, qui craint que la France ne devienne "un Liban en grand" avec un "peuple français petit à petit remplacé par un autre peuple" (propos tenus lors du débat télé avec le chef des Insoumis Jean-Luc Mélenchon).
"C'est irresponsable de dire une chose pareille, c'est quand des gens comme lui (il ne prononce pas le nom de M. Zemmour) sont arrivés au pouvoir au Liban qu'ils ont généré des conflits fratricides et ont cassé l'équilibre social".
«Envie de m'ouvrir à toutes les cultures»
Quand sa famille a fui la guerre et s'est retrouvée en France, son père lui interdisait de parler français à la maison et même de se faire des potes français. "Il a voulu trop me protéger, lui qui avait vécu le racisme de plein fouet, mis à part Maurice André (référence française de la trompette, instrument joué par son père) qui l'avait très bien accueilli".
En réaction aux interdictions de son père, s'est développée chez lui "cette envie" de s'"ouvrir à toutes les cultures". C'est le fil rouge de sa carrière. Un métissage musical et un éclectisme qu'on retrouve entre son album de Noël ("First Noel"), sorti ce vendredi, ou sa B.O. pour "9 jours à Raqqa", documentaire-ciné sur une femme qui co-préside la ville de Raqqa, ex-fief du groupe État islamique.
"La thématique de la résilience est dans presque tout ce que je fais", analyse-t-il à propos de ce film et de sa propre trajectoire.
«Le chic pour avoir des problèmes»
"J'ai le chic pour avoir des problèmes quand il ne devrait pas y en avoir", déroule-t-il alors. Quand le trompettiste décroche une Victoire du jazz, l'autre grand gagnant de la soirée poste sur Facebook une photo de Maalouf sur laquelle "il avait craché", comme un "refus" de l'"intégrer dans le monde du jazz".
Une autre fois, sur le chemin d'un concert à Londres, Interpol l'intercepte à la gare du Nord à Paris. "On me dit qu'il y a un problème, une suspicion, on craignait les +Ibrahim+ après les attentats de 2015... Ca se sait sur les réseaux et des messages surgissent +ce n'est pas parce qu'il joue bien de la trompette qu'il ne sait pas poser des bombes+...", se souvient-il.
Il décrit son cheminement comme "un ascenseur émotionnel: avec la notoriété, soit tu es un ange adulé ou d'un seul coup, tu es sous terre, le pire individu qui soit". "On m'a aussi accusé d'être un agresseur sexuel (sur mineure), mais la justice a fait son travail (relaxe en appel)".
"On finit par avoir de la corne, je suis beaucoup moins sensible qu'à une époque", conclut-il.